Parmi les dates et les noms qui marqueront l’histoire mondiale, nul doute que 2025 et Donald Trump en feront partie. Face au tournant que l’Histoire prend et dont nous gribouillons les premières lignes, une date et deux noms refont surface: 1776, Adam Smith et Thomas Jefferson.
Le 9 mars 1776, Adam Smith publiait la Richesse des Nations et entrait dans l’histoire comme le père de l’économie. Quelques mois plus tard, le 4 juillet 1776, Thomas Jefferson signait la déclaration d’indépendance, libérant les treize Colonies du joux anglais.
En 2026, nous fêterons le 250e anniversaire de ces écrits et une année de présidence sous la main visible de Donal Trump. La collision de ces anniversaires ne manquera pas de faire étincelles, entre passé progressiste et présent nostalgique, le choc des idées est assuré.
La «Richesse des Nations» et la «Déclaration d’Indépendance»
Thomas Jefferson a lu la Richesse des Nations qui est selon lui le meilleur livre au sujet de la monnaie et du commerce. Dans ce livre, Adam Smith présente plusieurs idées novatrices pour l’époque. D’abord, il critique le mercantilisme et défend le libre-échange et la division du travail. Il favorise un gouvernement discret qui garantit la propriété privée et l’application des lois pour un fonctionnement honnête des marchés.
Dans sa réécriture de l’Histoire, Trump intervertit les mots et pervertit le sens des textes fondateurs.
Dans la Déclaration d’Indépendance signée par Thomas Jefferson (à lire absolument, disponible en français et traduite par Thomas Jefferson – cliquez sur le lien), les treize colonies se fédèrent et se libèrent du joug du Royaume-Uni. Ce texte politique énumère les privations et interdictions que Georges III imposaient aux colonies du nouveau monde, empêchant aux hommes, tous nés égaux, de poursuivre les droits inaliénables, comme la vie, la liberté et la poursuite du bonheur. «Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement.»
L’Indépendance des Richesses et la Déclaration des Nations
Dans sa réécriture de l’Histoire, Trump intervertit les mots et pervertit le sens des textes fondateurs. Lorsque dans une année nous commémorerons la Richesse des Nations et la Déclaration d’Indépendance, nous aurons également une année de présidence de Trump 2.0, un premier bilan.
Durant les dernières 75 années, la richesse des Etats-Unis a crû fortement. Le PIB réel a été multiplié par 11,1, le revenu réel disponible des ménages par 11,7 et la fortune réelle des ménages par 16. L’accumulation des richesses s’est accélérée depuis la fin des années 1970 pour atteindre 7,7 fois le revenu disponible et 5,7 fois le PIB comme l’illustre le graphique 1.
Graphique 1: La richesse des ménages américains
Source: Financial Account of the United States – z.1, Yves Longchamp
Les ménages américains ont donc largement bénéficié de la prospérité économique mondiale en particulier ces 50 dernières années. Cette prospérité n’a cependant pas été répartie équitablement dans la population comme chaque visiteur de ce magnifique pays le remarque rapidement. L’indice de Gini confirme l’augmentation des inégalités ces 50 dernières années parallèlement à l’accélération de l’accumulation des richesses.
Le problème est donc la distribution et non la création de richesse. Imposer des tarifs douaniers est inapproprié et dangereux pour les Etats-Unis. Avec en perspective un risque de stagflation, mélange d’inflation et de chômage, ou de récession, les tarifs douaniers impacteront directement les ménages américains en réduisant leur pouvoir d’achat, alimentant les tensions sociales existantes.
Pour les milliardaires, la levée de tarifs douanier n’est pas non plus une bonne nouvelle. Les dix plus grandes fortunes mondiales, dont la plupart sont américaines, ont perdu 74 milliards de dollars dans les jours qui ont suivis le jour de la Libération selon Business Insider, un montant colossal. Parmi les grands perdants se trouvent Jeff Bezos et Elon Musk pour 16 et 11 milliards de dollars respectivement. A noter que ce dernier vient d’annoncer que les tarifs étaient «une énorme erreur politique». Oups!
Au-delà de l’anecdote personnelle de ce grand perdant, la richesse des ménages américains est étroitement liée au marché action: la corrélation est de 0,71 (graphique 2). Un tiers des actifs détenu par les ménages est de l’immobilier, les deux tiers restant des actifs financiers. Parmi ceux-ci, la moitié sont des actions.
Graphique 2: Richesse des ménages américains et indice boursier (NYSE)
Source: Bloomberg, Financial Account of the United States – z.1, Yves Longchamp
Comme l’écrivait Adam Smith il y a près de 250 ans, le libre-échange et la division du travail est source de prospérité et de richesse. Les barrières au commerce international entravent la croissance et freinent l’accumulation de richesse. Il n’y a pas d’indépendance des richesses, pas de mercantilisme.
Finalement, revenons à Thomas Jefferson et à la Déclaration d’Indépendance. La concentration des pouvoirs dans les mains de Trump 2.0 et sa volonté de se présenter pour un troisième mandat est suffisamment sérieuse pour que les bookmakers lui attribuent 18% des chance de réussite selon un récent article du Financial Times. Si tel devait être le cas, nous changerions de régime, transformant Trump 3.0 en Trump III, plus proche du Georges III de la Déclaration d’Indépendance que d’une déclaration des nations par les urnes.
Conclusion
En demandant trop, Trump espère obtenir beaucoup. Mais demander trop c’est aussi risquer la rupture. La nouvelle volte-face du président qui consiste à uniformiser à 10% les tarifs douanier pour 90 jours, à l’exception de la Chine (125%), montre qu’il ne peut faire la pluie et le beau temps seul.
Succès pour Trump et défaite victorieuse pour le reste du monde, nous sommes tous perdant avec des tarifs douaniers. Le jeu des négociations, des menaces, des représailles et finalement des concessions débute. Trump se félicite d’imposer 10% à l’économie mondiale et de punir la Chine, rassurant quelque peu sa base et désamorçant les tensions dans son administration.
A l’exception de la Chine, le reste du monde apprécie ce répit au goût doux amer d’une défaite victorieuse. Après tout, 10% est le moins pire des tarifs réciproques possible. Merci aux marchés financiers d’avoir sonné l’alarme à l’unisson.
Quoique soit le résultat final des négociations, l’introduction des tarifs douaniers marque le commencement d’une nouvelle ère qui modifiera durablement la richesse des nations.