Immobilier: le sentiment des investisseurs est à son plus bas historique

Yves Hulmann

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Seuls les emplacements centraux suscitent encore l’optimisme des investisseurs en Suisse, observe Beat Seger, associé et expert immobilier chez KPMG.

Un net ralentissement de la dynamique des prix est désormais anticipé par les acteurs du marché de l’immobilier en Suisse. Pour la première fois depuis dix ans, les professionnels du marché tablent sur des prix des placements immobiliers en baisse, constate KPMG Suisse, qui a publié mercredi le Swiss Real Estate Sentiment Index (sresi®). Cet indicateur avancé synthétise les évolutions attendues sur le marché suisse des placements immobiliers à la fois par les investisseurs, les promoteurs et les évaluateurs. L’indice, calculé depuis 2012, repose sur les réponses fournies par plus de 200 participants au marché qui représentent un volume de placement d’environ 300 milliards de francs. Les données ont été collectées entre le 16 août et le 10 octobre 2012.

Fin du «supercycle» de l’avis de 90% des sondés

En l’espace d’un an, l’indice sresi® est redescendu de son plus haut niveau historique, situé à +63,7 points en 2021 à son plancher historique, soit à -32,5 points en 2022. Dans ce contexte, les auteurs de l’étude n’hésitent pas à évoquer la «fin du supercycle» sur le marché des placements immobiliers en Suisse, un constat qui est partagé par neuf participants à l’enquête sur dix, avec des nuances. Seuls 10% des sondés pensent que l’on n’est pas encore arrivé à la fin du supercycle en matière de placements immobiliers.

«Seuls 10% des sondés pensent encore que l’on n’est pas encore arrivé à la fin du supercycle pour les placements immobiliers.»
Pessimisme très marqué chez les sociétés immobilières

Comment expliquer le passage d’un optimisme très marqué en 2021 aux attentes les plus pessimistes mesurées par l’indice en dix ans? Pour Beat Seger, associé et expert immobilier chez KPMG, la guerre en Ukraine, la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt expliquent en grande partie ce revirement de tendance.

D’importants écarts concernant les attentes du marché sont toutefois constatés en fonction des différents participants ont été interrogés. Ainsi, les sociétés immobilières, qui étaient encore très optimistes l’an dernier (+68,5 points), se montrent désormais les plus pessimistes (-48,7 points) cette année. C’est aussi le cas des investisseurs professionnels et privés (-41 points, contre +47 points en 2021) ainsi que des assureurs (-37,7 points, contre 82 points en 2021). A l’autre bout de l’échelle, le pessimisme est moins marqué chez les institutions de prévoyance (-17,1 points) et chez les développeurs de projets (-18,2 points).

L’immobilier résidentiel devrait le mieux résister

Si un climat plus pessimiste domine dans l’ensemble de l’analyse, les anticipations diffèrent néanmoins en fonction du type d’objet concerné, de la localisation (centres ou périphérie) tout comme elles varient considérablement d’une région à une autre du pays. Alors que seulement 1% des personnes sondées prévoyaient des prix à la baisse l’an dernier, plus de 40% des participants interrogés tablent sur une diminution des prix au cours des douze prochains mois. Les anticipations sont certes très négatives au sujet de certaines catégories d’objets comme les surfaces de vente (-88,9 points) ou celles dédiées à l’artisanat (-58,3 points). En comparaison, les sondés restent confiants au sujet de l’immobilier résidentiel (+35,8 points en 2022) même si, dans ce segment aussi, les attentes ont été revues à la baisse par rapport à l’an dernier (+119,2 points).

«Les sondés restent confiants au sujet de l’immobilier résidentiel même si les attentes ont ici aussi été revues à la baisse par rapport à l’an dernier.»
Les centres moyens et les agglomérations ont reperdu de leur attrait

Autre grand changement: seuls les centres gardent la confiance des acteurs du marché en ce qui concerne l’évolution future des prix. En 2022, les «emplacements centraux» bénéficient toujours d’estimations largement positives (+31,4 points), bien qu’en nette recul comparé à la valeur de l’an précédent (+109,8 points). Les «centres moyens et les agglomérations», qui bénéficiaient l’an dernier d’anticipations encore largement positives (+55,4 points) inspirent désormais moins confiance aux investisseurs avec une valeur redevenue négative (-26,2 points). Les attentes sont aussi beaucoup plus prudentes concernant les régions périphériques (-86,9 points cette année, contre -32,4 points en 2021). «Les gens n’ont pas tous déménagé vers les régions périphériques», constate Beat Steger.

Genève et Lausanne restent en zone positive

Par régions, Zurich est la ville où les acteurs du marché anticipent encore clairement des hausses de prix avec une valeur située à +44,9 points cette année (+114,4 points en 2021), suivie par Genève qui se maintient aussi en zone positive cette année (+14 points, après 81,7 points en 2021). C’est le cas aussi des régions de Lausanne (+8,5 points) et de Lucerne/Zoug (+5,1 points), même si ces valeurs sont aussi en net repli comparé à l’an précédent. A l’autre bout du classement, les anticipations sont les plus négatives pour Lugano (-77,8 points) et Saint-Gall (-50 points).

Durabilité: qui paiera les coûts additionnels?
Les questions en lien avec la durabilité occupent une place toujours plus importante aussi dans le secteur de l’immobilier. Dans sa dernière étude, KPMG a voulu savoir si les coûts ou les investissements qui résultent des mesures mises en place pour satisfaire aux exigences à venir d’après les critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG) sont pris en compte dans l’évaluation des portefeuilles immobiliers. Pour 63% des participants interrogés, ces coûts ou investissements supplémentaires ne sont pas entièrement pris en considération dans les valeurs des portefeuilles immobiliers.
Aux yeux de Beat Steger, les acteurs immobiliers n’auront néanmoins pas d’autre choix que de tenir compte des critères ESG pour continuer d’avoir accès à des sources de financement. Quant à savoir s’il sera possible à l’avenir pour les investisseurs de demander des loyers plus élevés aux locataires pour des locaux ou des appartements plus efficients d’un point de vue énergétique, le spécialiste du marché de l’immobilier en doute. Ce qui, aujourd’hui, constitue encore un «bonus vert», sera certainement considéré comme un standard à l’avenir, anticipe-t-il. A l’inverse, les biens immobiliers qui présentent un malus en termes d’émissions de CO2, ou «carbon discount», seront pénalisés plus fortement, ce qui affectera à terme aussi leur valorisation. (YH)

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