Les obligations à long terme ne sont pas attractives

Emmanuel Garessus

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La Suva est passablement investie en alternatifs, soit 20% du portefeuille, et en placements à court terme, selon Hubert Niggli, de la Suva.

Si la Suva présente année après année des résultats qui permettent de réduire les primes, elle le doit en partie à sa performance de placement. L’assureur- accidents est en effet le premier investisseur institutionnel suisse proche de l’Etat (hors BNS). Hubert Niggli et son équipe, à Lucerne, gèrent 56 milliards de francs d’actifs à la fin 2022, pour environ 35 gérants dans les actifs non immobiliers.

L’an dernier, la performance a été négative, de «seulement» 8,1%, ce qui était meilleur que l’indice CS des caisses de pension (-10,1%) et l’indice LPP Pictet (-13%). La combinaison d’une baisse des bourses et d’une hausse des taux d’intérêt ne s’était pas produite depuis 1969, indique Hubert Niggli lors d’une interview avec Allnews. Certaines classes d’actifs sont restées peu sensibles à ces deux facteurs: l’immobilier direct suisse (12% du portefeuille) a offert un rendement de 6%. Certaines stratégies alternatives ont également bien fonctionné. Il s’agit toutefois de niches étroites, comme le global macro, CTA (performance de 12%), et «relative value» (performance de 7%) ainsi que la dette privée en Europe (performance de 10%). La Suva gère aussi une part significative de ses fonds à travers une gestion active, laquelle a apporté 0,7% à la performance. Hubert Niggli répond aux questions d’Allnews:

Comment avez-vous investi vos actifs en 2023? Etes-vous parvenu à identifié les 7 valeurs technologiques qui, à l’image de Nvidia, ont contribué à la hausse des indices?

Un marché tiré par seulement 7 valeurs est forcément vulnérable. Aux Etats-Unis, nous disposons de trois portefeuilles en actions américaines, l’un centré sur les grandes capitalisations, un autre sur les petites et moyennes capitalisations et un hedge fund long/short. L’ensemble répond à notre objectif de diversification.

«Nous arrivons progressivement à la fin du cycle de hausse des taux d’intérêt. Historiquement, cette période est difficile pour les actions.»

Notre stratégie est toujours très diversifiée afin de disposer d’un portefeuille robuste dans un contexte difficile. Les titres individuels importent moins que la construction de l’ensemble du portefeuille et l’identification de classes d’actifs capables d’offrir en tout temps une bonne performance globale. A ce jour, le rendement s’élève à environ 2% en 2023.

Aviez-vous des titres Credit Suisse?

Très peu. A la vue des difficultés croissantes de l’établissement, nous avons allégé l’exposition, y compris en dérivés et en marché monétaire. Au moment du rachat par UBS, la perte représentait 0,02% des actifs. Nous n’avions pas d’AT1 mais seulement des actions et des obligations couvertes.

Avez-vous accru l’exposition aux actions et aux obligations en 2023?

L’exposition au risque demeure stable à travers les années. Nous achetons lors des corrections et vendons lors des phases d’euphorie.

Beaucoup s’attendent à un ralentissement ou une récession en fin d’année et une reprise en 2024. Comment adaptez-vous votre portefeuille?

Si une correction devait se produire à court terme, nous devrions être acheteurs. La plupart des analystes prévoient une récession. La balle est dans le camp des banques centrales, lesquelles sont confrontées à une tâche difficile en ce moment.

Quel est votre scénario sur l’inflation?

La situation est différente d’une région à l’autre. La BNS possède les meilleures chances de ramener l’inflation sous la barre des 2%. La hausse des prix atteint 2,2% (inflation sous-jacente 1,9%), contre 1,75% pour les taux à court terme. La situation va aussi dans la bonne direction aux Etats-Unis, avec des taux courts entre 5 et 5,25%, une inflation sous-jacente de 5,3% et une hausse de prix de 4,0%. Le tableau est moins positif pour la zone euro, avec des taux monétaires de 4%, une inflation sous-jacente de 5% et un renchérissement de 6,1%. Le défi est plus difficile pour la BCE que pour les autres.

Investissez-vous donc plutôt dans les obligations à courte échéance ou sur le marché monétaire?

