Les 7 Magnifiques sous la loupe

Gérard Reber

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Parmi les sept géants, lesquels méritent encore d’être membres du club? Le point avec Roberto Cominotto, analyste actions chez Julius Baer.

En ce début d’année particulièrement turbulent, les marchés financiers attendaient avec impatience les premiers résultats trimestriels, ainsi que les déclarations des dirigeants concernant les perspectives à venir. Etant donné leur poids à Wall Street, les «Sept Magnifiques» étaient particulièrement attendus au tournant. Malgré leur influence, ils se sont retrouvés dans le collimateur de Donald Trump et de sa nouvelle administration, ce qui leur a coûté cher en Bourse. Peut-on encore parler des «Sept Magnifiques» aujourd’hui? Décryptage, entreprise par entreprise, avec Roberto Cominotto, analyste actions chez Julius Baer.

Les résultats du premier trimestre des célèbres «Sept Magnifiques» ont globalement dépassé les attentes du marché. Toutefois, dans un contexte marqué par les menaces tarifaires de Donald Trump, faut-il désormais distinguer les entreprises tournées vers le hardware (ou la production), potentiellement plus exposées, de celles spécialisées dans le software, a priori moins vulnérables?

Il reste difficile de formuler une opinion unifiée sur l’ensemble du groupe Mag7, tant sa composition est hétérogène. Nous opérons ainsi une distinction en interne, avec des recommandations d’achat pour Meta, Microsoft et Amazon, tandis que notre position demeure plus réservée à l’égard d’Apple, Tesla, Alphabet et Nvidia. L’évolution de la guerre commerciale et des flux de capitaux provenant des investisseurs particuliers sur le marché actions américain jouera également un rôle clé, tant ces facteurs influencent fortement certaines de ces valeurs très prisées.

«Compte tenu de perspectives de croissance modérées, nous considérons que la valorisation actuelle d’Apple apparaît élevée.»

Commençons par Apple. Particulièrement malmené ces derniers mois, et première victime potentielle des futures taxes douanières envisagées par Donald Trump, faut-il redouter de nouvelles turbulences pour le géant de Cupertino dans les trimestres à venir?

La situation tarifaire reste très évolutive, ce qui rend toute évaluation précise encore prématurée. Compte tenu de perspectives de croissance modérées, nous considérons que la valorisation actuelle d’Apple apparaît élevée. Par ailleurs, un risque non négligeable pèse sur l’accord très lucratif passé avec Google, qui prévoit l’utilisation de son moteur de recherche par défaut sur les appareils Apple. Cet accord, dont les versements annuels en espèces représenteraient jusqu’à 25 milliards de dollars de bénéfices nets, pourrait être remis en question. Une telle issue viendrait aggraver le ralentissement déjà préoccupant observé dans la division Services du groupe.

L’autre vilain petit canard en matière de performances boursières, c’est Tesla. Les prises de position politiques d’Elon Musk ont-elles définitivement freiné la trajectoire de croissance de l’entreprise?

Elles ont clairement pesé sur les résultats du premier trimestre, particulièrement décevants, et les chiffres du deuxième trimestre s’annoncent tout aussi faibles si l’on se fie aux statistiques de livraisons disponibles à ce jour. Sans les crédits réglementaires, Tesla n’aurait pas affiché de rentabilité au T1 2025. L’entreprise prévoit néanmoins de lancer un ou deux modèles plus abordables. Toutefois, leur design proche des Model Y et Model 3 pourrait cannibaliser la gamme existante.

La direction a su orienter l’attention des investisseurs vers des projets encore embryonnaires, comme les robotaxis et les robots humanoïdes. Ces segments sont aujourd’hui impossibles à évaluer sans recourir à des hypothèses hautement spéculatives : leur viabilité commerciale reste incertaine et aucun modèle économique clair n’a encore été défini. Ce manque de visibilité explique en partie l’extrême volatilité du titre, qui a plus que doublé… avant d’être divisé par trois au cours des quatre dernières années. Le prochain catalyseur potentiel du cours sera le lancement attendu du projet pilote de robotaxis à Austin, prévu pour juin.

En tant que roi du commerce en ligne, Amazon sera-t-il le premier à pâtir de l’intensification de la guerre commerciale?

La situation tarifaire reste évolutive, mais Amazon disposerait encore de quelques mois de stocks à écouler, ce qui permettrait d’en atténuer temporairement l’impact. Ce délai pourrait offrir à l’entreprise une marge de manœuvre pour ajuster ses approvisionnements ou adapter ses prix de vente.

