Les relations entre la Suisse et l’UE peuvent avancer. Après la consultation, le Conseil fédéral a approuvé vendredi le mandat de négociation. Celui-ci contient les lignes directrices des discussions finales qui démarreront après l’adoption du mandat côté européen.
Le gouvernement privilégie une approche globale basée sur un paquet d’accords de coopération et d’accès au marché. La voie bilatérale doit être poursuivie avec l’ajout de règles institutionnelles directement dans les accords sur le marché intérieur.
Lors de la consultation, le projet a été accueilli favorablement, sauf par l’UDC qui le rejette en bloc. Alors que certains se sont prononcés pour des négociations rapides, d’autres ont demandé des améliorations. Le gouvernement a retenu une large partie des recommandations.
Accès sans obstacle
L’accès sans obstacle au marché de l’UE est le but central du paquet. Il s’agit d’assurer l’actualisation des accords existants sur le marché intérieur, comme dans les transports, et de conclure de nouveaux accords sectoriels dans les domaines de l’électricité et de la sécurité alimentaire.
Le paquet prévoit également un accord sur la coopération en matière de santé ainsi que la participation systématique aux programmes de l’UE, notamment dans les domaines de l’éducation et de la recherche (à l’exemple d’Horizon Europe et Erasmus+).
L’adoption de règles sur les aides d’Etat est prévue dans les accords sur le transport aérien, les transports terrestres et l’électricité. Une contribution suisse régulière à la cohésion au sein de l’UE fait aussi partie du paquet.
Dans le domaine de la protection des salaires, la Suisse vise une mise en adéquation du droit des travailleurs détachés avec le droit de l’UE. Des exceptions sont comprises. Un point comprend une clause de non-régression pour garantir le niveau de protection des salaires en Suisse.
Concernant le règlement des litiges, ce sera le tribunal arbitral paritaire qui aura le dernier mot. Par ailleurs, un sujet ne figure pas dans les négociations: la réglementation des marchés financiers. Berne vise une reprise du dialogue régulier à ce sujet au plus vite.
D’ici l’automne 2024
Après l’abandon de l’accord-cadre par le Conseil fédéral le 26 mai 2021, des discussions exploratoires ont eu lieu entre mars 2022 et octobre 2023. Des zones d’entente communes ont été définies dans chaque domaine du paquet.
Le négociateur en chef sera Patric Franzen, secrétaire d’Etat adjoint et chef de la Division Europe du DFAE. Il assumera cette tâche avec les négociateurs des départements compétents pour les différents domaines du paquet. Les négociations seront menées parallèlement dans chaque domaine. Le secrétaire d’Etat Alexandre Fasel fera la liaison entre les politiques intérieure et extérieure.
Les négociations ne commenceront qu’après l’adoption par l’UE de son propre mandat de négociation, vraisemblablement dans le courant de ce mois. La Commission européenne sera responsable. Elle a déjà annoncé qu’elle souhaitait parvenir à une conclusion avant la fin de la législature, qui dure jusqu’à l’automne 2024.
Le Conseil fédéral a par ailleurs demandé une analyse juridique sur la question du référendum, obligatoire ou facultatif, auquel le paquet sera soumis si les négociations se concluent favorablement.
Des hauts et des bas lors des négociations avec l’UE
Les relations entre la Suisse et l’UE ont toujours évolué au cours de ces 50 dernières années. La Suisse a d’abord négocié comme membre de l’AELE jusqu’à ce que le peuple rejette l’EEE en 1992, ouvrant la voie aux bilatérales.
En été 1972, le conseiller fédéral Ernst Brugger signe un accord de libre-échange avec la Communauté économique européenne (CEE) - l’ancienne appellation de l’actuelle UE - à Bruxelles. Les négociations sont menées à terme conjointement avec la Suède, l’Autriche, le Portugal et l’Islande - alors tous membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE).
L’accord représente une étape décisive dans les efforts de la Suisse vers l’intégration européenne, avait alors commenté M. Brugger. La Suisse renonce à un rattachement plus étroit à la CEE afin de préserver la démocratie directe, les pouvoirs du Parlement et la neutralité.
Fin 1972, le peuple suisse approuve l’accord à 72,5%. Celui-ci entre en vigueur le 1er janvier 1973. L’accord de libre-échange exemptait de droits de douane plus de 90% des exportations suisses vers la CEE.
«Dimanche noir»
Au début des années 1990, l’AELE et l’UE entament des négociations en vue de créer l’Espace économique européen (EEE). Celui-ci comprend principalement quatre piliers: la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. Un accord est signé en mai 1992 et entre en vigueur en 1994, mais pas en Suisse.
En décembre 1992, le peuple suisse rejette l’adhésion à l’EEE par 50,3%. Le projet n’obtient pas non plus de majorité des cantons. Le meneur de cette fronde s’appelle Christoph Blocher, alors conseiller national zurichois UDC. Le conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz qualifie cette journée de votation de «dimanche noir».
La voie bilatérale
Ce vote marque l’ouverture de la voie bilatérale, par secteur avec l’UE. En été 1999, la Suisse et l’UE signent à Luxembourg sept accords portant sur les transports terrestres et aériens, la libre circulation des personnes, l’agriculture, la recherche, les marchés publics et les obstacles techniques au commerce.
En mai 2000, 67,2% des citoyens suisses approuvent les Accords bilatéraux I. «La Suisse a ainsi franchi une étape importante vers le XXIe siècle», commente le conseiller fédéral Joseph Deiss à propos du résultat de la votation.
Quatre ans plus tard, les Bilatérales II suivent. Elles couvrent différents domaines tels que la formation, la statistique, l’environnement et Schengen/Dublin. Seuls les accords de Schengen/Dublin, qui concernent la libre circulation des personnes et l’asile, sont soumis au vote populaire en juin 2005. Les citoyens disent oui à 54,6%.
Echec de l’accord institutionnel
Dans les années 2010 jusqu’au début des années 2020, le Conseil fédéral négocie un accord-cadre avec l’UE. Celui-ci devait clarifier les questions institutionnelles et introduire un mécanisme de reprise du droit européen ainsi qu’un système de règlement des différends. En mai 2021, le Conseil fédéral interrompt unilatéralement les négociations. Le gouvernement invoque des «divergences substantielles» avec l’UE.
Le Conseil fédéral et la Commission européenne mènent alors des entretiens exploratoires. L’idée de chapeauter le traité par un accord institutionnel est abandonnée à la faveur de nouvelles négociations sectorielles.
Après une consultation menée durant l’hiver 2023/24 auprès des partenaires sociaux et des partis, le Conseil fédéral a adopté vendredi un mandat de négociation. Certains parlent déjà de «Bilatérales III».