Agathe Bouché Berton, analyste financière chez Bordier & Cie, couvre aussi bien le luxe que la santé, les minières et la chimie. A la veille des publications de résultats, elle répond aux questions d’Allnews sur les perspectives boursières et sur les thèmes les plus actuels de ses secteurs:
A l’orée du deuxième semestre, quelles sont les perspectives des actions liées aux matières premières?
Ce secteur a été pénalisé par la récession manufacturière en 2023. Après avoir touché un point bas mi-2023, les PMI manufacturiers se sont redressés au niveau mondial, entraînant une reprise boursière au cours du premier semestre. Mais la tendance manufacturière reste faible et incertaine. Une reprise sera nécessaire pour espérer une appréciation boursière plus durable.
Au-delà de ces facteurs à court terme, la transition énergétique représente une opportunité à moyen-long terme. Les perspectives s’annoncent favorables pour les matières premières qui y joueront un rôle, offrant ainsi des opportunités d’investissement. Nous favorisons le cuivre, ressource incontournable, très présente dans les solutions bas carbone et pour laquelle la demande issue de la transition viendra s’ajouter aux besoins traditionnels.
Ne s’est-il pas très vite apprécié?
Il s’est apprécié et dépend de l’environnement macroéconomique, mais les perspectives à moyen terme sont favorables et devraient représenter un soutien pour les minières qui y sont exposées en relatif par rapport au secteur. Du fait d’un sous-investissement en capacité de production sur la dernière décennie et d’une baisse de la teneur en cuivre des mines existantes, l’offre est sous contrainte et nécessite de nouveaux projets. Il faut en moyenne 17 ans pour développer de nouvelles mines. Les conditions pour porter ces projets sont de plus en plus difficiles, avec des barrières politique, environnementale et sociale en augmentation.
L’année 2024 est un parfait exemple. Il y a un an, le marché anticipait un excès d’offre qui s’est transformé en déficit fin 2023, avec les baisses de production de Rio Tinto, Anglo American, et surtout la fermeture, pour des raisons environnementales, de la mine Cobre Panama, représentant 1,7% de la production mondiale.
«Pour le luxe, la base de comparaison redeviendra plus favorable au second semestre et un point d’entrée pourrait émerger après l’été».
Ces contraintes seront d’autant plus visibles lorsque la demande manufacturière repartira, ce qui se traduira par une appréciation du prix du cuivre.
La transition énergétique peut-elle être remise en cause par ce problème?
La transition énergétique ne sera pas remise en cause. Mais ces facteurs peuvent ralentir le mouvement, avec un déficit d’offre qui s’annonce plus prononcé post-2026.
Quel groupe minier vous paraît attractif dans ce secteur?
Spécialisée dans le cuivre, la société américaine Freeport-McMoRan est bien positionnée pour en profiter. Un recul du titre, du fait de l’incertitude manufacturière, serait une occasion pour se positionner.
La déglobalisation pénalise-t-elle les groupes miniers?
La déglobalisation représente avant tout une opportunité pour les groupes miniers en raison des investissements associés au «reshoring». Le développement industriel implique des besoins accrus en matières premières. Afin de sécuriser leur approvisionnement, les pays nouent des alliances stratégiques. Ces alliances sont cruciales pour les régions dépendantes des importations.
Les valeurs du luxe consolident. Est-ce une opportunité d’achat?
Les résultats semestriels seront faibles, en raison d’une base de comparaison élevée. Ce sera une étape importante pour le secteur, très attendue par les investisseurs. Après des années de forte croissance, avec des ventes en hausse de 12% par an entre 2019 et 2023, nous assistons à une phase de ralentissement pour se diriger vers une normalisation des taux de croissance qui devrait s’établir autour de 8%. Pour le luxe, la base de comparaison redeviendra plus favorable au second semestre et un point d’entrée pourrait émerger après l’été. Les évolutions géographiques seront en ce sens à surveiller.