Du côté du cloud, la croissance d’AWS a récemment été freinée par des contraintes d’offre, mais une reprise est attendue au second semestre 2025.

Alphabet reste particulièrement exposé aux avancées de ses concurrents dans le domaine de l’intelligence artificielle — comme en témoigne le recul récent de son action à la suite de l’annonce d’un partenariat entre Apple et OpenAI. Ce décalage technologique pourrait-il finir par lui coûter cher, notamment sur le segment publicitaire?

Nous restons convaincus qu’Alphabet est bien positionné pour tirer parti de l’IA, grâce à une expertise approfondie, une base de données massive, et un avantage structurel en matière de distribution: 15 de ses produits comptent chacun plus de 500 millions d’utilisateurs, et 6 dépassent les 2 milliards. Cela dit, sa domination historique sur la recherche — avec une part de marché avoisinant les 90% — semble vouée à s’éroder progressivement.

«Nous considérons toujours Meta comme l’un des acteurs les mieux positionnés pour monétiser l’intelligence artificielle de manière indirecte.»

Le procès antitrust visant Google Search a débuté en avril 2025, avec un verdict attendu pour août. Par ailleurs, le mois dernier, un autre tribunal a statué qu’Alphabet exerçait un pouvoir de monopole illégal sur le marché de la publicité en ligne. Ces contentieux continueront de peser sur le titre.

Malgré un environnement économique mondial incertain, la direction est restée évasive quant à l’impact potentiel sur le marché publicitaire, évoquant simplement les risques liés à la concurrence des plateformes asiatiques de commerce en ligne. Selon l’évolution du contexte tarifaire, nous identifions des risques non négligeables sur les budgets publicitaires.

Les résultats solides de Meta dissimulent-ils les déceptions enregistrées dans la réalité virtuelle? Et où en est le groupe sur le front de l’intelligence artificielle?

Meta a affiché une excellente performance sur les exercices 2023, 2024 et début 2025, rendant le titre vulnérable à une correction technique. Par ailleurs, 95% de ses revenus restent liés à des activités publicitaires cycliques. Pourtant, les résultats du premier trimestre, ainsi que les perspectives robustes pour le deuxième trimestre, ont largement dépassé nos attentes.

Nous considérons toujours Meta comme l’un des acteurs les mieux positionnés pour monétiser l’intelligence artificielle de manière indirecte: via une hausse de l’engagement utilisateur, de nouveaux services à destination des entreprises et des annonceurs, ainsi qu’un retour sur investissement nettement accru pour les publicités diffusées sur ses plateformes. Avec plus d’un milliard d’utilisateurs actifs mensuels, Meta AI est déjà l’assistant conversationnel le plus utilisé à l’échelle mondiale. A terme, celui-ci pourrait être monétisé via l’intégration de publicités ou de fonctionnalités de recherche.

En revanche, la hausse continue des pertes d’exploitation de Reality Labs reste une source de préoccupation légitime.

Difficile de trouver un faux pas du côté de Microsoft: le titre est d’ailleurs le seul parmi les «Sept Magnifiques» à évoluer proche de ses sommets historiques. Pourtant, son ratio cours/bénéfices (P/E) demeure relativement modeste comparé aux autres poids lourds de la tech. Alors, pourquoi l’action ne grimpe-t-elle pas plus franchement?

Microsoft a surpris positivement avec une croissance de 35% en glissement annuel pour sa division cloud Azure, marquant une nette ré-accélération. Nous continuons de considérer Microsoft comme l’un des principaux bénéficiaires structurels de l’essor de l’intelligence artificielle, grâce à l’intégration étroite de ses capacités d’IA dans un écosystème logiciel étendu et profondément ancré. Nous réitérons donc notre opinion positive sur le titre.

Reste Nvidia… Les pressions tarifaires lui ont coûté cher en bourse, Quelles sont les attentes des marchés pour la fin du mois?

Nvidia publiera ses résultats du premier trimestre le 28 mai 2025. Le groupe prévoit déjà d’y inclure une charge exceptionnelle pouvant atteindre 5,5 milliards de dollars, liée à ses puces H20. Bien que ces produits ne fassent plus partie de la gamme actuelle, ils sont encore largement utilisés par des entreprises chinoises pour l’entraînement de grands modèles de langage et le développement d’applications d’intelligence artificielle.

La restriction à l’exportation imposée par les autorités américaines ne se limite d’ailleurs pas aux seuls circuits H20. Elle s’étend à toutes les puces présentant des caractéristiques techniques équivalentes: bande passante mémoire, capacité d’interconnexion, ou toute combinaison de ces paramètres.

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