«Time to go shopping?»

Yves Hulmann

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Suite au début de stabilisation des marchés, les stratèges doutent de la solidité du rebond en cours. Reste que pour certains titres, les points d’entrée intéressants sont rares.

Un premier semestre désastreux. Une baisse jamais vue depuis 40 ou 50 ans, a-t-on souvent lu au sujet de la plongée des marchés cette année. Pourtant, c’est justement au moment où beaucoup d’investisseurs faisaient le bilan des dégâts à la fin du semestre que la tendance s’est inversée. Un mouvement de reprise que certains analystes et stratèges se sont empressés de qualifier de «rally de marché baissier», ou «bear market rally» en anglais, à savoir une brève phase de rebond qui précède une rechute des bourses.

Un changement de ton peut néanmoins être observé depuis la fin du mois de juin chez de nombreux commentateurs. Du «sauve qui peut», on est passé au «et s’il était temps de revenir sur certains titres». Trois aspects plaident en faveur d’un retour – du moins partiel – des marchés d’actions à meilleure fortune, si l’on ose le formuler ainsi.

Les niveaux de valorisation ont déjà considérablement baissé pour plusieurs indices.

Premièrement, il y a la stabilisation des cours du pétrole, qui atténue, en partie, les pressions inflationnistes sur les prix de certains produits. Après une hausse très marquée entre février et mars, les prix du baril de brut (Brent) évoluent pour l’essentiel dans un couloir situé entre 100 et 115 dollars depuis la mi-juin. Dans ses prévisions pour le second semestre, Raiffeisen indiquait jeudi tabler sur un prix du baril de brut (Brent) à 105 dollars sur un horizon de 3 mois et de seulement 90 dollars sur 12 mois, soit environ un dixième de moins que le niveau actuel. Un tel scénario se traduirait par une réduction des tensions inflationnistes sur les coûts des intrants pour toute une gamme de biens et services, et, par la même occasion une pression moindre sur les banques centrales en faveur d’un resserrement abrupte des politiques monétaires en seconde moitié d’année.

Deuxièmement, les niveaux de valorisation ont déjà considérablement baissé pour plusieurs indices. Même si les estimations de bénéfices pourraient être encore revues à la baisse à l’occasion de la publication des résultats au premier semestre pour de nombreuses entreprises, force est de constater que beaucoup d’indices se traitent à nouveau avec des multiples de bénéfices proches de leur moyenne à long terme, voire en dessous de celle-ci. Aux Etats-Unis, les titres du S&P 500 se négocient avec un multiple cours / bénéfices d’environ 16, soit pratiquement leur niveau d’avant la pandémie. Les valeurs du SMI se traitent aussi à un niveau proche de 16, tandis que les actions européennes sont encore nettement moins chères.

Certes, il est peut-être encore un peu tôt pour racheter les indices de façon indiscriminée compte tenu des risques liés à la perturbation des chaînes d’approvisionnement et de la difficulté de nombreuses entreprises à pouvoir répercuter la hausse des coûts des matières premières aux clients finaux. Compte tenu de ce contexte et du climat d’incertitude généralisé, aussi bien UBS que J. Safra Sarasin ont récemment revu à la baisse leurs objectifs de cours pour le S&P 500 à 3’900 points à fin décembre, soit juste un peu plus que le niveau de l’indice vendredi à l’ouverture.

Le troisième argument, plus spécifique à certaines entreprises, est justement que le mouvement de baisse au premier semestre a entraîné dans son sillon de nombreux titres de qualité pour lesquels trouver des points d’entrée attrayants n’est pas très fréquents. Du côté des grandes capitalisations, une entreprise comme Nestlé, en recul de 11% depuis le début de l’année, ne peut pas encore être considérée comme bon marché en se traitant avec un multiple de bénéfices qui avoisine les 24. En revanche, plusieurs moyennes à grandes capitalisations helvétiques, parfois leader dans leur secteur, ont été beaucoup plus affectées par la correction récente.

Le titre de Logitech est maintenant revenu à son niveau du début de la pandémie.

A titre d’exemple, le spécialiste des techniques sanitaires Geberit a déjà perdu 37% de sa valeur depuis le début de l’année. Par le passé, l’action de la société saint-galloise est toujours parvenue à rattraper rapidement les pertes subies lorsque la conjoncture s’est ressaisie. Du côté de Logitech, le titre du fabricant de périphériques informatiques a perdu plus du tiers de sa valeur depuis début janvier et il a même chuté de 57% sur douze mois. Le titre de Logitech est maintenant revenu à son niveau du début de la pandémie, tandis que les bénéfices estimés pour 2022 devraient dépasser ceux de 2020. Dans la même veine, on peut aussi citer l’exemple du titre de Sika qui a chuté de 42% depuis janvier. Le spécialiste de la chimie de construction est certes une valeur très exposée aux variations des cycles conjoncturels mais il est toujours parvenu à afficher une croissance élevée sur la durée.

Même en ce qui concerne les actions de la «tech» américaine, tant décriées cette année, les commentateurs s’interrogent sur l’opportunité de revenir sur certains leaders du secteur. L’action de Microsoft, en recul de 21% depuis le début de l’année, n’est pas bon marché mais le sera-t-elle un jour? La même question peut se poser au sujet d’Apple (-18% depuis début janvier) qui se négocie toujours à plus de 20x ses bénéfices estimés pour 2022 mais qui a toujours su se ressaisir rapidement après un marché baissier.

Les experts les plus prudents ne manquent pas de rappeler l’ampleur du marché baissier de 2022 – avec une chute de l’ordre de 20 à 25% pour les principaux indices américains et européens, à l’exception du SMI qui a limité son recul à 16% à fin juin – reste encore loin des baisses observées par le passé, qui ont souvent atteint entre 30 et 40% par rapport au précédent sommet atteint. Entre 2007 et 2008, le plongeon du S&P 500 avait par exemple dépassé les 50%. Et entre fin 2001 et 2002, le recul de l’indice a avoisiné les 33%.

Pour autant, il faut se souvenir que les titres d’entreprises de qualité tendent à se reprendre souvent plus vite que beaucoup ne l’anticipent. A cet égard, il est intéressant de se souvenir de la période de l’hiver 2009: à cette époque, nombre de commentateurs et stratèges déconseillaient un retour sur les marchés des actions. Et six mois plus tard, quand les marchés avaient à l’évidence changé de tendance, certains stratèges jugeaient alors que les indices étaient déjà revenus trop chers pour entrer à nouveau sur le marché à des prix intéressants…

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