50 nuances de noir

Didier Saint-Georges, Carmignac

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2019 s’ouvre sur la poursuite probable d’une révision en baisse des résultats estimés pour les entreprises, en Europe comme aux États-Unis.

Notre lecture des marchés pour l’année qui s’ouvre est inchangée depuis la synthèse que nous en faisions dans notre Note de décembre dernier «2019, ou l’aboutissement du télescopage». Pour mémoire, elle rappelait que «le schéma de collision (entre les trois cycles économique, monétaire et politique) ne sera pas caduc parce que l’année calendaire aura changé».

Elle justifiait par conséquent la poursuite d’«une grande prudence de fond », tout en anticipant la survenance de forces de rappel variées « à ne pas manquer».

Le Président de la Fed a évoqué la possibilité de faire preuve de flexibilité,
ce qui est important, mais ne s’y est pas engagé.

En effet, les marchés ont coutume d’osciller largement autour des tendances, passant au gré d’humeurs souvent moutonnières de l’hésitation à l’exagération, ou du déni à l’espoir. De ce point de vue, ce début d’année donne un bon exemple de ce qu’une tendance de fond encore sombre, justifiée par des fondamentaux économiques et monétaires toujours en détérioration, peut receler de nuances dans son déroulement. De tels mouvements intermédiaires peuvent même s’avérer suffisamment importants pour qu’on s’en saisisse par une gestion active, à condition de ne pas perdre le cap de vue.

Le marché est devenu lucide sur le ralentissement du cycle
53% des investisseurs anticipent une baisse de la croissance globale en 2019

Source: 12/2018, % des sondés s’attendant à une économie plus forte. Sondage réalisé par BofA Merrill Lynch Global Fund Manager Survey.

 

Le ralentissement économique global s’est synchronisé, et confirmé.

En ce tout début d’année 2019, même les économistes les plus optimistes doivent finalement reconnaître que le phénomène de ralentissement cyclique s’est généralisé: l’indice PMI global de J.P. Morgan baissait en décembre de 0,5 point à 51,5, et toutes les grandes régions du monde contribuent à cette décélération. En effet, bien que restant élevé dans l’absolu, l’indice ISM manufacturier américain pour décembre chutait lourdement de 59,3 à 54,1, et le même indice pour l’activité de services baissait de 60,7 à 57,6. En Chine, en poursuivant sa baisse continue depuis un an pour finalement passer sous le niveau de 50 (49,7), l’indice PMI Markit-Caixin confirmait l’entrée des indicateurs d’activité manufacturière du pays en territoire récessif. Corrélativement, l’indice PMI manufacturier de l’Allemagne confirmait lui aussi sa décrue sur douze mois, finissant l’année à 51,5, après l’avoir commencée à 63,3. Cette tendance en Europe s’est confirmée en France, où les protestations des «gilets jaunes» contribuèrent à la chute du même indice manufacturier sous la barre des 50 (49,7), et en Italie, où l’indice PMI est demeuré en territoire récessif (49,2).

Les politiques de relance disponibles sont très limitées.

En Europe, on voit mal à court terme la Banque centrale européenne voler au secours de la croissance alors qu’elle vient tout juste de mettre fin à son programme d’achats d’actifs. Quant à la manne fiscale, ce ne sont clairement pas les plus ou moins importants dérapages désormais déjà attendus en Italie et en France qui en augmenteront la capacité.

En Chine, les marges de manoeuvre des pouvoirs publics sont également limitées. Ces derniers ont certes déjà pris un certain nombre de mesures de soutien à l’activité, dont récemment une baisse sensible des taux de réserves obligatoires pour les banques. Mais les contraintes à davantage de stimulus sont devenues très importantes. En effet, la priorité affirmée aujourd’hui est de dégonfler la bulle du crédit (rappelons que le taux d’endettement du pays atteint aujourd’hui 270% du PIB). De plus, la Chine ne présente plus d’excédent de sa balance courante. Par conséquent, un déséquilibre budgétaire excessif non seulement irait à l’encontre de la volonté stratégique de réduction des déséquilibres, mais mettrait aussi rapidement sa monnaie sous pression, ce qui injecterait immédiatement davantage d’acrimonie dans les négociations tarifaires avec l’Administration Trump.

