«Nous insisterons sur la transparence fiscale»

Emmanuel Garessus

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Peter van der Werf, de Robeco, s’engagera aussi en 2023 pour une «transition juste» et la lutte contre l’esclavage moderne.

Peter van der Werf, fort d’une longue expérience dans les sciences environnementales et l’industrie alimentaire, a accompagné le développement de la finance durable depuis plus d’une décennie. Ces trois dernières années, son effort a porté sur les stratégies liées à la biodiversité au sein de Robeco, l’un des leaders de l’investissement durable. Il présente à Allnews ses priorités pour 2023.

Après une année 2022 difficile pour les indices durables, à quelle étape de l’investissement durable nous trouvons-nous?

Notre travail porte sur l’impact à long terme des défis de la durabilité et le respect de notre feuille de route pour 2050. Les performances à court terme enrichissent nos données, mais les entreprises sont toujours analysées en fonction de leur transition vers les objectifs de 2050 et de la mise en oeuvre de leur stratégie.

Il en est de même des questions de biodiversité, un thème majeur pour 2023, qui a trop peu attiré l’attention des entreprises et des investisseurs. C’est dans cette perspective que nous avons activement participé aux négociations du Global Biodiversity Framework à Montréal, en décembre. J’étais présent au Canada pour l’occasion, en tant que membre, depuis deux ans, du groupe d’investisseurs institutionnels qui a mis en place l’initiative «Nature Action 100». Cette dernière se concentre sur l’action des 100 entreprises systémiques en termes de biodiversité.

A plus court terme, ces défis s’ajoutent aux problèmes géopolitiques et au protectionnisme, américain et européen. Tous ces éléments, à court et à long terme, doivent être intégrés dans nos décisions d’investissement.

On assiste à un retour du nucléaire et du charbon. Est-ce que les efforts de définition des objectifs et la législation (SFDR, taxonomie) sont remis en question?

La principale réévaluation a porté l’an dernier sur l’énergie nucléaire, après avoir longtemps été considérée comme non investissable du point de vue de la durabilité. A court terme, en raison du conflit ukrainien et des questions d’indépendance énergétique, l’intérêt pour les centrales au charbon est en hausse. Mais à long terme l’objectif de décarbonation est prioritaire.

«Nous passerons beaucoup de temps en Asie afin d’analyser les progrès vers le passage des énergies fossiles aux énergies propres.»

Dans nos programmes d’engagement actuels, nous mettons fortement l’accent sur ce que nous appelons une transition juste. Il faut savoir que les résistances proviennent des conséquences sociales de la transition climatique. Les entreprises et les gouvernements doivent mettre en place les budgets qui financeront l’adaptation. Il en va de l’acceptation des politiques climatiques. Notre premier travail de recherche en 2023 porte sur ce sujet.

Personne ne désire une transition qui en soit pas «juste». Qu’entendez-vous par là?

Nous attendons des entreprises qu’elles accomplissent les stratégies qui aboutissent à une transition juste. Il y aura des perdants de la décarbonation. Des salariés perdront leur emploi. A travers la destruction créatrice, les changements technologiques seront douloureux. Des usines devront être fermées. Dans l’automobile, des ingénieurs sont compétents dans la production de moteurs à combustion interne alors que l’avenir appartient aux véhicules électriques. La main d’oeuvre devra être reconvertie et formée à cet effet. Les gouvernements devront financer des mesures d’accompagnement et les entreprises la reconversion des salariés.

Avec notre nouveau programme pour une transition juste, nous passerons beaucoup de temps en Asie afin d’analyser les progrès vers le passage des énergies fossiles aux énergies propres. L’Asie concentre les plus grands défis à ce sujet.

Est-ce que vous préférez les entreprises qui mettent en oeuvre les meilleures pratiques ou vous engager auprès de groupes qui ont encore un long chemin à parcourir mais auprès desquels une stratégie d’engagement porte des fruits plus significatifs? Dans ce 2e cas, ne courez-vous pas un risque de réputation dans la mesure où des activistes manifestent désormais devant des établissements qui ont une stratégie d’engagement?

