Vous étiez en avance sur votre temps, M. Gore!

Yvan Mermod & Pascal Sprenger, KPMG Suisse

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Considérer les initiatives réglementaires comme le principal moteur du développement durable est une erreur.

Yvan Mermod, Partner Services Financiers, KPMG Suisse

Lorsque le documentaire «Une vérité qui dérange» de l’ancien vice-président américain Al Gore est sorti en 2006, le grand public n’était évidemment pas indifférent, malgré sa part de responsabilité. Néanmoins, ce n’est que récemment que l’impact de l’activité humaine sur l’environnement est sur le devant de la scène politique et médiatique et au centre de l’attention du grand public, en particulier concernant les effets du réchauffement climatique. Le mouvement «Fridays For Future» illustre cette prise de conscience, en particulier auprès des nouvelles générations.

En plus, et aussi en raison de l’évolution de l’opinion publique, les régulateurs internationaux et nationaux ont transposé les ambitions d’ordre général, comme la réduction des émissions mondiales de CO2, dans des lois, règles et règlements concrets au niveau national. En 1992, lors du «Sommet de la Terre» à Rio de Janeiro, les Nations unies et les Etats membres ont adopté «Action 21», un plan d’action complet visant à établir un partenariat mondial pour le développement durable. 2015 a été une année-charnière pour l’élaboration de politiques au niveau international, avec l’adoption de plusieurs accords majeurs, notamment l’Agenda 2030 pour le développement durable avec ses «17 Objectifs de Développement Durable» ou l’Accord de Paris sur le Climat.

Les gouvernements, puis les autorités de régulation des marchés financiers, se sont rendu compte du rôle clé que l’industrie des services financiers doit jouer afin de réaliser un développement durable. Dans l’UE en particulier, de nouvelles exigences ont été posées pour le secteur des services financiers, sous l’appellation ESG – exigences environnementales, sociales et en matière de gouvernance. Il existe différentes raisons à cela:

Les changements réglementaires obligent les banques et gestionnaires
d’actifs à adapter leur offre de services à la nouvelle réalité.

D’une part, les activités d’investissement privé contribueront à financer la transition vers une économie verte. Avec les seuls actifs publics, il serait quasiment impossible de réaliser cet objectif. Cela suppose également que les investisseurs individuels soient vraiment prêts à investir d’une manière durable s’ils en avaient la sensibilité et la possibilité. Par conséquent, l’UE a édicté diverses réglementations garantissant que, par exemple, les banques demandent à leurs clients leurs préférences en matière d’investissements durables.

D’autre part, les régulateurs ont aussi réalisé que le changement climatique pourrait représenter un risque majeur pour l’industrie des services financiers également. Si, par exemple, une banque est fortement exposée en finançant l’industrie pétrolière, la limitation mondiale des émissions de CO2 aura un impact direct sur la solvabilité de ces clients. Il s’agit donc également d’une question de stabilité financière.

En quoi les prestataires de services financiers sont-ils aujourd’hui affectés par ces changements? Les gestionnaires d’actifs et les banques sont confrontés à une demande accrue d’informations, voire même à une pression, de la part des investisseurs institutionnels tels que les fonds souverains et les caisses de pensions, entre autres, concernant les investissements conformes aux exigences ESG. De plus, les changements réglementaires obligent également les banques et gestionnaires d’actifs à adapter leur offre de services à la nouvelle réalité. En Suisse, l’Association suisse des banquiers (ASB) et la Swiss Fund and Asset Manager Association (SFAMA) ont émis des lignes directrices quant à la manière d’intégrer les exigences de développement durable dans le processus de conseil et/ou d’investissement. 

Toutefois, considérer les initiatives réglementaires comme le principal moteur de la question du développement durable serait une erreur à ne pas commettre pour les prestataires de services financiers. Il nous paraît primordial que ces derniers abordent ce sujet d’une manière globale, en intégrant les aspects liés au développement durable dans la stratégie d’entreprise, voire même la culture d’entreprise. Comme déjà mentionné, l’environnement réglementaire actuel évolue et il n’existe pas à ce jour de «norme sectorielle» dominante concernant ce qui peut être compris d’un investissement conforme aux exigences ESG. Le développement d’une telle norme renforcerait la crédibilité des initiatives individuelles. Dans ce contexte, il est essentiel que les prestataires financiers communiquent clairement à leurs clients ce qu’ils peuvent attendre des produits d’investissement dits durables.

Les prestataires de services financiers ont une opportunité unique de donner du sens à leurs produits et, par conséquent, de renforcer la relation avec leurs clients. Une offre de prestations de services honnête, transparente et conforme aux exigences ESG constitue un important élément de différenciation et n’aidera pas seulement l’environnement, mais offrira également de nouvelles opportunités commerciales.

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