Fin d’année en trombe pour les emprunts d’Etats

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Le vent tourne avant la Fed demain soir

L’indice Bloomberg Barclays US Treasuries (LUATTRUU) délivre une performance de +0,94% depuis le début du mois. Cette progression flatteuse est, bien évidemment, la conséquence du comportement des marchés à risque, S&P 500 en tête (-5,8% depuis le début du mois). La clôture hebdomadaire de vendredi soir, juste sous les 2'600 points, n’a rien d’anecdotique et la pression est désormais sur les membres du FOMC qui ne s’attendaient pas à endosser une telle responsabilité demain soir. 

Jusqu’à présent, le scénario était écrit: une hausse de taux, un discours convenu sur une économie robuste, peut-être un peu trop à cause des cadeaux fiscaux de Trump, une inflation aux alentours de l’objectif de 2%, trois hausses de taux en 2019 (la première sans doute le 20 mars) et, pour terminer, une petite touche négative sur la guerre commerciale. Mais ça, c’était «avant». Monsieur Powell va sans doute devoir infléchir son discours (mais pas trop sinon ce sera la panique) afin d’intégrer les récents changements de comportement des marchés. 

Les taux réels devront être scrutés à la loupe
par tous les types d’investisseurs, pas seulement obligataires.

En effet, depuis quelques semaines, les sujets de débats entre investisseurs obligataires se sont finalement propagés. Des spreads de crédit qui s’écartent, une courbe plate/inversée, un Powell finalement dovish (en tout cas perçu comme tel), des marchés actions qui s’inquiètent…tout cela crée une ambiance propice à un rally de fin d’année sur les emprunts d’Etat. Nous gardons le meilleur pour la fin: jetez un œil sur le break-even d’inflation à 30 ans (USGGBE30 sur Bloomberg): il est passé de 2,18% fin septembre-début octobre à 1,91% hier. 

Ce plongeon est le signe que les anticipations d’inflation sont revues drastiquement à la baisse et si ce break-even poursuit sa dégringolade, nous songerons sérieusement à réinvestir dans les TIPS (US Treasuries indexées sur l’inflation) à partir de 1,75%. Cet objectif n’est pas inatteignable et la dernière fois que nous avions investi en TIPS 30 ans, c’était en 2016 sur le niveau de 1,60% (nous étions même passés brièvement sous les 1,50% en février 2016). Plus que jamais, ce début d’année 2019 sera une période-clé pour les taux réels. Certes, les taux nominaux conserveront un intérêt majeur mais les taux réels devront être scrutés à la loupe par tous les types d’investisseurs, pas seulement obligataires.

Draghi souffle le chaud et le froid

La réunion de la BCE la semaine dernière n’était pas a priori la plus intéressante de l’année. Pas de hausse de taux en vue, confirmation de l’arrêt du programme d’achats en fin d’année… rien de bien excitant. Sauf que Mario Draghi en a profité pour mentionner les récentes évolutions macroéconomiques décevantes en zone euro. Il fallait bien s’attendre tôt ou tard à ce que la BCE admette que sa situation, entre inflation toujours pas au rendez-vous et croissance qui pique du nez, n’est pas des plus confortables. Nous persistons à penser qu’à un moment ou à un autre, peut-être avant la fin du mandat de Mario Draghi, la BCE sera dans un «corner» et que la seule solution en sa possession (sa boîte à outils classiques étant désespérément vide) sera le recours à un QE2. 

La fragilité économique des pays leaders
va coïncider avec des inquiétudes politiques.

Le discours officiel mentionne un ralentissement temporaire mais qui peut croire un instant que l’Italie va renouer rapidement avec la croissance? Que l’Allemagne ne va pas souffrir de la chute de ses exportations? Que l’impact des gilets jaunes en France sera anecdotique? Alors bien sûr, certains pays redressent la tête comme l’Espagne et surtout le Portugal. Mais la fragilité économique des pays leaders va coïncider avec des inquiétudes politiques: la fin de règne de Madame Merkel, les élections européennes, un risque en Espagne et en Italie (l’attelage Di Maio-Salvini risquant d’exploser à tout moment). Et puis, il y a le Brexit. Après avoir envisagé une sortie de crise convenable, force est de constater que Madame May est dans une impasse et que les scénarios les plus pessimistes réapparaissent. 

Dans cet environnement, marqué par des marchés actions en baisse de 12% depuis le début de l’année (-16% pour le Dax), il n’est finalement pas étonnant de voir le Bund se maintenir autour de 0,25%. Le pire, c’est peut-être le taux allemand à 2 ans qui stagne désespérément autour de -0,60%. C’est le signe que les marchés n’anticipent pas de normalisation monétaire de la BCE avant un long moment. Une courbe de taux allemande soi-disant inintéressante en début d’année avait poussé les investisseurs à se tourner encore plus vers les actions, voire les actions à dividende se substituant aux coupons des obligations «du bon vieux temps». On connaît le résultat. Dans le même temps, le 10 ans allemand, 0,43% le 29 décembre 2017, se négociait à 0,25% hier. Ce n’était finalement pas un si mauvais investissement…

A lire aussi...