Une décision incidente du Tribunal administratif fédéral, qui suit le raisonnement des assureurs-maladie, fixe provisoirement la valeur genevoise du point TARMED à 91 centimes. Cette décision irresponsable, dénoncée par l’Association des Médecins du Canton de Genève et Genève-Cliniques, pourrait entraîner la fermeture de certains services essentiels, redirigeant les patients vers des structures publiques déjà surchargées.
«Genève-Cliniques déplore le manque de pragmatisme des autorités et condamne cette décision irrespon-sable, qui met en danger l’accès aux soins pour les patients genevois», déclare Rodolphe Eurin, président de Genève-Cliniques, l’association des cliniques privées genevoises.
Dans une décision datée du 24 juillet 2024, le Tribunal administratif fédéral suit l’argumentaire développé par les assureurs-maladie Helsana, Sanitas et KPT et abaisse la valeur du point TARMED des fournisseurs de soins ambulatoires genevois de 96 centimes à 91centimes jusqu’au prononcé de l’arrêt final.
Le TARMED est la structure tarifaire des prestations médicales, négociée directement par les partenaires tarifaires. Les médecins appliquent ce tarif uniforme pour la facturation de leurs patients. Ce tarif, qui comprend plus de 4600 positions, couvre la quasi-totalité des prestations médicales et paramédicales fournies en cabinet médical et dans le domaine hospitalier ambulatoire.
Un impact direct sur les patients et les services de santé
Cette baisse provisoire à 91 centimes risque d’avoir des conséquences désastreuses pour les patients. En effet, certains services directement utiles à la population risquent de fermer, redirigeant ainsi les patients vers les services subventionnés, déjà surchargés. Cette surcharge supplémentaire pourrait compromettre la qualité et la rapidité des soins offerts à la population.
Une décision sur fond de crise de financement
Les 3 assureurs membres de la communauté HSK ont remis en cause la valeur du point TARMED dès 2018. Cette valeur avait été fixée 6 ans plus tôt par le Conseil d’Etat genevois et confirmée en 2014 par ce même Tribunal administratif fédéral. Les assureurs demandaient une révision à la baisse du tarif à 91ct. Bien que le Conseil d’Etat genevois ait confirmé le tarif actuel en novembre 2023, les assureurs-maladie ont attaqué cette décision et saisi le Tribunal administratif fédéral d’une requête de mesure provisionnelle.
De l’avis des juges fédéraux, il convient dans ce cas de retenir le tarif le plus bas parmi les tarifs réclamés ou décidés, s’il n’apparaît pas de manière évidente que cela cause des préjudices irréparables aux fournisseurs de prestations.
Un sous-financement chronique des établissements de santé
Cette décision intervient dans un contexte de crise de financement des hôpitaux et impactera dangereusement la disponibilité en liquidités des établissements genevois. Le sous-financement chronique de l’activité ambulatoire hospitalière a été démontré, chiffres à l’appui, et fait depuis plusieurs années l’objet d’un consensus de branche. A Genève, le point TARMED est facturé 96ct alors qu’il coûte en moyenne 1,16 franc à produire, un écart de 20ct qui sera aggravé par cette récente décision. Appliquée à l’ensemble des assureurs, elle occasionnerait un manque de financement de plus de 16 millions de francs par an.
Il est difficilement compréhensible qu’une baisse tarifaire, même temporaire de 5%, puisse être considérée comme acceptable par le Tribunal administratif fédéral, alors que les fournisseurs de prestations font face depuis de nombreuses années à l’augmentation de leurs charges et à la stagnation de leurs tarifs.
Sans changement de cap dans la politique tarifaire, il est peu probable que le secteur hospitalier puisse relever les défis que représentent la pénurie de personnel qualifié et le manque d’attractivité des professions de la santé.
Même constat du côté de l’AMGe, qui dénonce un «coup de poignard dans le dos des médecins de première ligne».
Une usine à gaz…
Par une décision incidente du 14 février 2024, le Tribunal avait déjà accordé aux assureurs membres de tarifsuisse une valeur provisoire de 94ct.
Il existe donc désormais 3 valeurs de points provisoires différentes (96ct, 94ct et 91ct), applicables à différents assureurs et appliquées à différentes dates.
Au prononcé de l’arrêt final, dont le rendu n’est pas imminent, toutes les factures TARMED déjà émises devront être corrigées au tarif décidé. La multiplication des tarifs ajoutera à la complexité de l’exercice, rendant une correction tarifaire inévitable. Il s’agit de millions de factures à l’échelle du canton, générant une charge administrative énorme et très coûteuse pour l’ensemble des prestataires.