Quant aux États-Unis, enfin, le blocage des discussions entre Donald Trump et la nouvelle majorité démocrate au Congrès mène déjà à une impasse sur le financement des simples dépenses de fonctionnement du gouvernement fédéral. Reste donc comme seul espoir l’assouplissement de la politique monétaire de la Fed.

La Fed peut-elle de nouveau relancer les marchés?

Lors d’une interview le 4 janvier, le président de la Fed Jay Powell a surpris. Alors même que les chiffres de l’emploi aux États-Unis venaient d’envoyer le message d’une résilience spectaculaire de l’économie américaine, qui aurait logiquement justifié une posture confiante et inflexible, Powell infléchissait très sensiblement le discours qu’il tenait encore le 19 décembre. En particulier, au lieu de présenter la réduction du bilan de la Fed comme un processus sur des rails et non négociable, il ouvrait la possibilité d’en ajuster la cadence. Plus gé-néralement, il évoquait l’incidence des risques des marchés sur son analyse de la politique monétaire appropriée. Il n’en fallait pas davantage pour que lesdits marchés y voient une analogie avec le début 2016, que d’ailleurs Powell n’a pas contestée, quand la Fed, confrontée au resserrement des conditions financières, lui-même alimenté par la faiblesse des marchés, avait finalement abaissé ses objectifs de resserrement monétaire, et contribué par là même à un fort rebond des marchés.

Si de plus ce retour à la «flexibilité»de la Fed face au comportement des marchés devait s’accompagner de quelques progrès prochains dans les discussions commerciales entre l’Administration Trump et la Chine, la forte baisse des marchés actions en fin d’année dernière pourrait bien faire place à un rebond d’une certaine ampleur. Rappelons à titre d’exemple que sur le seul dernier trimestre 2018, l’indice Euro Stoxx et l’indice américain S&P 500 ont perdu entre 12% et 15%.

Doit-on pour autant anticiper un retournement durable des marchés?

D’abord, Jay Powell a évoqué la possibilité de faire preuve de flexibilité, mais ne s’y est pas engagé. D’ailleurs il n’a semblé nullement convaincu que la réduction du bilan de la Fed avait contribué à l’instabilité des marchés. Ensuite, les indicateurs économiques aux États-Unis, comme l’ISM, sont eux-mêmes sensibles à la direction des marchés. Si ces derniers rebondissent, ils contribueront à stabiliser les premiers, retirant de facto l’un des arguments pouvant justifier un assouplissement monétaire. Enfin, sur le tableau de bord de la Fed apparaît toujours une situation de plein emploi aux États-Unis et un rythme d’inflation de 2% conforme aux objectifs statutaires, qui ne justifient pas aujourd’hui une quelconque «capitulation» de la politique monétaire. Dans le même temps, cette tension sur le marché du travail commence à rogner les marges des entreprises par la hausse graduelle des salaires, ce qui augure des perspectives de résultats décevants dans le contexte du ralentissement économique que nous évoquions.

En conclusion, la possibilité d’un rebond «technique» des marchés existe, et pourrait même selon les circonstances politiques des prochaines semaines prendre une ampleur qui mérite d’être jouée. Les valeurs cycliques de qualité, qui ont parfois vu leurs cours s’effondrer sur les derniers mois, présentent certainement la meilleure exposition à ces forces de rappel.

En revanche, les problématiques de fond ne sont pas résolues. 2019 s’ouvre sur la poursuite probable d’une révision en baisse des résultats estimés pour les entreprises, en Europe comme aux États-Unis. Au lieu des quelque +8% de croissance des résultats encore attendus, il est plausible que la réalité soit plutôt une baisse absolue des résultats par rapport à 2018, par effritement des chiffres d’affaires et baisse des marges. Sur ce sujet, les résultats et commentaires bientôt disponibles pour le dernier trimestre 2018 offriront un éclairage utile. Dans le même temps, la Banque de réserve américaine n’est pas encore en situation de devoir renoncer à son objectif de normalisation monétaire, et la BCE est aujourd’hui largement démunie. Un tournant monétaire pourrait survenir au cours de l’année, mais nécessitera davantage de pression des marchés ou de l’économie réelle. Par conséquent, même s’il se confirme, le rebond qu’amorcent aujourd’hui les marchés ne devrait être que temporaire, et ne constitue pas encore une inflexion de la tendance entamée il y a bientôt un an. Il y aura lieu de savoir prendre ses profits sur ce sursaut.

