Resserrement monétaire aux Etats-Unis

Salima Barragan

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Les incertitudes dressent un tableau peu réjouissant. Pourtant, Matthew Eagan, gérant de fonds obligataires chez Loomis Sayles, reste confiant.

 

Craintes inflationnistes avec comme corollaire une remontée abrupte des taux. Crainte sur les effets des mesures protectionnistes. Et enfin, craintes de guerre commerciales contre la Chine. Depuis janvier, ces peurs ont provoqué trois vagues baissières sur les marchés boursiers. C’est dans ces eaux troubles que les gérants d’actifs évoluent tant bien que mal. Avec comme vraie mesure quantifiable de l’inquiétude: la volatilité, qui est, à juste titre, de retour cette année.

Les guerres commerciales sont un jeu à somme nulle car il y a diminution des richesses pour tous les joueurs. «Les États-Unis, largement bénéficiaires du commerce international, n’ont aucun intérêt à mettre leur statut en danger. Les dernières taxes imposées par Trump envers la Chine, relèvent d’une technique de négociation afin de permettre aux États-Unis de se trouver en position de force», estime Matthew Eagan. Mais la Chine, en tant que l’un des plus gros détenteurs de bons du trésor américain, a, elle aussi de bonnes cartes en mains.

«Le quantitative tightening pourrait amener un regain de volatilité
car les marchés ne lui ont jusqu’à présent pas donné de crédit.»

Lorsque l’on interroge Matthew Eagan sur la direction du dollar, il adopte une approche pragmatique: «En période de guerre commerciale, il est courant de le voir faible et cette tendance va perdurer pour attirer les investisseurs étrangers».

Retour à la normale

Depuis le «taper tantrum» qui avait malmené le marché obligataire en 2013, l’économie est en phase de normalisation. Il en va de même avec une volatilité anormalement basse durant ces dernières années. «Le quantitative tightening que la Fed a initié pourrait amener un regain de volatilité car les marchés ne lui ont jusqu’à présent pas donné de crédit. Ils vont commencer à intégrer les hausses de taux.» estime le gérant.

Dans un marché du travail tendu, comment expliquer que l’inflation ne s’envole pas? A cette question, Matthew Eagan propose deux réponses. Premièrement, il explique que la courbe des salaires suit une forme de U où les pressions salariales ne s’exercent qu’aux extrémités, à savoir sur les salaires des travailleurs les plus qualifiés et sur ceux des moins qualifiés. Au milieu, la plus grande partie de la force de travail a peu souffert de pressions salariales à cause des progrès technologiques. Deuxièmement, le marché du travail se trouve en situation de monopsone, une situation où un nombre limité de demandeurs se trouve face à un nombre important d'offreurs, peut-être même d’une collusion entre les entreprises afin d’enrayer les hausses de salaires. 

«Il y a un risque réel à ce que la Fed se retrouve
en retard dans son durcissement monétaire.»

Malgré ces vents contraires, Matthew Eagan prévoit une reprise de l’inflation aux alentours de 2019-2020. D’ailleurs, lors de son dernier FOMC, la Fed a été plutôt complaisante avec la menace inflationniste. Le gérant considère qu’il y a un risque réel à ce que la Fed se retrouve en retard dans son durcissement monétaire. Ce qui l’obligerait à freiner plus fortement l’économie. «Il y a une asymétrie de l’objectif et la Fed peut aussi viser 2,5% au lieu de 2% d’inflation et adopter un resserrement plus agressif, mais pas avant 2019», juge le gérant. 

Une stratégie active

«Nous pouvons nous accommoder du niveau actuel des obligations. Le quantitative tightening aura un effet contraire au quantitative easing, et les titres qui n’intéressaient alors pas les investisseurs tels que les bons du trésors américains – pénalisés par la recherche du rendement – redeviendront intéressants» affirme Matthew Eagan. La réforme fiscale américaine va être financée avec plus de mille milliards de bons du trésor ce qui aura un impact considérable sur les déficits jumeaux. «Cela va créer une explosion de la dette qui va mettre le marché de la dette privée à niveau. Le segment investment grade connait le plus fort levier jamais observé de son histoire. Lors de hausses d’intérêt, il y aura beaucoup de déclassement et les spreads ne compensent actuellement pas ce risque.» En revanche, dans le segment de la dette privée, il favorise les titres à haut rendement. «Les spreads des obligations high yield actuellement autour de 300-500 points de base sont assez importants pour absorber les hausses de taux et ils peuvent encore se comprimer». Actuellement, il se positionne sur la partie courte de la courbe des rendements. Ses fonds* affichent des durations courtes pour une plus grande réactivité lors d’un éventuel sell-off ; un sell-off qu’il n’écarte pas de son scénario. «Un sell-off est possible à des niveaux de rendement entre 3,5% et 3,8% sur 10 ans américain». Dans ce contexte, l’avantage reviendra aux gestionnaires actifs rémunérés par la sélection de titres en opposition aux gestionnaires passifs.

* Loomis Sayles Multisector Income Fund: modified duration 3.2, Loomis Sayles Strategic Alpha Bond Fund: modified duration 1.25.