Chronique des taux de la banque Eric Sturdza

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Mario Draghi ne montera jamais les taux!

La BCE prudente et pragmatique

La rumeur voulait que la BCE s’inquiète des répercussions de la guerre commerciale sur l’activité économique de la zone euro. Mario Draghi a redoublé de prudence jeudi dernier à l’occasion d’une conférence de presse où, sur le fond, rien n’a été dit mais avec un ton très mesuré. Par exemple, il a été confirmé que le programme d’achat s’arrêtera en septembre mais pas forcément et que la BCE n’envisage de relever ses taux que très longtemps après la fin du QE. Le mandat de Monsieur Draghi s’achevant fin octobre 2019, nous pouvons, sans trop nous tromper, affirmer que «Super Mario» laissera à son successeur le soin de procéder au premier relèvement de taux post-assouplissement quantitatif. 

Du côté des statistiques économiques, l’inflation allemande est ressortie hier à 1,6%, soit 0,1% de plus qu’attendu. Dans le même temps, le CPI de l’Union européenne est passé de 1,5% à 1,4%. Outre-Atlantique, la croissance US du premier trimestre est ressortie à 2,3%, soit 0,3% de plus qu’attendu. Les jours qui viennent s’annoncent palpitants avec le FOMC demain soir et les chiffres de l’emploi vendredi. Nous ne nous attarderons pas trop (sauf accident peu probable mais sait-on jamais) sur les quelque 200'000 créations d’emplois ou le taux de chômage à 4%, mais plutôt sur l’augmentation du salaire horaire. Ce dernier, que le consensus Bloomberg attend à +2,7% est un véritable indicateur de l’inflation salariale.

Le 10 ans US à 3% et après?

Il fallait bien que ça arrive! Le 10 ans US a enfin atteint le niveau «magique» de 3% la semaine dernière. Il n’y est pas resté très longtemps, de mardi 16 heures à jeudi 20 heures, avec un top à 3,0334% mercredi vers 20 heures. Il n’a donc pas franchi le niveau clé de 3,0516% qui était, techniquement parlant, l’éventuel déclencheur d’une poursuite du «bear market». Pour rester dans l’analyse technique, étant donné que le 10 ans s’est retourné en-dessous de 3,05%, il peut désormais redescendre vers 2,84%, correspondant au 61,8% Fibonacci du mouvement haussier 2,72%-3,03% du mois d’avril. Ce passage éclair au-dessus de 3% aura eu le mérite de remettre au goût du jour un ratio que les partisans des marchés actions avaient trop vite enterré. Le rapport entre taux du Treasury 10 ans et taux du dividende moyen du S&P 500 a en effet atteint son niveau le plus élevé depuis 2013. Pour la première fois depuis cinq ans, si nous ne raisonnons qu’en termes de rendement, il est permis d’hésiter entre les deux marchés. 

Le trader inconnu contre l’aplatissement de la courbe.

La semaine dernière, au moment où – justement – le 10 ans US naviguait autour de 3% (est-ce un hasard?) Bloomberg nous apprenait qu’un trader avait mis en place une stratégie de repentification de la courbe US via le marché des Futures pour des montants colossaux. Ce trader non identifié aurait acheté 100'174 contrats 5 ans et «shorté» 63'887 contrats 10 ans. Il aurait également adopté une stratégie inverse sur la courbe allemande en «shortant» 65'362 contrats Bobl 5 ans et achetant 29'145 Bunds (soit pour gagner sur l’aplatissement de la courbe européenne, soit pour «alléger» son pari sur la courbe US en pariant sur une pentification mois forte en Allemagne). Cette stratégie aurait une DV01 de 4,7 millions de dollars, c’est-à-dire que pour chaque mouvement de 1 point de base de cette combinaison, le trader gagne ou perd près de 5 millions. 

Nous tenions à vous mentionner cette histoire pour deux raisons. La première, c’est qu’il ne faut peut-être pas aller chercher plus loin pourquoi le 10 ans US est passé au-dessus de 3% ce jour-là. Deuxièmement, c’est de loin le plus important, il existe une frange non négligeable de notre profession qui pense que l’aplatissement de la courbe est allé trop loin et qu’il faut désormais adopter des stratégies de «repentification». Nous estimons que l’aplatissement n’est pas terminé. Nous sommes investis en 30 ans US et une partie de cet investissement est couverte par un «short» 5 ans. Nous privilégions en effet le 5-30 ans dans notre stratégie, comme la plupart des gérants obligataires. 

En revanche, une grande partie des investisseurs institutionnels généralistes regarde plutôt le 2-10 ans. Par conséquent, le 10-30 ans devient un spread très intéressant à suivre car il évolue au gré des transactions entre «purs obligataires» qui se positionnent sur le 5-30 et les autres sur le 2-10. Pour mettre tout le monde d’accord, Bill Gross estime que la courbe des swaps devient plus intéressante à regarder. Le 2 ans est à 2,75%, le 5 ans à 2,91%, le 10 ans à 2,98% et le 30 ans s’élève à 3,01%. Cela nous donne des spreads déjà très aplatis: un 2-10 encore à 23 points de base mais un 5-30 à 10 points de base seulement et un 10-30 à 3 petits points de base. C’est sans doute de là que viendra l’inversion, avant de se propager sur la courbe des emprunts du trésor US.
 

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