L’environnement est difficile en Chine, impacté par la crise immobilière, un taux de chômage élevé, surtout chez les jeunes. Il y a un manque de confiance du consommateur. Sur le premier trimestre, le «cluster» chinois (incluant la Chine et l’activité touristique) était toujours en territoire positif.
L’Europe a débuté son ralentissement au second semestre 2023 et devrait rester difficile. Les Jeux Olympiques ne sont historiquement pas un événement très porteur pour les ventes de produits de luxe.
Les Etats-Unis ont en revanche été la première région à ralentir, dès le premier trimestre 2023. L’activité est restée faible en début d’année mais son évolution sera scrutée lors de la prochaine publication, après six trimestres de ralentissement.
A quel point les groupes de luxe français sont-ils pénalisés par la situation politique française?
Le climat politique français crée une incertitude pour les sociétés françaises en général. Mais, le luxe ne fait pas partie des secteurs les plus pénalisés. Les sociétés ont une forte activité à l’internationale. La France représente 7-9% du CA des groupes.
«Spécialisée dans le cuivre, la société américaine Freeport-McMoRan est bien positionnée pour en profiter.»
Quel facteur conduit à une surperformance dans le luxe?
Le positionnement de la marque est déterminant pour assurer son succès. LVMH, Hermès, Brunello Cucinelli ou Moncler en sont de bons exemples, à l’inverse de Gucci ou Burberry, manquant d’attrait et en phase de transition. En période de ralentissement, ces dernières sont d’autant plus pénalisées.
Le mix de clientèle est important. Hermès est le groupe le plus résilient parce qu’il profite notamment d’une forte proportion de clients fortunés (VIC ou «Very Important Customers»). L’exposition de LVMH se partage entre une clientèle VIC mais également des consommateurs plus sensibles à la conjoncture.
Richemont est devenu plus résilient qu’auparavant en opérant un repositionnement vers la joaillerie, moins sensible à la conjoncture que les montres, et grâce à un meilleur contrôle des stocks chez les détaillants dans l’horlogerie. Mais le groupe ne sera pas immunisé contre les aléas conjoncturels.
Quel rôle jouera la Chine dans les perspectives de ces groupes?
La Chine représente un quart du chiffre d’affaires des groupes de luxe, après un pic d’un tiers avant Covid. Marché relativement récent pour le secteur, la région restera importante et devrait redevenir à moyen terme un contributeur à la croissance.
Dans la santé, quel secteur vous paraît-il le plus prometteur?
Dans l’environnement macroéconomique actuel, la pharma, au profil défensif, et les sous-traitants comme Lonza disposent de bonnes perspectives. La santé est passée par une phase de normalisation post-Covid qui s’achève et devrait laisser place à une croissance structurelle. À l’exception de certains segments qui ont connu un succès boursier, les performances ont été assez mitigées pendant cette période. Le secteur a surtout été porté par les thérapies GLP-1 dans l’obésité, avec des appréciations remarquables de Novo Nordisk et Eli Lilly.
L’innovation reste élevée et la valorisation est raisonnable pour la plupart des sociétés, à l’image d’AstraZeneca et Merck & Co qui retrouvent une tendance haussière.
La dispersion est très forte. Faut-il rester investi dans les leaders comme Novo Nordisk?
La population atteinte d’obésité augmente chaque année. Elle touche plus de 800 millions d’individus et très peu sont traités à ce stade faute de capacités et de remboursements suffisants par les assureurs. L’obésité est une maladie complexe, représentant un défi pour le système de santé, avec un risque plus élevé de développer des comorbidités. Les GLP-1 apportent une vraie solution, avec une perte de poids pouvant atteindre plus de 20% mais également un bénéfice démontré au niveau cardiovasculaire. Les sociétés ont un large programme clinique pour évaluer les bienfaits sur les facteurs de comorbidité. Le thème devrait rester porteur à moyen terme.
De nouveaux traitements émergent, avec une efficacité souvent supérieure mais une tolérance généralement moins favorable. La concurrence n’apparaît pas «disruptive» à ce stade et permettra surtout d’accroître la taille du marché. L’enjeu consiste à développer les capacités suffisantes pour faire face à la demande et à démontrer un bénéfice sur les comorbidités afin de pouvoir convaincre davantage d’assureurs de rembourser les traitements.