STRATÉGIE D’INVESTISSEMENT

Les actions

En 2018, les marchés actions se sont violemment ajustés à la collision entre les trois cycles économique, monétaire et politique. Une accélération du mouvement a pu être observée en décembre, reflétant une dégradation des anticipations de résultats d’entreprise pour 2019. Les effets de ce télescopage devraient continuer de se faire sentir au moins dans la première moitié de 2019 entrainant une pression baissière mais non linéaire des marchés actions. 

Dans ce contexte, nous maintenons des investissements concentrés autour de valeurs de croissance attrayantes à la fois sous l’angle financier et de la valorisation. Nous avons donc continué de réduire notre exposition aux valeurs d’hyper-croissance, notamment du segment des logiciels. Leur valorisation élevée après des années de belle performance sur fond d’amélioration des fondamentaux nous parait risquée dans l’environnement actuel. Nos fortes convictions sont équilibrées par un niveau de liquidités important. Ces liquidités nous laissent ainsi des marges de manoeuvre pour capturer des points d’entrée attractifs. C’est par exemple le cas en ce début d’année du géant du commerce en ligne chinois JD.com, second acteur du secteur derrière Alibaba, qui a vu son cours de bourse divisé par deux en moins d’un an malgré la qualité de ses fondamentaux et des performances commerciales très proches des attentes. 

Dans l’ensemble, cette pression baissière sur les marchés actions entraine un certain nombre de positions techniquement survendues nous incitant à une gestion agile du taux d’exposition aux actions, parallèlement à une construction de portefeuille toujours prudente.

Les taux

Au cours du mois de décembre, les actifs obligataires refuges ont connu leur meilleure performance mensuelle de l’année, les investisseurs se réfugiant vers les actifs considérés de qualité dans un contexte de renforcement des incertitudes sur la santé de l’économie mondiale. 

En revanche, les marchés du crédit continuent de souffrir, notamment sur la catégorie à haut rendement, dans le sillage du fort déclin enregis¬tré par les marchés actions. Notre risque inhérent à notre composante crédit a été réduit en amont.

Nous continuons de gérer activement la sensibilité globale. Cette dernière a été relevée récemment prenant en compte la volatilité des marchés actions et le ralentissement économique que subissaient les pays européens et la Chine. D’autre part, nous restons très partagés sur l’évolution des rendements des obligations du Trésor américain. En effet, même si la Fed a modifié son langage, l’économie du pays reste toujours dynamique et l’institution ne s’autorise pas pour l’instant à revoir la réduction de son bilan (qui retire 50 milliards de dollars de liquidités par mois depuis octobre dernier). Ainsi, nous restons prudents sur les obligations américaines, et privilégions les dettes asiatiques et européennes. 

Dans cet environnement de ralentissement de l’économie mondiale, notre exposition aux actifs émergents reste modérée, malgré des valorisations attractives pour certains secteurs, car préférons attendre une stabilisation de ces économies ainsi que des progrès concrets dans les négociations commerciales entre les administrations Trump et Xi Jinping.

Les devises 

Les deux principales devises: l’euro et le dollar auront évolué tout le trimestre à l’intérieur d’une fourchette étroite. Au sein de notre portefeuille, nous continuons de privilégier l’euro et dans une moindre mesure le yen, dans le cadre de la gestion du risque de notre portefeuille, au détriment du billet vert. 

En effet, le dollar continue d’être pénalisé par un déficit courant croissant et par des premiers signes de ralentissement de la croissance américaine. Les signaux de flexibilité envoyé récemment par la Fed vont également dans ce sens. Les devises émergentes continuent de constituer quant à elles une classe d’actif relativement vulnérable dans un contexte de ralentissement mondial et de dégonflement de la bulle de liquidité amorcé par la Réserve fédérale américaine.

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