Pour Isabelle Scemama, responsable mondiale d’AXA IM Alts, l’immobilier résidentiel ou les infrastructures permettent d’obtenir une protection contre le renchérissement.
Le net rebond des marchés d’actions durant le premier semestre a-t-il fait de l’ombre aux placements privés? Quel est l’impact d’une inflation toujours élevée sur l’attrait des placements alternatifs? Le point sur ces questions avec Isabelle Scemama, Global Head d’AXA IM Alts, la division des placements alternatifs qui gère des actifs de l’ordre de 186 milliards d’euros au sein d’AXA Investment Managers. La division alternative d'AXA IM, AXA IM Alts emploie plus de 800 personnes réparties dans 17 bureaux.
AXA IM Alts regroupe les activités de gestion d’actifs privés du Groupe AXA à savoir: l’immobilier, les infrastructures, le private equity et la dette privée ou encore les crédits alternatifs.
Dès que l’on investit dans des actifs privés, il faut être bien conscient que l’on s’inscrit dans le temps long. Ces portefeuilles prennent du temps à construire et leur performance doit être analysée dans une perspective de long terme, à travers l’ensemble d’un cycle. Il est impossible de rééquilibrer en fonction des mouvements de marchés. Ainsi, les variations des taux d’intérêt à court terme, ou les changements des anticipations concernant leur évolution future en fonction du ton adopté par les banques centrales, n’ont pas modifié nos convictions, au contraire. Les trends gagnants que nous avions identifiés avant la correction des marchés boursiers l’an dernier ne sont que plus pertinents aujourd’hui.
L’immobilier résidentiel constitue l’un de ces thèmes. L’environnement actuel, si l’on tient compte à la fois de la démographie et des habitudes de vie, plaide encore davantage pour l’immobilier locatif. La logistique est un autre exemple. C’est un secteur dans lequel la demande locative reste soutenue et les loyers connaissent un taux de croissance qui permet de compenser largement l’impact des taux d’intérêt et des coûts de financements sur la valeur des actifs. Les infrastructures constituent aussi une thématique majeure et qui se subdivise en plusieurs sous-catégories. Parmi celles-ci, le secteur de l’énergie est porté par la nécessité d’électrifier les transports, l’industrie ou d’autres domaines pour atteindre les objectifs climatiques. La part de l’électricité renouvelable est appelée à augmenter au cours des prochaines années et cela implique de nombreux investissements, non seulement dans les capacités de production mais aussi dans les équipements de transport, distribution et stockage. La dette privée – qu’elle serve à financer l’immobilier, les infrastructures, les corporate ou même les «consumers» – est aussi très attractive dans un contexte de remontée des taux et d’écartements des spreads. Les banques sont soumises à des contraintes et leur frilosité laisse le champ ouvert aux gérants privés.
La plupart des placements alternatifs offrent une bonne indexation à l’inflation. C’est le cas de l’immobilier notamment résidentiel puisque dans la plupart des pays européens les loyers sont indexés sur des indices de prix. Les infrastructures offrent également une très bonne protection à l’inflation, la plupart des contrats étant indexés. Enfin la dette privée est souvent basée sur un taux floater, ce qui est une protection intéressante et qui offre une alternative au fixed income en période d’incertitude sur les taux. Même si l’augmentation des taux et des coûts de financement impactent négativement la valeur, la performance des actifs privés dépendra de la croissance des cash flows et donc des tendances de fonds supportant ces actifs (démographie, digitalisation, électrification…) et de leur indexation à l’inflation.
Hormis la thématique des énergies renouvelables, il y a par exemple également les investissements dans les infrastructures de transport, et notamment les transports à faibles émissions de carbone. Le secteur des infrastructures digitales offre bien sûr aussi de très belles perspectives En outre, la plupart des investisseurs sont faiblement alloués aux infrastructures et donc loin de leurs objectifs d’allocation.
Typiquement, il peut s’agir d’investissements dans les centres servant à l’hébergement de données (data center) ou dans la fibre optique. Dans des pays comme la Suisse, on est habitué à ce que la fibre optique arrive jusqu’à son domicile. Mais les besoins en équipements appelés «Fiber to the Home» restent très élevés en Europe.
Hormis les infrastructures liées aux transports routiers, il ne faut pas négliger l’importance des besoins de renouvellement dans le domaine des transports ferroviaires. Nous avons investi dans plusieurs flottes de trains électriques en Allemagne, Autriche ou au Royaume-Uni.
C’est pourquoi le modèle européen est assez intéressant. L’Europe a su attirer des capitaux importants en privatisant et régulant un grand nombre d’infrastructures. Ceci permet de garantir des prix acceptables pour le consommateur. N’oublions pas qu’on l’a ici souvent affaire à des situations de monopole et qu’il est important que la puissance publique fixe les règles et les tarifs, tout en permettant aux financeurs privés d’intervenir. A ce titre l’Europe est assez unique et peut s’enorgueillir d’offrir un très bon réseau d’infrastructures. C’est le marché le plus diversifié et le plus profond et c’est pourquoi de grands investisseurs internationaux, notamment canadiens ou australiens, considèrent l’Europe comme un marché prioritaire.
De manière générale, nous investissons dans des projets qui ont déjà atteint un certain degré de maturité. Par exemple, nous investissons dans l’éolien, et notamment l’éolien offshore, dont la technologie est bien maîtrisée et sur lesquels nous avons des prévisions sur l’intensité des vents. Nous avons ainsi en 2022 investi dans Hornsea 2, la plus grande ferme éolienne au monde située en mer du Nord. En revanche, nous restons à l’écart de technologies dont les retours sur investissement sont, pour l’instant, moins prévisibles, à l’exemple des techniques de capture du CO2.
Les placements privés jouent un rôle clé dans l’atteinte des objectifs des accords de Paris (atteindre la neutralité carbone à horizon 2050). L’immobilier représente 40% des émissions de gaz à effet de serre. Leur décarbonation est donc critique. Mais la mutation du secteur de l’énergie est tout aussi critique et les investissements privés permettront de répondre aux besoins en électricité verte. Il y a deux manières de regarder les enjeux ESG en matière d’investissement. Soit par l’aspect réglementaire qui impose une transparence sur les données et les reportings. Enormément d’efforts sont engagés en ce sens, c’est compliqué, parfois laborieux. Cela demande des standards pas accords validés. Mais il y a un aspect encore plus intéressant que permet l’investissement dans les actifs privés, c’est l’action concrète: investir dans l’efficacité énergétique des immeubles, dans les fermes éoliennes, les transports électriques, intégrer des matériaux bas carbone dans la construction ou la rénovation des bâtiments, et même investir dans des actifs séquestrateurs de carbone comme les forêts !
Pas vraiment. L’allocation sur les marchés privés se base sur des choix de long terme, la recherche d’une moindre volatilité, la protection contre l’inflation et permet l’accès à des actifs qui ne sont pas offerts sur les marchés cotés - et qui apportent donc un effet de diversification. Et la remonté des marchés actions ne fait par ailleurs que corriger une partie de l’effet de dénominateur. La question qui se pose aujourd’hui sur les marchés privés est la valorisation des actifs et donc l’optimisation du point d’entrée. Comme nous l’avons évoqué, cela dépend fortement des classes d’actifs, des géographies, etc.