Vietnam: le réveil du dragon

Roderick Snell, Baillie Gifford

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Déjà un exportateur à succès, ce pays d’Asie du Sud-Est devrait s’imposer comme l’un des leaders de la croissance dans le continent.

©Keystone

 

Hô Chi Minh-Ville est traversée par des flots ininterrompus de voitures et de motos qui se croisent et se recroisent et qui, surgissant de ruelles bondées, finissent par venir s’agglutiner dans les grands boulevards «à la française». Cette circulation qui se joue quelque part entre coopération et compétition paraît chaotique. Pourtant, elle fonctionne.

Saigon, l’ancien nom encore utilisé, qui a été modifié en hommage à «Oncle Ho», le père communiste du Vietnam moderne, évoque à la fois la nouvelle Asie et la vieille Europe. Pourtant, aujourd’hui, la ville paraît différente. Pourquoi? L’un des changements les plus palpables est la proportion de véhicules à quatre roues qui est en nette augmentation par rapport à celle des deux roues. De manière générale, Saigon est en train de passer d’une métropole de marché émergent à quelque chose de plus…émergé. Tout y fonctionne mieux qu’avant.

Une star de la croissance structurelle

Le Vietnam est en passe de devenir l’un des meilleurs exemples de croissance structurelle en Asie. Il fera probablement exception à la règle selon laquelle la plupart des marchés émergents ne parviennent pratiquement jamais à sortir de cette phase d’émergence. Au lieu de cela, comme par exemple la Thaïlande ou la Malaisie, ils restent englués dans «le piège du revenu moyen» qui est de l’ordre de 10'000 dollars par habitant. Avec ses 4’000 dollars par habitant, le Vietnam en est encore loin.

Le Vietnam se focalise sur la mise en place des infrastructures nécessaires à son développement.

Pourtant, le dynamisme de Saigon et la détermination des chefs d’entreprise, des économistes et des banquiers rencontrés  suggèrent un pays sur la voie rapide de la croissance empruntée par d’autres tigres asiatiques tels que la Corée du Sud et Taïwan.

La longue marche de l’industrie

S’inspirant de l’expérience des autres, les dirigeants vietnamiens ont pris conscience du fait que le seul moyen pour arriver à financer durablement la croissance d’une économie domestique était de fabriquer des biens destinés à l’exportation. En d’autres termes, il vaut mieux ne pas compter sur des matières premières dont les cours évoluent de manière cyclique ou sur des financements en provenance de l’étranger qui fluctuent au gré des cycles d’expansion/récession régionaux.

Comment le Vietnam a-t-il réussi le tour force de devenir un pôle d’exportation de produits manufacturés alors qu’il porte un lourd bagage géopolitique? Dès la fin des années 1980, le gouvernement a assoupli sa ligne anticapitaliste et aujourd’hui ses priorités vont à la lutte contre ce qui reste de corruption, souvent liée à l’immobilier, ainsi qu’à l’amélioration des infrastructures.

Selon le journaliste américain, Joe Studwell, dont les ouvrages font autorité en matière de choses à faire et à ne pas faire dans le développement en Asie de l’Est, les indispensables sont la réforme de l’agriculture et l’amélioration de sa productivité, la mise en place d’une industrie d’exportation compétitive et le contrôle strict des capitaux étrangers. Parce qu’il possède ces trois atouts, le Vietnam est pour Joe Studwell «le pays le plus intéressant (de l’Asie du Sud-Est) sur le plan économique».

Bien positionné

Il possède encore d’autres avantages comme, par exemple, un littoral qui s’étend sur 2000 miles le long de la route commerciale maritime entre l’Asie de l’Est et l’Occident, de bonnes relations avec la Chine et les Etats-Unis (un doublé plutôt rare) ainsi qu’une main-d’œuvre jeune et bien formée.

Le Vietnam se focalise sur la mise en place des infrastructures nécessaires à son développement. Le pays a su créer un véritable réseau capable de fournir à son industrie tout ce dont elle a besoin pour être très productive. Qu’il s’agisse de composants ou de logistique, tout a été intégré afin de pouvoir fabriquer des smartphones ou des chaussures de sport de manière efficiente.

Le timing a été parfait: la fermeture des ports chinois due au covid a suffi à convaincre de nombreux fabricants étrangers que la dépendance à un seul pays fournisseur était risquée. Par ailleurs, au fur et à mesure que le géant chinois progressera dans la chaîne de valeur au cours des deux décennies à venir, il est probable que la fabrication de quelques milliards de dollars de produits bas de gamme émigrera ailleurs, et vraisemblablement en grande partie au Vietnam. C’est l’une des raisons pour lesquelles les grands exportateurs vietnamiens sont des marques étrangères. Ainsi Samsung, qui est de loin le plus gros exportateur vietnamien, a investi environ 12 milliards de dollars dans le pays ces six dernières années.

Les exportateurs vietnamiens d’une taille suffisante pour investir sont encore peu nombreux. Vinh Hoan, le plus important producteur mondial de pangasius congelé, est une exception et il a su attirer de grands clients internationaux tels que Tesco, Aldi et Walmart. En outre, l’ambition de ses dirigeants est de remonter la chaîne de valeur et de produire des dérivés tels que le collagène, une protéine utilisée comme complément pour la santé de la peau. Ils envisagent également d’utiliser le savoir-faire de l’entreprise en matière de lyophilisation pour offrir d’autres produits tels que le pitaya (fruit du dragon), ingrédient utilisé dans les smoothies des chaînes de café internationales.

D’autres valeurs locales de croissance ont bénéficié de la vague de prospérité que connaît le pays ainsi que de l’essor de sa classe moyenne. C’est le cas de Mobile World qui s’arroge environ 50% des ventes domestiques de téléphones portables et gère une chaîne de magasins d’alimentation en pleine expansion. Les sous-traitants vietnamiens les plus réputés suscitent également un intérêt croissant. Citons par exemple FPT, leader dans le secteur des technologies de l’information et des télécommunications au Vietnam et acteur d’envergure internationale dans les services numériques. Son marché le plus important est le Japon et des clients comme Sony, Hitachi et Panasonic.

Des fermes aux usines

Grâce à la redistribution communiste des terres puis aux réformes ultérieures favorables à l’économie de marché, l'agriculture vietnamienne est devenue rentable et plus compétitive. Sa productivité a largement dépassé celle de ses voisins d'Asie du Sud-Est.

Aujourd’hui, ce qui était une plaine cultivée par des paysans est traversée par de belles routes et agrémentée de ronds-points et de haies taillées en sculptures végétales. S’y trouvent également de vastes usines, dont les enseignes ressemblent à un «who's-who» de l'industrie internationale: Canon, Microsoft, Samsung, Foxconn. Les noms à consonance vietnamienne seront-ils plus nombreux à l’avenir? Tout porte à le croire, car la dynamique économique actuelle du pays va dans ce sens. 

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