L’appétit pour le risque fait son grand retour

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Les incertitudes demeurent

Brexit: on s’attend au pire. Shutdown: les Démocrates refusent le compromis. Croissance chinoise: 6,4%, le pire chiffre depuis mars 2009. Voilà pour les trois sujets d’inquiétude majeurs. Malgré cet environnement qui devrait inciter à la prudence, les marchés à risque, actions en tête (mais pas seulement), reprennent des couleurs, le S&P 500 affichant la semaine dernière une progression de +2,87%, soit +6,54% depuis le début de l’année et +13,59% depuis le 24 décembre. Les spreads des obligations émergentes en dollars se détendent de manière spectaculaire et la dette corporate est recherchée. 

Ce comportement paradoxal des marchés est la conséquence directe du changement de ton récent de Jerome Powell. La Fed va être attentive et prudente. Elle va suivre l’évolution de l’économie et des marchés. Les investisseurs ont donc reçu le message cinq sur cinq et a mis aux oubliettes les prochaines hausses de taux. Dans leur raisonnement, ils ont omis deux paramètres essentiels. 

Dans l’environnement actuel,
on reparlera à coup sûr d’une hausse des Fed funds le 20 mars.

Premièrement, comme nous l’évoquions déjà la semaine dernière, le QT (Quantitative Tightening) est aussi – sinon plus – important que le niveau des taux directeurs. Deuxièmement, Jerome Powell est intervenu dans un contexte bien particulier, avec un S&P 500 qui se promenait entre 2350 et 2450 avec une probabilité significative de plonger jusqu’aux alentours de 2100. 

Dans l’environnement actuel, si les statistiques économiques se maintiennent (les chiffres de l’emploi notamment) et si le S&P 500 se stabilise aux alentours des niveaux actuels voire 2700, on reparler à coup sûr d’une hausse des Fed funds le 20 mars. En attendant, le moral des ménages commence à battre de l’aile et vendredi après-midi, l’indice de l’Université du Michigan a carrément décroché, passant brutalement de 98,3 à 90,7, du jamais vu sous l’ère Donald Trump. 

Vendredi soir, les marchés étant fermés hier pour Martin Luther King’s Day, les taux longs US retrouvent les niveaux des 27 et 28 décembre avec un 10 ans s’affichant à 2,78% et un 30 ans à 3,09% (contre respectivement 2,54% et 2,88% le vendredi 4 janvier). Dorénavant, le 2-5 ans n’est plus inversé mais la pente est de moins de 1 bp. En revanche, le spread 5-30 ans s’est détendu de 6 bp, passant de 53 à 47 bp. C’est étonnant et contre-intuitif: si la Fed ne monte plus ses taux (ou beaucoup moins qu’attendu), les taux à 2 et 5 ans auraient dû se réajuster et nous aurions dû assister à un «steepening» de courbe. 

Les corrections à la baisse du FMI
nous incite à envisager de remettre de la duration dans les portefeuilles.

Les taux longs ont vraiment du mal à se retendre significativement, signe que toutes les incertitudes mentionnées plus haut ne sont pas négligées par les investisseurs obligataires. Cela veut peut-être signifier que les marchés à risque, qui sont remontés en les minimisant, risqueront un jour de payer la facture de leur négligence. A la veille de l’ouverture du forum de Davos, le FMI a, pour la deuxième fois en trois mois, révisé à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour 2019 et 2020 en citant pêle-mêle la guerre commerciale, un no-deal Brexit et un ralentissement significatif en Chine et en Europe. Une piqûre de rappel salutaire qui nous incite à envisager de remettre de la duration dans les portefeuilles si les taux US Treasuries à 10 et 30 ans repassent au-dessus de 2,80% et 3,10%.

La BCE jeudi, un suspense insoutenable!

Il ne se passera rien jeudi et c’est tant mieux! La BCE ne peut pas, dans le contexte actuel, envisager une politique monétaire plus restrictive. D’un autre côté, si Mario Draghi se montre trop «dovish», il va affoler les marchés déjà inquiets. Même si c’est faux d’un point de vue économique, les marchés voient déjà l’Allemagne en récession et le FMI a confirmé l’impact négatif des gilets jaunes sur l’économie française. Le Bund s’est tendu la semaine dernière mais semble se maintenir à 0,25%-0,26% (contre 0,20% mardi dernier). 

Un no-deal Brexit aurait un impact significatif en Europe continentale.

En termes de stratégie, nous serions tentés, comme sur le marché US, de reprendre un peu de duration si jamais le Bund venait à se tendre au-delà de 0,30%-0,35%. Ce n’est guère tentant comme rendement mais il s’agirait de délivrer de la performance en revendant ces Bunds à un taux inférieur, à 0% par exemple. 

Outre les risques internationaux (Chine et US principalement), trois facteurs pourraient influencer le comportement du 10 ans allemand en faveur de cette stratégie. Tout d’abord, un no-deal Brexit aurait un impact significatif en Europe continentale. Ensuite, l’euro-dollar pourrait très bien retourner dans la zone 1,15-1,20. Enfin, la BCE pourrait, d’ici la fin de l’année, réintroduire des mesures de politique monétaire accommodantes. Le Bund n’a peut-être pas fini de nous surprendre en 2019.

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