Les nouveaux atouts de la dette émergente

Emmanuel Garessus

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Le rendement de la dette émergente ajusté du risque est supérieur à celui du dollar si on l’ajuste à la volatilité. Dans les actions, préférer l’Inde, selon Alessia Berardi d’Amundi.

© Delporte

Les marchés émergents ne concentrent guère l’attention des investisseurs cette année. Mais est-ce qu’un changement se prépare à l’orée du deuxième semestre? Alessia Berardi, responsable de la recherche macro et stratégique sur les marchés émergents auprès d’Amundi Investment Institute, répond aux questions d’Allnews:

Quel facteur pourrait ramener les investisseurs vers les marchés émergents?

L’exceptionnalisme américain est parvenu à attirer les capitaux internationaux vers les classes d’actifs de ce pays. En sera-t-il encore autant à l’avenir? Il faut noter que la croissance économique s’est avérée extrêmement résiliente dans les pays émergents malgré la succession de crises et le ralentissement de l’économie chinoise. La croissance des principales économies émergentes, telles que l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, le Mexique est restée saine et forte. Les marchés émergents profitent donc toujours d’une prime de croissance. 

Le deuxième facteur positif porte sur les politiques économiques. La plupart des banques centrales des pays émergents sont parvenues à combattre l’inflation plus rapidement que la Fed. Elles ont relevé leurs taux au moment où la Fed parlait encore d’une hausse transitoire des prix. Après avoir été moins complaisantes face à l’inflation, elles ont ensuite été les premières à baisser leurs taux, comme au Brésil, au Chili et en Pologne, soulignant leur degré de confiance envers leurs capacités à s’adapter aux circonstances. Le contraste est frappant avec certains épisodes du passé. Cela montre aussi que les banques centrales des pays émergents agissent de façon plus indépendante.

Pourquoi est-ce que cela ne suffit pas à ramener les capitaux?

Lorsque nous menons nos recherches sur le rendement attendu des classes d’actifs (Capital Market Assumptions), il ressort que le rendement de la dette émergente en devises fortes ajusté du risque est supérieur à celui du dollar si on l’ajuste à la volatilité. Cela peut surprendre parce que la volatilité a longtemps été supérieure dans les pays émergents. Quelque chose de fondamental est en train de se produire qui n’est pas sans relation avec la rhétorique des banques centrales et des politiques monétaires plus prévisibles. Ce changement de tendance, en termes de volatilité, n’est pas récent. Il s’est progressivement installé depuis trois ans.

«Aujourd’hui, certaines de ces banques centrales disposent d’une marge de manœuvre considérable pour réduire leurs taux.»

Les monnaies émergentes souffrent et réduisent l’attrait d’une exposition à cette classe d’actifs. Quelle devrait être la meilleure monnaie émergente?

Il faut distinguer d’un pays à l’autre. Plus le marché estime que la politique est saine et plus faibles sont les craintes d’une faiblesse de la monnaie. Mais il n’en reste pas moins que l’augmentation d’une perception de risque profite inévitablement au dollar. C’est la situation que nous rencontrons actuellement, à un moment de changement des conditions économiques globales. L’incertitude profite toujours au billet vert au détriment des monnaies émergentes.

Nous devons aussi considérer la vulnérabilité de ces pays aux conditions économiques extérieures, à travers leur endettement extérieur, leur balance des paiements, leurs réserves de change. 

Un réajustement positif des perceptions de risques s’est produit ces dernières années. Les pays que l’on qualifiait de «Fragile 5» en 2013, soit l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie ne sont plus fragiles, à l’exception de la Turquie. Le Brésil présente un excédent net des comptes courants très important. 

Aujourd’hui, certaines de ces banques centrales disposent d’une marge de manœuvre considérable pour réduire leurs taux. Au plus haut, les taux réels s’élevaient à 9% au Brésil. On comprend pourquoi sa banque centrale a commencé à baisser ses taux avant la Fed.

Actuellement, dans la plupart des pays émergents, quand une statistique d’inflation ne s’inscrit pas dans le scénario de base, la banque centrale s’abstient simplement d’assouplir sa politique monétaire, à l’image du Pérou en juin. En Asie, l’assouplissement monétaire est à la traîne face à une croissance forte, à une inflation sous contrôle et à la baisse des monnaies.

Il appartient aux investisseurs de distinguer entre les banques centrales les plus orthodoxes et les autres.

Dans une optique à 12 mois, que préférez-vous?

Avant la dernière période de nervosité, nous préférions les monnaies asiatiques, comme la roupie indonésienne et le ringgit malaysien. Sur la base des derniers mouvements des devises, il faut reconnaître que plusieurs monnaies latino-américaines ont beaucoup baissé, comme le peso mexicain et le real brésilien. En l’absence d’une surprise de la Fed, nous pourrions reprendre des positions dans ces devises, à l’exception du peso mexicain en raison de l’incertitude politique liée aux dernières élections.

«Nous favorisons l’Inde en raison de meilleures perspectives de croissance.»

Après avoir profité de la tendance au «re-shoring», les marchés boursiers d’Amérique du Sud sont-ils à nouveau dépassés par l’Asie?

La croissance économique asiatique est effectivement un atout pour cette région, par exemple pour l’Inde. Le choix de l’investisseur doit toutefois se fonder non seulement sur les perspectives bénéficiaires mais aussi sur la valorisation. C’est pourquoi, sur la base de leur valorisation, les actions d’Amérique du Sud sont à privilégier si le momentum des bénéfices devient plus favorable.

Est-ce que vous préférez les actions chinoises ou indiennes?

Nous favorisons l’Inde en raison de meilleures perspectives de croissance. Le résultat des dernières élections n’a pas modifié nos attentes. Il convient de souligner la qualité de la conduite d’un exercice démocratique d’une telle ampleur. La majorité dont dispose le Premier ministre Modi est certes plus étroite qu’avant, mais cela renforce le système d’équilibre du pouvoir. Le besoin de continuité dans la politique gouvernementale sera satisfait. Les investissements en infrastructures vont se poursuivre et les dépenses sociales pourront augmenter. Le prochain rendez-vous est pris pour la révision du budget de l’exercice en cours. Le narratif est celui d’une croissance structurelle. 

Nous privilégions tous les secteurs liés à la transition énergétique et à la transformation numérique. L’Inde est très en avance sur ce dernier point. J’ajoute que la politique économique permettra au secteur manufacturier de croître significativement.

La Chine traverse une période de transition très intéressante. Pékin investit dans des secteurs dits stratégiques, parfois à l’excès, où se situent des entreprises de tout premier plan. Le problème réside dans les risques géopolitiques. C’est pourquoi nous sommes neutres sur la Chine par rapport à l’indice des actions émergentes.

Faut-il adopter une approche active en Chine?

Très clairement, oui. Nos choix sont très différents des pondérations observées dans l’indice. 

Plus récemment, nous avons accru nos positions dans les A-Shares. 

En Inde, nous préférons aussi une approche active, mais en nous attachant à préférer la demande domestique et des secteurs manufacturiers spécifiques.

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