Un peu comme en 2022, la pente des taux est négative. Les obligations à long terme offrent un rendement inférieur à celles à court terme. Il n'est guère intéressant de détenir des obligations à long terme. Nous préférons le marché monétaire ou les obligations à taux variable, les obligations avec protection contre l’inflation (TIPS) ou, - ce que nous apprécions en ce moment, dans une optique à long terme- la dette privée (avec une prime de 5-6% par rapport aux taux à court terme de 5%).

N’avez-vous pas tendance à réduire les risques et à produire un rendement qui soit moins sensible aux actions et aux taux d’intérêt et qui soit davantage investi en alternatifs?

Nous sommes passablement investis en alternatifs avec environ 10% en hedge funds et 10% dans les marchés privés (private equity et dette privée), ce qui dépasse 10 milliards de francs au total. Nous ne devrions pas accroître cette proportion, même si elle a parfaitement répondu à nos attentes depuis 15 ans.

Nous procédons nous-mêmes depuis 15 ans à la sélection des gérants de fonds alternatifs. Nous n’avons pas de fonds de fonds.

Sur le plan tactique, quels investissements faut-il éviter à court terme?

Je ne dirais pas que nous voudrions éviter les actions ou que nous les réduirions fortement, mais nous arrivons progressivement à la fin du cycle de hausse des taux d’intérêt. Historiquement, cette période est difficile pour les actions. Or la bourse américaine paraît très chère. Si une correction se produit, nous ne manquerions pas d’acheter.

«Les titres individuels importent moins que la construction de l’ensemble du portefeuille.»

Nous observons aussi de premières fissures dans l’immobilier suisse. Le marché est resté longtemps robuste, mais un changement se produit depuis quelques mois dans les objets de rendement. L’offre diminue lors des mises aux enchères. Les taux d’escompte augmentent. Les grands investisseurs institutionnels deviennent plus prudents. Nous prévoyons une accalmie plutôt qu’une crise. Les problèmes concernent davantage le secteur des bureaux que le résidentiel.

Quelles questions vous posez-vous en ce moment pour optimiser votre portefeuille?

Notre approche fonctionne bien depuis des années. Nos questions portent en ce moment sur la prise en compte des risques géopolitiques. La crise en Ukraine signale une cassure majeure dans le processus de globalisation. Elle induit de profondes mutations structurelles. Cette crise est d’un autre ordre que celle de 2008.

Comment ajuster votre portefeuille à ce monde multipolaire autrement qu’en ayant davantage de yuan et d’or?

Nous analysons les conséquences financières de ces transformations. Il est périlleux de présenter un seul scénario pour les 15 prochaines années compte tenu des décisions politiques qu’il induit. Nous devons élaborer plusieurs scénarios et présenter un portefeuille qui fonctionne dans la plupart d’entre eux.

Comment avez-vous poursuivi vos efforts en matière de durabilité?

La Suva s’est engagée en faveur de l’objectif de 0 carbone en 2050. Nous avons préparé une stratégie pour le respecter. Elle est plus aisée à mettre en oeuvre dans l’immobilier (7 milliards d’actifs en Suisse) que dans les placements financiers. La mesure de l’empreinte carbone n’est pas aisée à définir par exemple dans les placements alternatifs ou dans les crédits aux communes suisses (environ 4 milliards). Nous espérons disposer d’une méthode d’évaluation plus précise au premier semestre 2024 afin de mieux quantifier nos progrès.

Notre approche est celle de l’engagement auprès des entreprises, y compris à travers diverses associations d’investisseurs, comme l’ASIR. Nous voulons exercer un réel impact environnemental. Ce n’est pas en vendant un titre que le CO2 va diminuer. Le dialogue est une meilleure piste. En Suisse, presque toutes les entreprises cotées sont en bonne voie pour disposer d’une stratégie durable. Il n’en va pas de même aux Etats-Unis ou en Asie. Nous sommes toutefois confiants d’atteindre notre objectif en 2050.

Même si nous n’y sommes pas obligés, nous avons décidé de satisfaire les exigences de reporting Climate Related Financial Disclosures (TCFD) et publierons pour la première fois l’an proche un rapport sur ce sujet.

Achetez-vous aussi des fonds thématiques tels que sur la biodiversité?

Nous avons investi dans des Green Bonds. L’offre de fonds s‘est élargie, y compris dans le private equity. Notre priorité reste la performance financière. Nous privilégions les gérants performants à long terme capables d’intégrer les critères de durabilité.

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