L’Inde révèle son potentiel

Xiadong Bao & Patricia Urbano, Edmond de Rothschild Asset Management

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Quelles sont les grandes tendances du marché indien dix ans après le lancement du plan «Make in India» de Narendra Modi.

Début juin, la plus grande démocratie du monde a réélu le premier ministre indien, Narendra Modi après six semaines de scrutin. Au pouvoir depuis 2014, ce dernier avait lancé le plan de développe­ment «Make In India» dont l’objectif était notamment d’augmenter la contribution du secteur manufacturier dans le PIB indien. Presque une décennie plus tard, quel est l’impact de ce plan de déve­loppement et quelles sont les grandes tendances du marché indien?

Au cours des dix dernières années, l’Inde a mis en place les fondements d’une croissance structurelle à long terme, notamment en adoptant de nombreuses réformes dont l’objectif était d’améliorer la compétitivité du pays. Parmi ces dernières, on peut noter la redéfinition du mandat de la Banque de Réserve de l’Inde (RBI) sur le contrôle de l’inflation, la démonétisation (notamment afin de lutter contre l’économie informelle), plusieurs réformes bancaires (afin d’augmenter la transparence des banques) ou encore une simplification majeure des taxes en parallèle d’une baisse de l’impôt sur les sociétés (de 30% à 25% et 15% pour les entreprises réalisant de nouveaux investissements dans l’industrie manufacturière).

Ces réformes ont créé un environnement favorable à de nombreux investissements notamment dans le secteur technologique. Apple est un parfait exemple. L’entreprise de Cupertino augmente régulièrement sa production d’iPhone made in India qui a atteint 14 milliards de dollars en 2024, soit un IPhone sur sept produit dans le monde. Ce chiffre pourrait atteindre un sur quatre d’ici 2025 selon JPMorgan.

Au fil des ans, le plan Make In India est ainsi passé d’un «plan de substitution des importations» à un «plan de développement stratégique» global pour l’industrie manufacturière indienne, visant non seulement le marché intérieur mais aussi l’intégration du pays dans la chaîne d’approvisionnement mondiale.

Outre les incitations fiscales ciblées, le gouvernement a également augmenté les investissements dans les infrastructures. Véritable frein mis en avant par de nombreuses entreprises étrangères, le gouvernement Modi a mis en œuvre depuis cinq ans un plan d’investissement de 1'000 milliards de dollars afin de moderniser ses réseaux d’infrastructures et de services publics. Ces investissements ont considérablement stimulé la productivité de l’Inde : la contribution au PIB du secteur industriel devrait ainsi passer de 17% aujourd’hui à 25% d’ici 20251.

Les tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et la Chine, en particulier après la crise du Covid en 2019, ont également joué un rôle important en accélérant la stratégie de diversification des chaînes d’approvisionnement mondial.

L’Inde regagne ainsi des parts de marché dans le commerce international et émerge de plus en plus comme une future puissance manufacturière grâce à cette politique de développement, à ses structures de coûts compétitives, à ses vastes réservoirs de main-d’œuvre qualifiée, à sa capacité d’approvisionnement en Asie et à son marché domestique.

Cela se traduit également par une augmentation du chiffre d’affaires et une amélioration des marges des entreprises locales, ces dernières produisant des biens à plus forte valeur ajoutée. L’environnement concurrentiel reste également favorable avec des investissements en capital croissants mais encore raisonnables par rapport au chiffre d’affaires (capex/sales).

La croissance de la population indienne et l’émer­gence de la classe moyenne constituent un deuxième facteur de soutien. L’Inde a en effet bénéficié d’une augmentation de la création d’emplois formels, dans la mesure où de plus en plus de multinationales ex­ternalisent vers l’Inde. Son importante population anglophone et son abondante main-d’œuvre qualifiée soutiennent cette dynamique permettant au pays d’offrir des services de sous-traitance compétitifs, non seulement dans le domaine des technologies de l’infor­mation, mais aussi dans celui des ressources humaines, des services juridiques, etc. Selon les estimations de Morgan Stanley, les dépenses mondiales de sous-trai­tance pourraient passer de 180 à 500 milliards de dol­lars d’ici 20302. Cette croissance soutiendra la création d’emplois formels, la croissance de la classe moyenne et l’augmentation des dépenses de consommation, ce qui aura un impact positif sur la demande d’immobilier commercial et résidentiel.

La dernière décennie a également été marquée par une transformation numérique d’ampleur allant de la création d’un identi­fiant unique (Aadhar) aux missions lunaires Chandrayaan (2008 – 2023). La numérisa­tion des paiements et des services publics ou la création d’un cadre favorable au développement du e-commerce (Open Network for Digital Commerce) sont éga­lement des exemples de la volonté de l’Inde de construire progressivement une économie numérique de premier ordre.

D’autant que le marché indien du commerce électro­nique est en forte croissance avec près de 230 millions d’acheteurs en ligne en 2022, contre 350 à 400 millions attendus d’ici 2025, plus de 750 millions d’utilisateurs d’internet et une croissance des ventes de smartphones de 10% par an (15% pour les IPhone).

Zomato, une entreprise de livraison de repas, est un bon exemple. Cette entreprise technologique rentable a vu ses revenus nets croitre de plus de 50% ces dernières années, avec une augmentation annuelle du nombre d’utilisateurs de 35% entre 2021 et 2024 grâce notamment à la conjonction de plusieurs facteurs: un marché encore naissant, une classe moyenne en forte augmentation, une main d’oeuvre disponible et une situation de duopole.

La transition énergétique joue également un rôle important dans le développement de l’économie indienne. Avec la croissance de l’activité économique, les besoins énergétiques de l’Inde augmentent et les politiques gouvernementales visent à répondre à cette demande principalement par le biais de sources re­nouvelables. Le gouvernement a ainsi fixé un objectif ambitieux de 500 GW de capacités installées (220 GW aujourd’hui) pour atteindre 50% de la production d’énergie d’ici 2030 (contre 70% de la production d’électricité provenant du charbon aujourd’hui).

L’objectif étant également de réduire la dépendance de l’Inde à l’égard des importations de pétrole, ce qui aura un impact positif sur sa balance commerciale et représente un important soutien à la stabilité de la devise locale.

Valorisation: quelle visibilité à long terme?

Le débat sur la valorisation du marché boursier indien reste ouvert. À 23 fois les prices earnings douze mois, elle se situe 1,5 fois au-dessus du niveau historique. Si cela peut sembler élevé, nous estimons que cela n’est pas déconnecté des fondamentaux de l’économie indienne compte tenu notamment d’une certaine visibilité sur:

  1. La continuité de sa politique économique;
  2. la stabilité macroéconomique;
  3. la bonne exécution des réformes politiques;
  4. une croissance de bénéfices plus forte qu’attendu et;
  5. l’augmentation du poids des entreprises privées dans l’indice ces dernières années au détriment des en­treprises publiques (généralement mieux valorisées).

L’Inde nous rappelle la Chine du début des années 2000

Ces évolutions indiquent que l’Inde est en train de jeter les bases d’une économie davantage axée sur la consommation. Tous ces éléments - réformes écono­miques, développement de l’industrie manufacturière et amélioration de la numérisation et de l’électrification – devraient, selon nous, permettre à l’économie indienne de plus que doubler au cours de la prochaine décennie.

 

1Source : Department of Commerce, Ministry of Commerce and Industry, Government of India.
2Source : Morgan Stanley, Octobre 2022.

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