Impeachment, qui s’en soucie?

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Les marchés ne se sentent guère concernés par la procédure d’impeachment. Wall Street pourrait-elle changer d’avis?

L’impeachment fait la une des journaux américains et les chaînes d’information se délectent de la retransmission des auditions des premiers témoins. Suivent les commentaires sur la conduite des débats par la commission parlementaire, et bien entendu les réactions de l’exécutif. Le dernier esclandre en date est un tweet particulièrement agressif du Président à l’encontre de son ex-ambassadrice en Ukraine. Une nouvelle fois, le chef de l’exécutif crée la polémique en lançant l’invective en plein milieu de son témoignage, confirmant, au grand dam des Républicains, les accusations de harcèlement et de dénigrement qui pesaient déjà sur lui.

La procédure en cours est-elle un exercice de controverse démocratique qui mérite d’être suivi attentivement? Un misérable théâtre d’ombres qui ne changera ni la politique ni l’économie du pays? Pour le moment, les marchés semblent pencher pour cette deuxième option. Depuis mi-octobre, en un mois seulement, les indices américains ont progressé de 4,5% (S&P 500) à plus de 5,5% (Nasdaq).

La tendance actuelle se nourrit de l’espoir de voir conclue
une première phase d’accord avec la Chine.

C’est d’ailleurs avec réticence que Nancy Pelosi s’était ralliée au lancement de la procédure. Elle ne s’y est résolue que devant l’évidence des faits. Mais beaucoup dans son camp craignent que les débats ne fassent que bloquer le travail parlementaire, mettant en retrait des sujets comme la ratification du nouvel accord commercial entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada. Il n’est pas sûr non plus que le candidat Biden ne sorte pas affaibli de ces débats. Enfin, certains doutent que les allégations portées à l’encontre du Président soient de nature à faire basculer la majorité Républicaine du Sénat.

Aussi, les marchés s’en tiennent-ils… au marché justement et à l’économie. La tendance actuelle se nourrit de l’espoir de voir conclue une première phase d’accord avec la Chine, qui permettrait au moins de suspendre les sanctions supplémentaires prévues pour décembre. Les marchés semblent également satisfaits des trois baisses de taux consécutives de la Réserve Fédérale depuis cet été. Quoiqu’en dise son Président, les investisseurs n’ont plus aucun doute sur sa volonté de réitérer si l’économie devait montrer de nouveaux signes d’affaiblissement. Les investisseurs attendent beaucoup des ventes de fin d’année pour soutenir la croissance. Les indicateurs d’activité se stabilisent à des niveaux qui signalent la poursuite du ralentissement de l’économie, alors que l’investissement continue de se replier.

La Réserve Fédérale de son côté fait face à des préoccupations plus immédiates. A ce jour le marché du repo n’a pas retrouvé tout son calme, les dernières transactions montrent un taux de 3,25% bien au-dessus des Fed funds. L’intervention de la Fed depuis le 17 septembre dernier n’a pas complètement suffi à ramener le calme. Dans ce contexte, même la Fed se demande si la réglementation mise en place après la crise - qui devait renforcer la liquidité des banques - n’a pas eu un effet inverse, en limitant les échanges d’une institution à l’autre, condamnant ainsi la Banque Centrale à une intervention quasi constante.

A lui seul, Donald Trump a tweeté plus
de11’000 fois depuis son entrée en fonction.

La politique va prendre une part prépondérante à mesure que la campagne des primaires s’accélère avec les premières consultations dans les deux camps à partir de février. Tant que Donald Trump n’a aucun autre rival déclaré dans son camp, il n’aura pas à s’épuiser dans quelque primaire. Il  conserve ainsi un sérieux avantage sur le camp adverse, concentrant ses forces médiatiques et financières. Car face à lui, le front Démocrate est toujours aussi dispersé et les programmes toujours aussi extrêmes. Deux nouveaux candidats viennent de se déclarer – dont l’ancien maire de New York, Mike Bloomberg.  Qui plus est, les positions des têtes de liste ont de quoi en effrayer plus d’un. Parallèlement aux retransmissions des auditions du Congrès, Elisabeth Warren, dont on connait l’animosité à l’encontre de Wall Street, lançait à la télévision une campagne publicitaire particulièrement dure, appelant à faire «payer les milliardaires». Dans le débat qui s’ouvre, elle se prononce radicalement contre tout assouplissement des règles prudentielles bancaires en place, appelant plutôt à les renforcer.

Le rôle des médias dans les campagnes présidentielles n’a fait que croître… A la télévision d’abord. Jamais lors des deux précédentes procédures d’impeachment – contre Nixon et Clinton – n’avait-on vu une telle confrontation médiatique. Cela tient bien sûr à la multiplication des chaînes d’information mais aussi à leurs divisions partisanes (une nouveauté), comme au comportement du Président et de son entourage qui recourent largement aux médias sociaux. A lui seul, Donald Trump a tweeté plus de 11’000 fois depuis son entrée en fonctions1. De même, ces derniers 18 mois, le camp présidentiel aurait déboursé près de 33 millions de dollars en publicités sur Facebook et Google, soit quatre fois plus que les Démocrates2. Et cela devrait s’intensifier en ligne avec les importantes levées de fonds de son comité de réélection.

A l’écoute des analystes les plus chevronnés, on voit bien qu’à l’indignation des uns répond le fatalisme des autres, ces derniers ne détectant aucun changement majeur dans l’opinion, mais plutôt un renforcement, sinon une radicalisation des deux camps.

L’économie et les marchés deviendront-ils les arbitres de cette confrontation?

 

1 The New York Times «How Trump reshaped the Presidency in Over 11,000 Tweets», Michael D. Shear, Maggie Haberman, Nicholas Confessore, Karen Yourish, Larry Buchanan and Keith Collins – Nov 2, 2019

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