«Notre place économique est toujours attractive»

Philippe Monnier

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Karin Keller-Sutter, conseillère fédérale en charge des finances, conserve sa confiance envers les atouts suisses malgré les récents changements dans la fiscalité des entreprises.

© Keystone

Suite à la dernière réforme de la fiscalité des entreprises (RFFA) et du récent vote sur l’imposition minimale de l’OCDE/G20, la fiscalité suisse est-elle encore attractive pour les entreprises locales et étrangères? Interview de Karin Keller-Sutter, conseillère fédérale en charge du Département fédéral des finances.

L’année 2023 a été marquée par le rachat de Credit Suisse par UBS. Presque une année après, comment évaluez-vous les effets de cette crise sur l’économie et la finance suisse?

Il faudra plus de temps pour connaître les conséquences concrètes du rachat de Credit Suisse sur la place financière et sur l’économie suisse en général. En s’impliquant pour le rachat du Credit Suisse, le Conseil fédéral a voulu préserver la stabilité du système bancaire et éviter une crise financière, qui aurait pu être mondiale compte tenu de l’importance de Credit Suisse. De ce point de vue, l’objectif a été atteint.

Mais tout n’est pas terminé. Le processus de fusion avec UBS est encore en cours. Des licenciements ont déjà été annoncés et c’est évidemment regrettable. Il s’agira d’accompagner les personnes concernées le mieux possible afin qu’elles puissent rapidement réintégrer le marché du travail. Cette tâche relève de la compétence du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche.

Concernant la fiscalité, quelle est son importance pour attirer et retenir en Suisse des entreprises locales ou étrangères? Et quels sont les autres facteurs d’attractivité?

La fiscalité est un critère très important, mais la Suisse a beaucoup d’autres atouts à offrir. Nous avons notre stabilité politique, la qualité de notre formation, la diversité de notre tissu économique, la flexibilité du droit du travail, ou encore notre situation géographique au centre de l’Europe. Au final, les critères déterminants dépendront beaucoup du type d’activité et du marché de l’entreprise désireuse de s’installer en Suisse.

«Le taux minimum ne fera pas disparaitre la concurrence internationale pour attirer les entreprises. Jusqu’à présent, la Suisse a toujours réussi à tirer son épingle du jeu en offrant des conditions-cadres attractives.»
Durant la dernière décennie, considérez-vous que la Suisse est devenue fiscalement plus ou moins attractive pour les entreprises?

Depuis la dernière réforme fiscale, en 2020, la charge fiscale a légèrement baissé en Suisse pour les sociétés de capitaux. Notre place économique est toujours attractive mais les autres pays ne restent pas inactifs puisque la fiscalité a aussi tendance à baisser à l’étranger. De façon générale, les réformes internationales ont eu pour effet de réduire l’importance de la fiscalité dans la concurrence entre les pays.

Pour attirer des entreprises étrangères, quels sont les principaux concurrents fiscaux de la Suisse?

Les principaux concurrents de la Suisse varient selon le type d’activité. Les Pays-Bas et l’Irlande sont très compétitifs pour l’implantation des sites de production des entreprises européennes et américaines. S’agissant des activités financières, la concurrence se trouve principalement au Luxembourg et à Singapour. Mais malgré cette concurrence, la Suisse partage aussi avec ces pays des intérêts communs en matière d’imposition internationale des entreprises.

Certains d’experts soulignent que le taux minimum de l’OCDE de 15% aura peu d’effets concrets car, pour compenser et rester attractifs, certaines nations vont réduire d’autres impôts et/ou octroyer des nouveaux subsides (opaques) aux entreprises…

Les conséquences à moyen et long terme sont difficiles à évaluer. Ce qui est sûr, c’est que le taux minimum ne fera pas disparaitre la concurrence internationale pour attirer les entreprises. Jusqu’à présent, la Suisse a toujours réussi à tirer son épingle du jeu en offrant des conditions-cadres attractives.

Il ne sera en revanche pas facile de réduire d’autres impôts pour maintenir notre attractivité fiscale. Nous l’avons vu par le passé avec la réforme de l’impôt anticipé et la suppression du droit de timbre, qui ont été refusées en votation populaire. Il est donc capital pour la Suisse de consolider ses autres atouts.

«Au cours des dernières années, nous avons adapté nos règles fiscales aux normes internationales. Le respect de ces normes est contrôlé en permanence par les instances internationales compétentes.»
Pour s’assurer que leur taux d’imposition soit supérieur à 15%, est-ce que les grandes entreprises multinationales sises en Suisse seront obligées de tenir une comptabilité pour le fisc suisse et une autre comptabilité, avec des règles comptables différentes, pour l’OCDE?  

Les règles de comptabilité sont effectivement différentes. Les grandes entreprises devront donc calculer d'une part le bénéfice selon le droit suisse, d'autre part selon les règles de l'OCDE concernant l'application de l'impôt complémentaire. Ce sera plus compliqué qu’aujourd’hui.

Le droit fédéral et cantonal permet, moyennant certaines conditions, d’allouer aux entreprises des exonérations fiscales (maximum 100% pendant dix ans). Est-ce que l’imposition minimale de l’OCDE a aboli (y compris à titre rétroactif) cette possibilité?

Oui. Avec le taux minimal, ces exonérations tombent à l’eau si le chiffre d’affaires mondial des entreprises est supérieur à 750 millions de francs. Toutefois, le dispositif de l’OCDE prévoit aussi des exceptions dans certains cas bien particuliers, permettant de déduire les charges salariales et les actifs corporels. Ce sont ce qu’on appelle les déductions fondées sur des critères de substance. Le Conseil fédéral a proposé de reprendre ce type d’exonération.

Grâce au «step-up» mis en place lors de la dernière réforme sur l’imposition des entreprises, une multitude d’entreprises sises en Suisse ont la possibilité de payer de facto les «anciens taux» pendant dix ans. Cette possibilité subsiste-t-elle avec l’imposition minimale de l’OCDE?

Cette question est actuellement en discussion auprès des acteurs concernés.

Certains Etats étrangers reprochent à la Suisse son manque de transparence fiscale. Ces Etats avancent que les lois, ordonnances, circulaires, pratiques et rulings suisses sont assez opaques. Ses critiques sont-elles justifiées?

Ces critiques sont aujourd’hui complétement infondées. Au cours des dernières années, nous avons adapté nos règles fiscales aux normes internationales. Le respect de ces normes est contrôlé en permanence par les instances internationales compétentes. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements, dont nous sommes membre, a attesté à plusieurs reprises les progrès de la Suisse dans le domaine de l'échange d'informations fiscales.

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