Activisme budgétaire et retour de la main visible

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland

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Les Etats vont prendre le relais des banques centrales comme levier contracyclique, mais surtout pour accélérer la réponse aux nouveaux défis économiques, géopolitiques et climatiques.

Le monde occidental est entré dans une ère nouvelle de retour de la «main visible». Les Etats prennent des initiatives économiques qui vont dans certains champs économiques prendre le dessus par rapport à la «main invisible», expression forgée par Adam Smith. Cette main invisible avait pendant près de trois décennies conduit à une globalisation et une intégration économique très poussée. La fin des ressources bon marché (crédit, travail, matières premières), la hausse des primes de risque (sécurité, géopolitique, inflation) et des passifs environnementaux, poussent les Etats à être plus interventionnistes. Il s’agit non seulement d’apporter une réponse rapide à de nouveaux défis, mais aussi de répondre à la crise politique et institutionnelle. Le Brexit et la politique interventionniste de D. Trump en 2016 avaient d’abord été guidés par les poussées populistes.

Les dernières initiatives économiques aux Etats-Unis ont mobilisé des montants records: Build Back Better Plan en 2020-21 (plus de 5 trillions de dollars), Inflation Reduction Act en 2022 (700 milliards), CHIPS and Science Act (280 milliards). Elles traduisent à la fois le retour de l’Etat souverain dans des secteurs considérés comme stratégiques (semiconducteurs, défense), d’accélérer la transition énergétique (durabilité, sécurité, disponibilité), et d’enrichir la croissance potentielle (infrastructures, électrification, santé, R&D). C’est le plus grand effort de soutien depuis le New Deal de Roosevelt.

Le Plan de Relance pour l’Europe constitue le plus vaste train de mesures de relance jamais financé en Europe depuis le Plan Marshall de 1948. Un montant total de 2 trillions d’euros doit contribuer à la reconstruction de l’Europe de l’après-COVID-19, à une Europe plus verte, plus numérique et plus résiliente. Ce plan est couplé avec des initiatives nationales (par exemple en France, plan de 100 milliards, autour de la transition écologique, la compétitivité et la cohésion).

Les stratégies de retour à la souveraineté constituent des opportunités dans la mesure où elles vont générer des relais de croissance dans des secteurs clairement identifiés.

Cet activisme budgétaire intervient à un moment où la politique monétaire se normalise après une douzaine d’années d’intense activisme post-crise financière (taux zéro, QE). La résurgence inflationniste, cyclique ou plus structurelle, conduit les banques centrales à avoir une action durablement plus restrictive. C’est donc un changement assez radical du mix monétaire et fiscal. Ce tournant intervient dans un contexte où les politiques monétaires ultra-accommodantes montraient leurs limites: mauvaise allocation du capital, pas d’effet sur les dépenses productives, creusement des inégalités, inflation des prix des actifs financiers et immobiliers.

Certes, le relais budgétaire pourrait être contraint par un niveau déjà élevé d’endettement public: 130% du PIB pour les pays du G20 en 2020, +20 points par rapport à 2019. Les risques de conflit entre les Etats et les banques centrales sont réels, à l’image de ce qui prévalait dans les années 1990. Mais l’inversion de la courbe des taux d’intérêt montre que l’inquiétude n’est pas là, mais davantage du côté des risques de récession. L’efficacité contracyclique des Etats semble supérieure à celle des banques centrales, en particulier dans un contexte inflationniste. L’inflation éloigne les risques de crises souveraines, à l’inverse des épisodes déflationnistes post-2008. Depuis 2016 (Mario Draghi, Janet Yellen), les banques centrales exhortent les Etats à être plus contracycliques dans leur orientation.

L’assainissement du secteur bancaire, la possible réussite d’un scenario de normalisation économique (croissance économique non conditionnée à une baisse des taux d’intérêt), et la sortie de la trappe déflationniste renforcent l’idée d’un retour à des Etats plus pro-actifs. Toutefois, tout dépendra des marges de manœuvre des Etats (fiscal space) et de leur crédibilité. Le recours à l’endettement pour des dépenses productives qui enrichissent la croissance potentielle n’aura pas le même effet sur la crédibilité que la dette associée à des transferts sociaux plus ou moins ciblés. Les stratégies de retour à la souveraineté constituent des opportunités dans la mesure où elles vont générer des relais de croissance dans des secteurs clairement identifiés (sécurité, nutrition, santé, énergie, technologie). La main visible et l’activisme budgétaire doivent être perçues comme des accélérateurs pour répondre à des défis immédiats.

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