L’Association suisse des banquiers (ASB) a présenté mardi à Genève ses perspectives pour la branche ou Swiss Banking Outlook Update. L’association, qui compte aujourd’hui 265 organisations membres et emploie 93 299 personnes en équivalent à temps en Suisse, en a profité pour rappeler que près d’un quart de ses membres sont basés en Suisse romande. Quant aux perspectives pour 2025, hormis l’impact de taux d’intérêt plus faibles escomptés avec un taux de la BNS attendu à 0,25% d’ici le milieu de l’année par une majorité d’experts interrogés parmi les membres de l’association, Martin Hess, responsable de la politique économique à l’ASB, a aussi mis en perspective les effets des incertitudes sur le plan géopolitique pour la branche.
La présentation des perspectives pour la branche a également été l’occasion de faire le point les implications des règles de Bâle III final sur le secteur bancaire et la réglementation du marché hypothécaire avec Remo Kübler, responsable des marchés de capitaux et de crédit auprès de l’Association suisse des banquiers (ASB). Entretien.
Au sujet des règles de Bâle III, entrées en vigueur au début de cette année, vous avez déclaré que la Suisse devait appliquer ces règles mais ne pas chercher à jouer à l’élève modèle. Y a-t-il des raisons qui vous font penser que le régulateur helvétique ferait un excès de zèle, ou mettrait sur pied un «Swiss Finish» non indispensable dans ce domaine?
Tout d’abord, il faut noter que la Suisse a pris les devants sans nécessité en mettant en vigueur Bâle III final le 1er janvier, alors que d’autres pays ou juridictions n’ont pas encore ou juste partiellement mis en œuvre les nouvelles règles. Cette fragmentation régulatoire désavantage clairement la place financière suisse par rapport à d’autres places financières globales.
«La Suisse a pris les devants sans nécessité en mettant en vigueur Bâle III final le 1er janvier, alors que d’autres pays ou juridictions n’ont pas encore ou juste partiellement mis en œuvre les nouvelles règles.»
En ce qui concerne le marché hypothécaire, mon domaine de compétence, la nouvelle pondération des risques, plus élevée, qui s’applique aux crédits pour des immeubles de rendement, me semble être une sorte de «Swiss Finish». Cette pondération va jusqu’à un tiers au-delà de ce que prévoit Bâle III final. Il était certes prévisible que les autorités augmenteraient les pondérations des risques, surtout pour compenser la non-introduction d'une formule rigide pour la capacité financière, mais les majorations finales se sont avérées trop importantes. Nous avions déjà mis en garde contre cette situation en septembre 2022 (prise de position).
Bâle III final a-t-il vraiment un impact sur les coûts de financement des biens immobiliers?
Lorsqu’il s’agit du financement de l’achat de logements à usage propre, cela n’a que peu ou voire pas d’impact. S’agissant des immeubles de rendement, la nouvelle pondération des risques accrue peut effectivement conduire à une augmentation des coûts pour l’emprunteur, surtout s’il s’agit de quotité de financement élevée, par exemple 75% ou 80%. On parle ici d’augmentations de 0,3 à 0,5 point de pourcentage. Un tel renchérissement peut dans certains cas rendre non viable un financement, c’est pourquoi Bâle III final a tendance à favoriser les investisseurs institutionnels sans apport de capitaux extérieurs, soit sans crédit d’une banque.
Le renforcement de la pondération des risques s’appliquant aux objets de rendement est-il selon vous une sorte d’autogoal au moment où la Suisse manque de logements?
Évidemment, cette augmentation de la pondération des risques pour les immeubles de rendement ne contribue pas à atténuer la crise du logement. Néanmoins, il y a d’autres aspects qui ont une incidence plus importante, comme – entre autres choses – la mentalité de type «not in my backyard», à savoir que tout le monde souhaite que l’on construise davantage, sauf quand un projet est prévu près de chez vous. Cela se traduit par un nombre insuffisant de permis de construire et la durée trop longue des procédures. Enfin, il faut aussi tenir compte de la hausse des coûts de construction et des matériaux. En comparaison de ces différents facteurs, l’importance des règles de Bâle III est certainement moins marquée.
«Lorsqu’il s’agit du financement de l’achat de logements à usage propre, cela n’a que peu ou voire pas d’impact.»
Y a-t-il d’autres domaines ou activités en lien avec le secteur bancaire qui seront fortement affectés par les règles de Bâle III?
Il faut être bien conscient que parmi les centaines de pages que compte ce nouveau standard du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, seules 6 ou 7 pages concernent spécifiquement le marché hypothécaire. Une grande partie de Bâle III final adresse d’autres risques de crédit, par exemple le financement des entreprises, ou des sujets différents comme les risques de marché ou les risques opérationnels, par exemple en lien avec la IT.
Dans l’ensemble, il est important de préciser que l’Association suisse des banquiers (ASB) n’est pas contre les règles de Bâle III Final; bien au contraire, l’ASB soutient un standard global en la matière de la réglementation de fonds propres. Ce qu’on redoute c’est une mise en œuvre anticipé. Et de plus, simplement, nous souhaitons une implémentation qui respecte les spécificités suisses et un cadre réglementaire qui soit comparable à celui qui s’applique aux autres banques actives à l’international.
Lors de la publication des résultats annuels effectuée récemment par différents établissements bancaires helvétiques, beaucoup de banques ont insisté sur le fait que leur ratio de fonds propres, comme le CET1 ou d’autres ratios de liquidités, sont supérieurs aux exigences réglementaires. Est-ce avant tout le cas pour des motifs d’ordre marketing ou dans le but d’anticiper à l’avance des règles qui pourraient devenir plus strictes à l’avenir?
Ces deux aspects ne s’excluent pas. Beaucoup de banques, lorsqu’elles voient qu’un ratio X est exigé, vont d’emblée souligner qu’elles disposent d’un ratio X à quoi s’ajoute une marge additionnelle de tant de pourcent. C’est une manière de montrer qu’elles disposent d’un coussin de sécurité, qui est apprécié à la fois par les investisseurs et le public.