Il y a une sensibilité accrue des investisseurs à la moindre déception

Yves Hulmann

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Mark Denham de Carmignac privilégie des secteurs défensifs comme la santé, notamment des sociétés en lien avec l’obésité comme Novo Nordisk et Eli Lilly.

Faut-il privilégier les entreprises qui versent des dividendes à court terme ou au contraire celles qui réinvestissent leurs gains pour financer le développement de produits? Le point avec Mark Denham, responsable des actions européennes («Head of European Equities») chez Carmignac et gérant d’un fonds qui met l’accent sur les «compounders», soit des entreprises qui réinvestissent leurs gains dans leur activité plutôt que de verser des dividendes.

Vous mettez l’accent sur des sociétés de haute qualité qui choisissent de réinvestir durablement leurs gains dans l’activité de leur entreprise plutôt que de distribuer des dividendes. En quoi cette approche est-elle intéressante à long terme pour les investisseurs?

En réinvestissant constamment des capitaux dans les activités de leur entreprise plutôt que de verser des dividendes, les sociétés que l’on appelle «compounders» en anglais parviennent à générer une croissance additionnelle dans leur secteur d’activité, notamment via leurs investissements dans l’innovation et le développement de nouveaux produits. Nous mettons l’accent sur des titres de haute qualité, généralement des grandes capitalisations issues des pays développés. A la différence des gérants qui se concentrent surtout sur des indicateurs de profitabilité et l’analyse de bilan, nous privilégions avant tout des critères tels qu’un rendement élevé sur le capital employé et le réinvestissement des cash-flow. En appliquant cette approche de manière systématique sur la durée avec des entreprises de haute qualité, vous tirez parti de l’effet composé sur une longue période de temps, ce qui permet d’obtenir une surperformance à long terme. C'est pourquoi nous appelons le fonds «Grandchildren» (petits-enfants en anglais), car il est conçu pour créer un patrimoine à la fois pour les investisseurs d'aujourd'hui et pour les générations futures.

«L’impact du resserrement quantitatif mis en place par les banques centrales sur l’économie n’a pas encore été entièrement intégré par les marchés.»
Pratiquement, dans quels secteurs d’activité trouvez-vous des entreprises qui satisfont à ces critères?

Nous avons une exposition élevée dans des secteurs tels que la santé, les biens de consommation de base ou discrétionnaires, la technologie, spécialement l’IA, complétés par quelques sociétés industrielles de qualité. En revanche, nous n’investissons ni dans des banques et des assurances, ni dans les télécoms. Notre approche d’investissement va essentiellement du bas vers le haut (bottom-up) et nous ne nous positionnons pas en fonction de choix macroéconomiques, ou seulement marginalement en termes de pondération. Par exemple, si, à un moment donné, nous favorisons des valeurs plutôt défensives, nous allons davantage pondérer des entreprises actives dans les sciences de la vie ou la consommation de base. Actuellement, nous favorisons de tels secteurs défensifs car nous pensons que l’impact du resserrement quantitatif mis en place par les banques centrales sur l’économie n’a pas encore été entièrement intégré par les marchés.

Vous misez sur des valeurs du secteur de la santé qui - du moins en Suisse, si l’on considère les exemples de Lonza ou de Roche - ont été récemment passablement mis sous pression au cours des derniers mois. Les titres liés au secteur de la santé sont-ils vraiment défensifs?

A l’intérieur du secteur de la santé, il s’agit de bien distinguer entre différents sous-segments d’activité. En ce qui concerne, premièrement, les fabricants d’équipements pour le secteur des sciences de la vie, nous pensons que le secteur est arrivé à un tournant après une période décevante, qui était due notamment au fait que beaucoup de clients ont augmenté leurs inventaires durant la période marquée par la pandémie de Covid et ont donc réduit leurs commandes.

«Lonza reste un investissement attractif étant donné que c’est le plus grand fabricant contractuel dans l’industrie biopharmaceutique – cet avantage compétitif n’a pas disparu.»
Comment évaluez-vous la situation actuelle de Lonza après la forte correction subie par ce titre depuis septembre?

L’action de Lonza a été mise sous pression essentiellement par deux facteurs négatifs: la perte d’un contrat avec Moderna et le départ soudain de son directeur à la mi-septembre. Pour autant, il ne faut pas oublier que la société bâloise dispose de plusieurs atouts clés dans son domaine d’activité. Lonza reste un investissement attractif étant donné que c’est le plus grand fabricant contractuel dans l’industrie biopharmaceutique – cet avantage compétitif n’a pas disparu et il ne va disparaître. Ce secteur d’activité restera relativement sûr pour les prochaines années.

L’autre thème sur lequel vous misez beaucoup est celui de l’obésité. Pourquoi est-ce le cas?

Il s’agit effectivement d’un thème sur lequel nous misons à l’intérieur du secteur de la santé. Les traitements contre l’obésité correspondent à un «mégatrend» qui va encore occuper la pharma pendant de nombreuses années. L’entreprise danoise Novo Nordisk et la société américaine Eli Lilly sont particulièrement bien placées pour fournir des traitements liés à cette problématique étant donné qu’elles dominent le marché en croissance rapide des médicaments de type GLP-1 qui servent à traiter le diabète et l’obésité. Actuellement, nous n’en sommes encore qu’à effleurer la surface dans ce domaine. Aux Etats-Unis, on estime que 40% de la population est concernée par l’obésité – et les traitements pour lutter contre celle-ci n’ont encore qu’un très faible taux de pénétration.

«Aux Etats-Unis, on estime que 40% de la population est concernée par l’obésité – et les traitements pour lutter contre celle-ci n’ont encore qu’un très faible taux de pénétration.»
Si le marché de l’obésité représente un tel potentiel, ne va-t-il pas rapidement attirer d’autres concurrents qui chercheront à développer leurs propres traitements?

Bien sûr, il y aura de nouveaux entrants sur ce marché. Toutefois, Novo Nordisk et Eli Lilly disposent, d’une part, d’une longueur d’avance car elles ont déjà acquis une longue expérience dans la recherche dans ce domaine. D’autre part, elles bénéficient d’un autre grand avantage concurrentiel, celui d’avoir une large base de données de patients qui peuvent être contactés pour tester d’autres traitements encore en cours de développement.

Concernant l’évolution des marchés en général, on a observé à maintes reprises ces dernières semaines que des titres décrochent soudainement de 5, 10 voire 15% en une seule séance alors qu’il s’agit d’entreprises bénéficiaires et qui continuent de croître?

On observe effectivement une sensibilité accrue de la part des investisseurs à la moindre déception lors de la publication de résultats, parfois à peine légèrement inférieurs aux attentes. C’est une nouvelle caractéristique de l’environnement de marché dont il faut tenir compte. Avec des taux d’intérêt plus élevés, les entreprises qui, par le passé, affichaient des valorisations élevées, sont aussi davantage exposées aux turbulences sur les marchés. Mais, une fois encore, il ne faut pas se laisser trop influencer par les variations à court terme et se concentrer sur le potentiel à long terme dont disposent les entreprises les mieux positionnées au sein de leur secteur d’activité.

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