La tête contre les murs

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Depuis 30 ans, le monde n’a quasiment pas cessé de construire des murs. Le temps des désillusions est aussi celui des fausses solutions.

Que reste-t-il de l’euphorie du 9 novembre 1989? La nostalgie du monde ancien aurait-elle pris le dessus sur la mémoire de l’oppression? Le monde de «la fin de l’histoire» annoncé par Francis Fukuyama, aurait ainsi été emporté par l’implacable réalisme d’un Huntington annonçant «le choc des civilisations». S’en tenir à la victoire d’une conception sur l’autre n’offre pas une explication satisfaisante. Le monde a bien changé depuis 30 ans. Aujourd’hui comme hier, les murs s’avèrent être des réponses inadaptées aux problèmes posés. Ils peuvent faire illusion. Mais plus ils perdurent, plus ils contribuent à complexifier des situations bien plus graves. Alors… Ils finissent par s’effondrer.

Les murs n’ont jamais vraiment cessé d’exister. Depuis le début des années 2000 cependant, après le 11 septembre et alors qu’une nouvelle phase de la mondialisation prenait son essor, leur construction a repris de plus belle. Les vestiges de conflits frontaliers mal éteints demeurent, comme celui de Corée, de Chypre ou encore du Sahara occidental. Mais dans la plupart des cas, les murs ont retrouvé leur destination primitive de protection contre les «invasions». Que ce soit contre le banditisme, le terrorisme, la migration surtout, le commerce plus récemment, il n’est question que de se protéger de l’«Autre», du «Barbare», de préserver son homogénéité culturelle, son intégrité collective même, face aux intrusions de toutes sortes, même celles de la nature. Les murs ont maintenant migré dans le monde virtuel. De murs de protection contre les attaques de virus, ces firewalls servent également et largement la censure. Mais ne s’agit-il pas de fallacieux pis-aller?

Entre Brexit et «illibéralisme», les réponses aux inquiétudes
des peuples dissimulent des intentions bien moins avouables.

Les murs sont des solutions d’urgence à des problèmes de long terme. Ils sont terriblement coûteux mobilisant hommes et matériels pour de longues périodes. Leur présence altère l’environnement et sépare les peuples. Implantés sur le tracé de frontières dessinées sur des cartes, ils ne tiennent pas compte des transhumances d’animaux, encore moins du partage naturel des eaux. Les peuples nomades et premiers sont les plus touchés (des nomades du Sahara occidental aux Amérindiens de part et d’autre de la frontière mexicaine qui se voient un peu plus destitués de leurs terres). Aujourd’hui encore Allemands de l’Est et de l’Ouest ne sentent pas tout à fait unis. Les écarts de développement – y compris physiques – qui séparent Coréens du Nord et du Sud sont devenus abyssaux. Les murs qui séparent l’Inde de ses voisins du Pakistan et de Bengale forment une ligne de lumière qui se voit depuis l’espace. Le Japon bétonne ses côtes du nord avant que le prochain tsunami ne les submerge encore.

La mondialisation et l’ouverture des frontières ont bon dos. L’intégration et la coopération européennes, l’ouverture de l’espace Schengen, sont aujourd’hui remis en cause par ceux qui y voient le diktat des technocrates de Bruxelles à l’encontre de leur liberté d’agir et de se gouverner en toute souveraineté. Mais la montée de ces rejets s’est traduite à l’Est comme à l’Ouest de l’Union par des débâcles institutionnelles. Entre Brexit et «illibéralisme», les réponses aux inquiétudes des peuples dissimulent des intentions bien moins avouables. Le Président des Etats-Unis, dans son bras de fer avec le Congrès sur le financement de l’extension du mur du Mexique, a provoqué une des fermetures de l’Administration parmi les plus longues de son histoire, pour un coût estimé à près de 11 milliards de dollars. Les murs anti-migration se multiplient dans le monde et pas seulement au nord, mais aussi en Afrique où les mouvements de population d’un pays à l’autre sont très importants. L’entre soi est de mise dans les «gated communities». Celles-ci prennent leur essor à partir des années 1980 aux Etats-Unis notamment, pour former parfois de petites villes, qu’on dirait fortifiées.

Les nouvelles technologies changent la donne du travail une fois de plus.
Les murs peuvent-ils arrêter les robots? Certainement pas.

La chute du mur de Berlin a coïncidé avec l’ouverture de l’Europe de l’Est et de la Chine au commerce mondial, et a permis l’intégration et l’élévation du niveau de vie de centaines de millions de personnes, non sans sacrifices pour certains. Avec ce formidable essor, les inégalités de revenus se sont creusées  aussi. Que pèsent les statistiques face aux destins individuels et aux désenchantements particuliers? Que valent celles de l’intégration devant les faits divers à la une? La question de la répartition des richesses et de la préservation des ressources naturelles, à l’intérieur des pays et entre les nations, se pose avec plus d’acuité. Le monde est entré dans sa quatrième révolution industrielle, celle de l’intelligence artificielle. Les nouvelles technologies changent la donne du travail une fois de plus. Les murs peuvent-ils arrêter les robots? Certainement pas.

Les murs ne sont jamais aussi forts que ceux qui les construisent. Ils semblent bien aujourd’hui symboliser une certaine impuissance des Etats à faire face aux transformations du monde de l’après-guerre froide. Cautères sur des jambes de bois, ils détournent l’attention de ceux qui sont en mal de sécurité en leur offrant une réponse concrète et palpable de l’action de leurs gouvernants. De Berlin à Pékin, les vestiges de ces illusions se rappellent à notre mémoire.

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