Fed: le calendrier de la baisse des taux est décalé mais pas annulé

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Pour Alessandro Tentori d’AXA IM, l’inflation continue d’évoluer dans la bonne direction des deux côtés de l’Atlantique. En Suisse, la BNS peut être réactive en cas de fortes variations du franc.

Ce mois de juin est particulièrement riche en annonces en matière de politique monétaire de la part des banques centrales. Quel bilan peut-on tirer des annonces faites par la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed) à quelques jours de la présentation de son examen de la situation économique et monétaire ce jeudi? Le point avec Alessandro Tentori, directeur des investissements (CIO) pour l’Europe du Sud chez AXA Investment Managers lors d'un passage récent en Suisse.

L’évolution de l’inflation a été scrutée de près durant la première moitié de juin avec les annonces de décision de politique monétaire effectuées par la BCE, qui a abaissé ses taux d’un quart de point le 6 juin, et la Fed qui a laissé inchangé son taux directeur jeudi dernier. Le recul de l’inflation est-il sur la bonne voie ou faudra-t-il encore patienter davantage?  

Globalement, l’évolution va dans la bonne direction. Aux Etats-Unis, l’indice CPI de l’inflation, publié jeudi, s’est établi en mai à 3,3% sur un an, comparé à 3,4% en avril. Si l’on considère d’autres statistiques récentes, l’inflation a légèrement rebondi en Allemagne: la hausse des prix à la consommation a atteint 2,4% sur un an en mai outre-Rhin, soit 0,2 point de plus qu’en avril. Dans les deux cas, on n’est bien sûr pas encore au niveau de 2% qui est visé par les banques centrales mais la tendance va, dans l’ensemble, quand même dans le sens d’une diminution. Pour les Etats-Unis, nous tablons sur une inflation située à 3,4% en 2024, puis à 2,5% en 2025. Cela devrait permettre à la Fed de procéder à deux baisses de taux en 2024, en septembre puis en décembre, puis à quatre baisses de taux en 2025.

«Cela devrait permettre à la Fed de procéder à deux baisses de taux en 2024, en septembre puis en décembre, puis à quatre baisses de taux en 2025.»

Concernant l’inflation, la direction est la bonne mais les choses prennent un peu plus de temps que certains acteurs du marché espéraient en début d’année. Lorsque la tendance haussière des prix s’est mise en place en 2021, les experts des banques centrales ont longtemps débattu de savoir s’il s’agissait d’une inflation «permanente» ou «transitoire». Aujourd’hui, on pourrait dire que les deux camps avaient chacun raison à leur manière: il s’est agidt d’une inflation temporaire… mais qui a duré plus longtemps que prévu. L’important est que les choses se stabilisent et que la confiance revienne.

Il n’y a donc pas de risque que l’inflation rebondisse?

On ne peut jamais exclure qu’il y ait un rebond, ne serait-ce que temporaire. Cela pourrait être le cas, d’une part, si la hausse des prix s’ancre dans les habitudes: à savoir que beaucoup de gens et d’entreprises s’habituent au fait que les prix augmentent, que les employés demandent régulièrement des hausses de salaires, que les prestataires augmentent leur prix en conséquence. D’autre part, il peut y avoir des facteurs exogènes, liés à des évolutions sur le plan géopolitique qui seraient susceptibles de faire augmenter les prix du pétrole, de certaines matières premières ou de denrées alimentaires, par exemple. Face à de tels facteurs exogènes, les banques centrales, ni même les gouvernements, ne peuvent pas faire grand-chose.

Quelles sont vos attentes en matière de politique monétaire et concernant l’évolution des taux du côté de la BCE?

«Un avantage de la BNS est qu’elle détient d’importantes réserves de devises étrangères, environ 20% du total. Cela lui permet de réagir plus finement, par exemple en cas de fortes variations du franc. La Banque du Japon, qui ne détient que des yens, n’a pas cet avantage.»

Nous nous attendons à quatre baisses de taux, deux cette année en septembre et décembre, puis probablement en mars et juin 2025.

Il est souvent question de taux d’intérêt «neutre» ou naturel qui permet de maintenir l’inflation à un niveau stable. A quel niveau se situe-t-il en Europe?

Il est difficile de répondre à cette question. Dans l’UE, cette fourchette est relativement large – elle s’étend de -0,5% à +1% selon les estimations de la BCE. Ce calcul tient compte notamment de la croissance potentielle de l’économie ainsi que de l’estimation d’inflation à moyen terme. En Suisse, on estime le taux d’intérêt naturel aux environs de 1%.

En Suisse, la BNS communiquera sa décision de politique monétaire ce jeudi. Quelles sont vos attentes?

Chez AXA IM, nous n’avons pas formulé de pronostic spécifique concernant la décision de la BNS. Ce que l’on peut dire, c’est que l’inflation en Suisse devrait continuer de décélerer, notamment grâce à la force du franc qui limite les pressions sur les prix des importations. La hausse des coûts de l’énergie en 2022 et 2023 n’a pas non plus eu le même impact en Suisse que dans d’autres pays en Europe, comme l’Allemagne par exemple. Enfin, le marché du travail est réglé différemment en Suisse, de manière décentralisée et par branche d’activité. Il n’y a pas de négociation de hausse des salaires généralisée comme c’est le cas dans certains autres pays européens, voire dans certaines branches aux Etats-Unis. En outre, un avantage de la BNS est qu’elle détient d’importantes réserves de devises étrangères, environ 20% du total. Cela lui permet de réagir plus finement, par exemple en cas de fortes variations du franc. Comparativement, la Banque du Japon, qui ne détient que des yens, n’a pas cet avantage. 

A lire aussi...