
Au combat, l’armée de l’air américaine applique le protocole OODA qui consiste à observer, orienter, décider puis agir. L’expérience montre que les pilotes les plus rapides dans la mise en œuvre de ce protocole sont les mieux placés pour gagner le combat. Ce processus s’applique également aux entreprises: les dirigeants à l’aise avec la technique prennent souvent l’avantage lorsque les enjeux sont élevés. Ils n’ont pas besoin d’écrire et de tester les logiciels eux-mêmes, ni de configurer des centres de données. Par contre, ils doivent posséder une compréhension approfondie des technologies et de leur complexité. En tant qu’investisseurs dans les entreprises à la croissance exceptionnelle, nous recherchons les entreprises menées par des dirigeants technophiles.
La conviction de Zuckerberg
A de multiples reprises, Mark Zuckerberg a démontré sa capacité à transformer rapidement des technologies émergentes en objets concrets. Prenons l’exemple de son achat colossal de puces haut de gamme de NVIDIA, les H100, en 2022: à l’époque, cette injection massive de capital dans l’infrastructure était tout sauf évidente. Mais elle a porté ses fruits: lorsqu’OpenAI a lancé son robot conversationnel ChatGPT, d’autres acteurs se sont précipités pour acheter des H100 ce qui a provoqué une flambée des prix. Cependant, Meta a réussi à développer son propre grand modèle de langage, Llama, ainsi que les services qu'il alimente, plus rapidement et à moindre coût.
Dans un environnement qui évolue rapidement, il faut pouvoir compter sur une personne qui maîtrise parfaitement la technologie et qui est capable de souplesse dans sa prise de décision.
Meta a plusieurs façons de tirer parti de Llama, l'une des plus prometteuses étant son utilisation dans les agents conversationnels des entreprises. Curieusement, Llama est offert en «open source» alors qu’Open AI, Google et d’autres verrouillent leurs codes et facturent des frais d’accès à leurs modèles.
L’idée de Mark Zuckerberg est que la gratuité de Llama permet à d’autres de l’utiliser sur leur propre matériel. Cet élargissement de la communauté des utilisateurs devrait aider à trouver des moyens de réduire ses coûts de fonctionnement, un avantage qui pourrait s’avérer très précieux pour Meta sur le long terme. D'autant plus qu'au passage, il «mine» les modèles d’affaires de ses concurrents!
Shopify et les fondamentaux de l’architecture
Shopify profite également du savoir technologique de son PDG, Tobi Lütke. Ayant appris à programmer en basic dans les années 1990, il continue à chercher l’inspiration dans l’apprentissage des langages de programmation. Il souligne par exemple que Nix, langage qui met l’accent sur la reproductibilité, a eu une influence directe sur la réorganisation des ressources humaines au sein de Shopify. Ce remaniement a permis à l’entreprise de gagner en cohérence et en efficacité dans l’affectation de son personnel à différents projets.
Tobi Lütke a également tiré parti de sa mentalité d’ingénieur pour développer le produit phare de Shopify, un logiciel d’assistance au commerce en ligne. Après avoir lancé Shopify Plus, l’entreprise a ajouté Shopify Functions. Tout cela parce qu’en 2016 Tony Lütke a pris la décision de faire évoluer l’architecture de son logiciel. Conçue initialement sur la base d’un modèle monolithique et fortement interconnecté (dans lequel la moindre modification est susceptible de déclencher une cascade de problèmes), elle est devenue modulaire. Cela signifie que chaque partie a ses propres frontières et peut être développée et entretenue indépendamment des autres. Le génie de Lütke a été de comprendre que l’architecture détermine l’éventail de stratégies commerciales susceptibles d’être déployées.
Roblox et le clavardage
L’IA générative remodèle le possible pour Roblox, entreprise dont le PDG David Baszucki focalise son attention sur les attentes de son public. Ainsi, pour les jeux de créateurs, c’est la suppression du temps de latence qui a été privilégiée, plutôt que la recherche de réalisme dans le graphisme ou l’augmentation du nombre d’images vidéo par seconde.
Roblox fait preuve d’un pragmatisme similaire dans son approche de l’IA. Par exemple, en février dernier, elle a commencé à utiliser un grand modèle de langage (LLM) pour la traduction en temps réel des conversations entre joueurs qui s’expriment dans l’une des 16 langues couvertes par le système. L’entreprise a également élaboré des outils d’assistance au codage pour les concepteurs de jeux, outils qui les aident à concevoir des personnages et des objets virtuels.
Ces apports améliorent les expériences que les concepteurs peuvent offrir sur Roblox, ce qui incite les joueurs à passer plus de temps et à dépenser davantage sur la plateforme. L’entreprise a sciemment évité d’utiliser les modèles d’IA plus puissants, car le traitement de chaque requête aurait eu un coût prohibitif. Elle leur a préféré des alternatives «open source» plus économiques, exprimant la conviction de David Baszucki que l’avantage compétitif de Roblox réside dans l’abondance des données propriétaires auxquelles la plateforme peut appliquer ces modèles.
Spotify et les artistes artificiels
Daniel Ek, le fondateur de Spotify, est un autre exemple de dirigeant technophile. Séduit par ChatGPT dès le début, il a été l’un des premiers à prendre une licence pour cet agent conversationnel afin d’alimenter sa fonctionnalité AI DJ qui divertit les abonnés entre deux morceaux de musique.
L’IA générative pourrait déboucher sur une explosion de contenu sur la plateforme musicale. Elle facilitera le remixage et la création de chansons et il est possible que la fabrication d’artistes artificiels devienne monnaie courante.
L’un des grands défis de Spotify a été d’arriver à un accord sur les montants versés aux maisons de disques et aux auteurs pour chaque chanson diffusée en streaming. Comment cette problématique évoluera-t-elle dans un univers de contenus générés par l’IA? Comment les algorithmes du service de diffusion intégreront-ils les différences de perception des abonnés vis-à-vis des contenus? Comment Spotify pourra-t-elle éviter d’être saturée par les artistes artificiels?
Toutes ces questions sont actuellement sans réponses. Néanmoins, dans un environnement qui évolue rapidement, il faut pouvoir compter sur une personne qui maîtrise parfaitement la technologie et qui est capable de souplesse dans sa prise de décision.
Les changements à venir se feront sur des années et notre avantage viendra de l’importance de nos interactions avec des dirigeants clairvoyants, capables de s’adapter et desquels nous pourrons apprendre. Travailler en partenariat avec ce type d’entrepreneurs est devenu primordial à l’ère de l’intelligence artificielle.