Nous croyons beaucoup au pouvoir de l’engagement. L’un de nos fonds, le RobecoSAM Global Sustainable Development Goals Engagement Equities Strategy se concentre précisément sur les sociétés en transition et non pas sur les plus performantes en termes d’ESG. L’engagement crée de la valeur ajoutée et exerce un impact. Ce genre de débat est fréquent lors de nos discussions. L’important est d’être transparent avec les clients finaux. S’ils préfèrent les meilleurs élèves en durabilité, ils doivent trouver les sociétés correspondantes dans leur portefeuille. Nous devons remplir nos promesses. Les règlements SFDR contribuent à cet effort de transparence.

N’est-il pas nécessaire d’avoir une masse critique dans le capital d’une entreprise pour espérer avoir une influence?

Effectivement, si vous avez 51% du capital, vous pouvez exercer un contrôle total sur une entreprise. Si vous avez 20 ou 30%, vos obtiendrez un siège au conseil d’administration et serez également très influents. En tant qu’investisseur minoritaire, la réputation de notre travail dans l’investissement durable et dans l’engagement nous place dans une situation confortable auprès des entreprises. Peu importe que nous ayons 0,1% du capital, le management nous écoute et met à disposition beaucoup d’experts pour répondre à nos questions. La direction comprend que nous lui apportons une valeur ajoutée et qu’elle pourra s’améliorer. Le fonds cité plus haut se concentre à 100% sur l’engagement auprès du management des 38 entreprises du portefeuille. La qualité de notre recherche accroît notre impact.

«Nous insisterons en 2023 sur le besoin de transparence fiscale.»
Est-ce que le «greenwashing» aura disparu dans 5 ans?

Le «greenwashing» est un phénomène logique. Il y a toujours des sociétés qui par leur marketing essaient de tirer parti du fort développement d’une industrie. Le règlement SFDR est une bonne réponse à ce phénomène. Il accroît la pression sur les gérants d’actifs. Mais des progrès restent à faire dans la législation en fonction des progrès réalisés par les leaders de la durabilité. Pour notre part, nous voulons toujours que nos promesses soient satisfaites. Le risque de réputation est élevé pour ceux qui sont exposés aux accusations de greenwashing.

Votre définition d’une transition juste implique une hausse des coûts des Etats et des entreprises. Est-ce que votre recommandation incite à n’investir qu’en Europe?

L’engagement à participer à la transition climatique est sans doute plus fort en Europe. Mais nos programmes se concentrent beaucoup sur la région asiatique parce que les défis y sont considérables. Notre programme sur l’esclavage moderne analyse en profondeur l’atelier du monde qu’est l’Asie. Le besoin de main d’oeuvre bon marché et le non-respect des droits humains sont souvent problématiques dans cette région.

Enfin, nous insisterons en 2023 sur le besoin de transparence fiscale. Ce sont souvent les entreprises américaines ayant une forte propriété intellectuelle, à l’image des grands groupes technologiques, qui réalisent des profits en déplaçant des activités d’un pays à un autre et qui optimisent leurs impôts. Nous chercherons à les amener vers les meilleures pratiques fiscales, par exemple à l’aide d’une comptabilité fiscale par pays. L’impôt est un sujet sensible. L’investisseur ne veut pas payer trop d’impôts. Mais ce thème est crucial si l’on veut respecter les objectifs de durabilité. L’Etat est un acteur majeur de la transition climatique. Or l’impôt est la première ressource de ces Etats. Il s’agit de trouver un bon équilibre.

L’harmonisation fiscale est un fait, sous la direction de l’OCDE. Les Etats-Unis ne reconnaissent pas ces standards. Est-ce que cela signifie qu’il ne faut pas investir dans les sociétés américaines, mais seulement dans les européennes?

Les Etats-Unis autorisent des pratiques plus agressives en termes d’optimisation fiscale. C’est l’endroit où nous devons accroître nos efforts d’engagement auprès des entreprises.

En tant qu’investisseur, il n’est pas possible d’observer les coûts sociaux dans chaque pays. Comment investir sans cette transparence?

Effectivement. Le marché a besoin de davantage de clarté. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’engagement est utile. L’investisseur peut en effet définir ses objectifs, obtenir leur feedback et intégrer ces résultats dans l’évaluation d’une entreprise.

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