Est-ce que la valorisation de Novo Nordisk et Eli Lilly ne vous fait pas peur?
Le multiple de PE à 12 mois atteint 38 fois pour Novo ou encore 56 fois pour Lilly, ce qui est très largement supérieur à la moyenne du secteur. Mais le PE ramené à la croissance attendue ces trois-quatre prochaines années est de 1,7 fois. Ce ratio apparaît raisonnable, sachant que beaucoup de pharmas se traitent à plus de 2 fois. Le risque serait bien entendu une remise en cause des projections de croissance, qui n’est pas d’actualité.
Qu’attendez-vous de Roche?
Après deux années difficiles, les attentes du marché se sont réduites. Le titre pourrait revenir à un meilleur niveau. Les résultats cliniques ont été défavorables pour le cours de bourse en 2022, et 2023 a été une année sans nouvelles majeures. A l’aube de 2025, le flux de nouvelles cliniques va s’accélérer et des traitements pourraient émerger, qui n’étaient pas forcément attendus par le marché. L’acquisition de Carmot, spécialisée dans l’obésité, comprend une molécule en phase I dont l’efficacité paraît intéressante. Mais il sera nécessaire de connaître le profil de tolérance. Roche dispose d’un savoir-faire qui lui permettra de bâtir des capacités dans ce domaine. Le groupe est prêt à effectuer de nouvelles acquisitions afin de renforcer son pipeline, à l’image des deux dernières transactions, Carmot Therapeutics et Telavant.
Que pensez-vous des réorganisations effectuées par Novartis et de l’américanisation de sa présidence?
Giovanni Caforio, le futur Président, est italo-américain et vient du groupe américain Bristol Myers Squibb. Vas Narasimhan, le CEO, est un médecin bénéficiant d’une excellente réputation. Sachant que les Etats-Unis représentent entre 30% et 40% des ventes de l’industrie pharmaceutique, ces choix font sens.
Novartis a réalisé un bon travail de recentrage sur la pharma. L’action a réagi positivement à ces changements. La croissance devrait se poursuivre au rythme prévu, c’est-à-dire d’environ 5% par an à long terme.
Les sous-traitants suisses de la pharma disposent de positions clés. Est-ce que certains appartiennent à vos favoris?
L’innovation demeure forte dans le secteur biopharmaceutique et les grands groupes cherchent à diversifier leurs capacités de production, les sous-traitants sont donc intéressants.
Lonza a été pénalisé par les changements de CEO et une mauvaise communication. Les récentes évolutions, avec de nouveaux Président, CEO et directeur de la communication, devraient amener une stabilité managériale et une meilleure communication. Lonza est bien positionné sur son marché. Le contrat avec Moderna s’est achevé l’an dernier et des indemnités financières ont été obtenues. L’effet de base est donc défavorable en 2024, mais la croissance devrait repartir en 2025. Par ailleurs, le projet de loi BIOSECURE Act, visant à suspendre les financements gouvernementaux aux sociétés de biopharmacie en lien avec certains sous-traitants Chinois pourrait bénéficier à un acteur comme Lonza.
Quelle action, dans la santé, dispose du plus grand potentiel?
Lonza dispose d’un bon potentiel à moyen terme. Roche se situe sur des niveaux attrayants, avec peu d’attentes de la part du consensus. Les perspectives d’AstraZeneca, avec un pipeline riche et innovant en oncologie, et Merck & Co restent porteuses. Sans oublier Novo Nordisk, dont les fondamentaux ont été développés précédemment.
A la veille des élections, pour quelle raison ne parle-t-on plus du risque démocrate avec la pharma?
Le président Joe Biden a dans le cadre de la promulgation de l’Inflation Reduction Act (IRA) fait passer une réforme sur les prix des médicaments. L’IRA réduit ainsi ce risque autour des élections pour l’industrie pharmaceutique.