Marché du crédit: stop ou encore?

Guillaume Rigeade, Carmignac

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Certains risques demeurent sur le segment le plus performant de ces deux dernières années au sein des marchés obligataires et pourraient peser sur les marchés de crédit à l'avenir.

 

Du protectionnisme aux défauts il n’y a qu’un pas…

S'il est encore tôt pour définir l’impact du nouveau paradigme douanier qu’ont fait émerger les annonces de l’administration Trump, on peut déjà affirmer qu’il sera défavorable à certains émetteurs de crédit. Il apparaît en effet que les entreprises des industries telles que la consommation de base ou discrétionnaire ont déjà renoncé, faute de visibilité, à leur prévision de résultats pour l’exercice à venir.

Pire encore, certains modèles d’affaires ont déjà entrepris de restructurer leurs passifs, à l’instar du détaillant pharmaceutique Rite Aid, qui a annoncé son entrée en «Chapter 11» consécutivement à l’annonce de l’augmentation des droits de douane dans un contexte de forte pression sur les marges.

Force est de constater que les perturbations dans les chaînes de production mondiales se succèdent depuis désormais sept ans, depuis le début de la première guerre commerciale de Trump 1.0, en passant par la crise du Covid, ou encore le conflit russo-ukrainien, et rien ne semble plaider pour une amélioration à court terme eu égard au mouvement de moindre globalisation impulsé par les Etats-Unis.

Difficile dès lors d’imaginer une issue positive pour les sociétés industrielles ou exportatrices, à l’image de l’industrie automobile ou de la chimie, dont le modèle économique était basé sur un approvisionnement en matières premières à faible coût et des ventes à l’export dans des conditions favorables.

De surcroît, le surplus d’inflation ou l’incertitude vis-à-vis de celle-ci risquent de limiter fortement la capacité des taux à baisser, mettant en péril la capacité des émetteurs les plus endettés à se refinancer et contribuant de ce fait à une hausse des défaillances d’entreprises.

L’énergie et la finance: des secteurs à forte intensité capitalistique qui transcendent les problématiques géopolitiques

Certains secteurs semblent néanmoins mieux armés du fait de leur activité régionale ou de leur niveau de marge structurellement élevé pour faire face aux hausses des droits de douane et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Dans un scénario où le risque de récession à court terme, des deux côtés de l’Atlantique, semble relativement contenu, le secteur énergétique apparaît attrayant. Souvent évité par les investisseurs en raison de sa cyclicité ou de limites extra-financières, ce secteur offre une prime intéressante à notation équivalente. Après des décennies de sous-investissement, les acteurs de l’extraction, comme les sociétés de services pétroliers, ont réussi à rationaliser leur modèle d’entreprise et à rester bénéficiaires avec un brut gravitant dans une fourchette de 40 à 50 $. Ainsi, en plus d’offrir un rendement plus attractif, ce secteur fut le moins accidentogène parmi les segments du haut rendement au cours des derniers mois.

Le secteur de la finance constitue un exemple tout aussi éloquent de la valeur relative que peuvent offrir les marchés de crédit. Les émetteurs bancaires restent volontairement sous-représentés dans les allocations des investisseurs mondiaux, réminiscence de la grande crise financière de 2008. Le durcissement réglementaire qui s’en est suivi a fortement contribué à renforcer les capitaux propres des banques européennes. Si le constat n’est pas partagé outre-Atlantique, où la déréglementation durant le premier mandat de Donald Trump a contribué à fragiliser certaines structures, menant par exemple à la crise des banques régionales américaines de 2023, la solidité bilancielle des émetteurs européens est bien avérée. Celle-ci permet ainsi d’explorer l’ensemble de la structure de capital, des obligations de rang senior jusqu’à la dette subordonnée, y compris les obligations convertibles contingentes (CoCo) qui délivrent en moyenne un surcroît de rendement annuel de 400 points de base par rapport à la dette souveraine, à condition d’être minutieusement sélectionnées.

La juste prime

Depuis fin 2022, l’appétit des investisseurs pour les actifs de rendement est redevenu positif en termes réels. Cet afflux massif de capitaux sur la classe d’actifs du crédit a mené au renchérissement des valorisations. Ce phénomène a permis d’observer une volatilité contenue, en dépit de certains événements de grande ampleur, à l'instar des restructurations financières d'Altice et d'Atos l’an dernier. Nous pensons désormais qu’un tel enthousiasme est devenu excessif au regard des fondamentaux. En effet, la prime de risque pour le segment haut rendement gravite autour de niveaux de valorisation semblables à ceux observés avant l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine, ce qui paraît peu attractif compte tenu du changement de l’environnement de taux et des déséquilibres accumulés depuis 2022, qui constituent des catalyseurs pour une hausse des taux de défaillance.

Fort heureusement, la classe d’actifs du crédit est profonde tant en termes d'encours que de nombre d’émetteurs, entraînant une forte dispersion dans les valorisations. Les marchés du crédit étant moins efficients, le gérant obligataire actif dispose souvent d’opportunités pour construire des moteurs de portage attractifs tant en rendement absolu qu’en rendement excédentaire ajusté du risque.

En complément, face à l’incertitude et à une valorisation élevée des marchés dans leur ensemble, il convient de se protéger d’un éventuel mouvement d’aversion pour le risque. A ce titre, une stratégie de protection au travers de «credit default swaps» en face d’une sélection idiosyncratique d’émetteurs présentant des couples rendement/risque attractifs permet d’offrir une véritable protection pour les portefeuilles. Encore faut-il pouvoir s’écarter des indices.

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