Le 30 ans US à 3,40%, risque ou opportunité?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Chiffres de l’emploi: un non-événement

Si vous avez manqué les chiffres de l’emploi vendredi dernier, ce n’est pas grave puisque rien de vraiment intéressant n’est à relever ce mois-ci, à part peut-être (pour l’anecdote puisque tout le monde connaît le mode de calcul de la statistique) un taux de chômage record à 3,7%. L’inflation salariale, de loin plus intéressante dans cette phase du cycle économique, s’est établie à 2,8%, comme attendu. En revanche, si vous étiez absent sur le marché au cours des heures qui ont suivi la publication des chiffres, vous avez raté le passage symbolique de la barre des 3,40% pour le taux du Trésor US à 30 ans. 

Les taux longs s’étaient déjà envolés mercredi dernier avec un 30 ans passant dans la journée de 3,20% à 3,34%, la tendance s’est poursuivie jeudi mais le franchissement de 3,40%, de surcroît en clôture hebdomadaire, est loin d’être anecdotique en termes d’analyse technique. La journée d’hier (Columbus Day) n’étant pas significative, c’est sans doute dans les heures qui viennent que nous pourrons observer la tendance pour les prochains jours. 

La relation «je t’aime, moi non plus» entre les taux longs et les marchés actions
pourrait nous offrir un épisode supplémentaire ce mois-ci.

Théoriquement, les taux longs ont de la place pour poursuivre leur correction mais rien n’est moins sûr. La relation «je t’aime, moi non plus» entre les taux longs et les marchés actions pourrait nous offrir un épisode supplémentaire ce mois-ci car à partir d’un certain niveau de taux – 3,40% sur le 30 ans? 3,25% sur le 10 ans? (pas encore franchi à l’heure où nous écrivons ces lignes) – les marchés actions vont franchement voir d’un mauvais œil ces tensions sur les marchés obligataires. 

Il faudra également regarder du côté des marchés européens où le Bund joue le rôle de valeur-refuge lorsque les taux italiens repartent à la hausse. En effet, depuis hier, le taux allemand à 10 ans a tendance à refluer en-dessous de 0,55%. Il est vrai que le BTP italien à 10 ans est passé de 3,30% mercredi et jeudi à 3,60% hier après-midi. Il faudra donc surveiller de près le comportement du marché italien car si hier après-midi, Pierre Moscovici s’est félicité d’un entretien positif avec le représentant du mouvement cinq étoiles, rien de concret n’a été dévoilé et pour l’instant Rome campe sur ses positions. 

Afin d’évaluer le stress du marché à l’égard de la dette italienne, nous préférons observer le comportement du taux à 2 ans. Ce dernier, redescendu à 1,10% jeudi matin, a atteint 1,60% hier après-midi. Cinquante points de base de tension, sur un taux court et en deux séances, voilà un véritable «sell-off». Alors que faire? Nous avons rajouté un peu de 30 ans US sur le niveau de support de 3,37%, les deux tiers «outright» et un tiers couvert par un short 5y note future dans le cas où les 3,40% ne seraient pas atteints vendredi. Désormais, nous sommes tentés d’augmenter cette position aux alentours de 3,44% mais surtout à 3,52%, le prochain support majeur. Comme nous l’avons évoqué précédemment, la probabilité d’atteindre un tel niveau dépendra du comportement du S&P 500 et des taux italiens, ces deux paramètres ayant d’ailleurs une influence notable sur l’évolution d’un troisième facteur incontournable: le dollar US.  

Madame Lagarde nous met en garde

Nous suivrons cette semaine avec attention ce qui va se dire à Bali où le FMI tient sa réunion en compagnie de la Banque Mondiale. Au menu, la crise des pays émergents sera sans doute en bonne place aux côtés de la guerre commerciale initiée par le Président Trump. Le retour de politiques protectionnistes est, à juste titre, annonciateur de ralentissement économique mondial et tout doit être mis en œuvre pour que de telles pratiques restent marginales. 

Le ralentissement chinois pourrait être «la goutte d’eau
qui fait déborder le vase» sur les marchés émergents.

Le FMI devrait dévoiler aujourd’hui sa prévision de croissance économique pour l’année 2018 et une révision à la baisse n’est pas exclue. Mais c’est la prévision pour les années ultérieures qui est véritablement intéressante et nous sommes curieux de connaître l’opinion su FMI sur l’ampleur du ralentissement chinois. Ce dernier pourrait être «la goutte d’eau qui fait déborder le vase» sur les marchés émergents durement affectés récemment. 

Si l’Argentine et la Turquie ont fait la une, il ne faut pas mésestimer le repli de nombreuses devises depuis le début de l’année, comme le rand sud-africain (ZAR), la roupie indienne (INR), le rouble russe (RUB) ou la roupie indonésienne (IDR). Le Brésil est un cas à part pour cause d’élection présidentielle: la dépréciation du réal (BRL) depuis le début de l’année est similaire à celle des autres devises émergentes mais depuis le début du mois d’octobre, la monnaie auriverde s’est redressée de plus de 7%. C’est dans ce contexte global incertain que Christine Lagarde a estimé la semaine dernière que «les risques ont commencé à se matérialiser». D’habitude, les grands argentiers utilisent un langage plus nuancé. Conclusion: pour nous envoyer un «wake-up call», elle ne s’y serait pas pris autrement. Bonne semaine!

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