Difficile de ramener l’inflation à 2% quand les salaires augmentent encore

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Selon Axel Botte, stratégiste chez Ostrum, les actifs réels, les obligations indexées sur l’inflation et les actions sont des placements qui permettent de se protéger contre le renchérissement.

Le premier trimestre a été marqué par d’importantes tensions dans le secteur bancaire. Malgré tout, l’évolution de la conjoncture a été plus favorable que prévu. Le scénario de 2023 est même bien meilleur que celui auquel on pouvait s’attendre l’été dernier, estime Axel Botte, stratégiste chez Ostrum Asset Management. Entretien.

Le premier trimestre a été particulièrement animé, non seulement sur les marchés boursiers mais aussi en ce qui concerne l’évolution des attentes sur le plan macroéconomique, y compris en matière de politique monétaire. Entre le début de l’année, soit au moment où les perspectives pour 2023 ont été publiées, et la fin du mois de mars, qu’est-ce qui a le plus changé dans votre analyse de la situation?

Ce qui a vraiment changé la donne, comparé au début de l’année, ce sont les perturbations du système bancaire. En ce qui concerne le scénario économique proprement dit, celui-ci n’a pas tellement changé au cours du premier trimestre. L’économie américaine reste solide, avec une croissance du PIB de l’ordre de 3% (en termes annualisés). Dans la zone euro, les indicateurs économiques clés, comme les indices PMI européens, vont plutôt dans le sens d’une amélioration. Donc, pour l’essentiel, le scénario de 2023 est bien meilleur que celui auquel on s’attendait l’été dernier. On a une économie qui est en train de reprendre un peu de vitesse. Dans l’ensemble, notre scénario n’a pas vraiment changé, en dépit des turbulences boursières survenues à la mi-mars.

«Le choc énergétique est toujours en train de se diffuser au travers des coûts de production.»
Reste la question de l’inflation. Comparé aux pics de plus de 10% observés l’automne dernier, l’inflation globale est certes déjà redescendue au cours des premiers mois de cette année pour s’établir à 6,9% en mars. On a souvent entendu dire récemment que faire redescendre l’inflation de moitié pour la ramener aux alentours de 4%, en rythme annuel, était une chose mais que de réussir à la faire ensuite encore baisser aux environs de 2% en était une autre. N’est-ce pas la deuxième moitié du chemin qui s’avérera le plus difficile?

Il faut surtout établir une distinction entre l’évolution de l’inflation globale et de l’inflation sous-jacente. En dépit de la baisse du renchérissement en général, l’inflation sous-jacente s’est en effet maintenue dans la zone euro à un niveau relativement élevé de 5,6% en février (ndlr: elle est même remontée à 5,7% en mars, selon Eurostat) ce qui signifie que l’on ne peut pas parler d’une décélération rapide de l’inflation en Europe.

Il y a deux forces opposées qui agissent en ce qui concerne l’évolution des prix en Europe actuellement. D’un côté, il y a des facteurs qui favorisent son recul comme la baisse des prix du pétrole et de l’énergie ainsi que les dispositions gouvernementales pour la contenir, à l’exemple des trois trains de mesure mis en place en Allemagne en décembre, janvier, et février. De l’autre, il y a aussi certains segments de l’inflation qui sont, eux, toujours en accélération. Dans les services, les tensions inflationnistes sont encore importantes. Les prix des biens industriels continuent d’augmenter – le choc énergétique est toujours en train de se diffuser au travers des coûts de production. Enfin, il y a également les prix de l’alimentation qui continuent d’augmenter. C’est pourquoi, que le choc énergétique n’est pas encore totalement digéré. Mis bout à bout, ces différents éléments font que l’inflation demeure bien supérieure à 2%. Et cela devient à son tour un motif de revendication de hausses des salaires dans de nombreux secteurs. Il est ainsi très difficile de ramener l’inflation sous-jacente d’environ 5,5% à 2% quand les salaires continuent d’augmenter. Il y a une sorte d’inertie de l’inflation qui se met en place.

«Le FMI avait commencé à déployer son plan d’intervention lorsque la dette grecque avait atteint des niveaux de l’ordre de 115 à 120% du PIB.»
Vous ne vous attendez donc pas à ce que l’inflation redescende aux environs de 2% de sitôt…

Non, car une partie des composantes de l’inflation resteront bien supérieures à 2%. On assiste au contraire à une reprise haussière des coûts salariaux, avec des demandes d’adaptation des salaires en fonction du renchérissement. C’est une boucle prix-salaire classique.

Quelles seront les conséquences de cet environnement à moyen et long terme?

Cela signifie qu’il faudra compter avec une inflation plus élevée que durant la décennie précédente. Outre l’aspect des salaires, les transformations liées à la transition énergétique entraîneront davantage d’inflation. S’y ajoutent aussi les aspects géopolitiques, notamment la tendance à la démondialisation des échanges dans certains domaines. L’énergie, elle, est à nouveau utilisée comme une arme par certains Etats, par exemple si l’on observe les enjeux autour du gaz liquéfié. Enfin, il faut aussi tenir compte de l’impact à long terme du vieillissement de la population dans les pays industrialisés qui entraîne une attrition de la force de travail et qui peut constituer un frein à la croissance potentielle.

«Si le passé – la charge de la dette - vous coûte trois fois plus que ce que vous investissez pour l’avenir - les dépenses d’investissement public -, cela devient un problème.»
Quelles sont les conséquences de tous ces facteurs en matière d’investissement? Quels sont les actifs qu’il faudra privilégier dans cet environnement?

Mieux vaut miser sur les actifs réels, y compris certains secteurs de l’immobilier, car les revenus des loyers sont généralement indexés à l’inflation. Les obligations indexées sur l’inflation sont aussi un moyen de se protéger contre le renchérissement. Enfin, les actions sont également des placements qui bénéficient d’une forme d’indexation, étant donné que les chiffres d’affaires des entreprises évoluent aussi en fonction des hausses des prix.

Au niveau des Etats, quelles seraient les conséquences d’une inflation persistante durant plusieurs années, en particulier dans les pays fortement endettés?

C’est un aspect qui mérite aussi d’être surveillé. Si l’on prend le cas de la France, la dette publique avoisine les 113%. Or, si l’on se rappelle ce qui s’était passé après la crise financière au début de la dernière décennie en Grèce, le FMI avait commencé à déployer son plan d’intervention lorsque la dette grecque avait atteint des niveaux de l’ordre de 115 à 120% du PIB. Maintenant, il n’est pas facile de déterminer quelle est le seuil de dette par rapport au PIB qui commence à véritablement poser problème pour un pays donné. En Italie, la dette rapportée au PIB est déjà bien supérieure à celle de la France et l’Etat italien n’est pas pour autant en cessation de paiement. La véritable question est plutôt de savoir quelle est la part du budget qui peut être consacrée au service de la dette. Si le passé – la charge de la dette - vous coûte trois fois plus que ce que vous investissez pour l’avenir - les dépenses d’investissement public-, cela devient un problème. Dans les cas extrêmes, les marchés financiers se ferment. Le pays n’est plus en capacité d’aller sur le marché des capitaux pour emprunter ou pour renouveler ses emprunts. Dans cette situation, les gouvernements sont pressés de prendre des mesures d’économie immédiates pour résorber les déficits et, in fine, la dette, quitte à provoquer une récession. Le chemin pour faire baisser la dette devient alors très long. L’inflation élevée permet en général d’en rogner une partie. C’est peut-être ce vers quoi on s’oriente. En tout cas, en ce moment, les taux réels courants sont très négatifs.

A lire aussi...