Gestion de fortune: décryptage des transactions de M&A

Laurent Pellet,, Lombard Odier, et Philipp Fischer, Oberson Abels

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Quelles sont les différentes structures de transactions envisageables? Avec quelles conséquences et quels enjeux? Nos décryptages ci-dessous.

Les transactions de fusions et acquisitions (M&A) font aujourd'hui partie de la panoplie stratégique des sociétés de gestion de fortune qui cherchent à élargir leur base de clientèle ou à diversifier leurs services. Quelles sont les différentes structures de transactions envisageables? Avec quelles conséquences et quels enjeux? Nos décryptages ci-dessous.

La consolidation dans le secteur des gérants de fortune externes (EAM) est un thème récurrent depuis de nombreuses années sans s’être réellement concrétisé dans les faits pour l'instant. 

Avec l’introduction des nouvelles réglementations en Suisse, la donne pourrait changer, à l’instar de ce qui s’est produit notamment au Royaume Uni et au sein de l'Union européenne (en France et Allemagne en particulier). L’impact du changement réglementaire, additionné à un modèle d’affaires fragile en termes d’équilibre financier, pourrait tout à fait se révéler être un accélérateur d’une concentration chez les gérants de fortune externes dans un horizon à 3 ans. 

Ceci étant dit, il convient de tenir compte du fait que la plupart des rapprochements entre sociétés de gestion de fortune externes ne sont pas rendus publiques, mais demeurent discrets, ce qui donne une perception tronquée du nombre réel d’opérations de M&A. 

Trois typologies se distinguent en matière de transactions de type «fusions et acquisitions» dans le domaine de la gestion de fortune:  le share deal, l'asset deal et la referral transaction. Dans la pratique, des combinaisons entre ces trois modèles se sont aussi développées.

Share deal

Le share deal implique la vente des actions de la société, souvent une société de capitaux telle qu'une société anonyme. Cette approche, appréciée pour sa simplicité et son efficacité, permet un transfert direct de l'actionnariat sans modifier la structure juridique de la société. Les avantages pour le vendeur (basé par hypothèse en Suisse) incluent la possibilité de percevoir directement le produit de la vente, en réalisant, sous certaines conditions, un gain en capital franc d'impôts. En revanche, l'acheteur doit de son côté assumer l'ensemble des passifs de la structure qu'il acquiert. L'acheteur aura donc intérêt à effectuer une due diligence approfondie. Compte tenu des exigences de confidentialité, une due diligence est parfois aussi réalisée par le vendeur (vendor due diligence) et mise à disposition de l'acheteur.

Par ailleurs, l'acheteur demandera des garanties contractuelles et veillera à inclure des clauses pour protéger ses intérêts, comme  un mécanisme de paiement différé d'une partie du prix de vente ou un calcul du prix en fonction de la rentabilité après la vente – même si ces mécanismes sont généralement peu appréciés du vendeur.

Asset Deal

Dans un asset deal, ce sont les actifs spécifiques de l'entreprise qui sont transférés, offrant une plus grande flexibilité à l'acheteur pour exclure les actifs indésirables, par exemple des relations-clients qui ne s'intègrent pas dans la stratégie commerciale ou l'appétit aux risques de l'acheteur. Cette structure est souvent plus complexe à mettre en œuvre et entraîne des répercussions directes sur les clients et les employés. En effet, elle nécessite généralement l’accord des personnes concernées, employés ou clients. La manière d'obtenir un tel accord sera souvent au cœur des discussions entre les parties, qui poursuivent des objectifs différents: Le vendeur visera un mécanisme le moins intrusif possible pour s’assurer du transfert d’un maximum de relations-clients, étant donné que le prix de vente en dépend généralement. Pour sa part, l'acheteur aura plutôt tendance à s'assurer d'un transfert «conscient» de la part des clients, vu que l'on peut penser qu'une acceptation expresse est un gage de fidélité à l'acheteur.

S'agissant du transfert des collaborateurs, le droit suisse connaît un instrument juridique permettant un transfert facilité des contrats de travail lié à un patrimoine transféré, étant précisé qu'au-delà du transfert «juridique» des relations d'emploi, l'acheteur demandera au vendeur la mise en place d'un programme de rétention (financé parfois par l'acheteur) afin de s'assurer de la pérennité des employés-clés après le Closing de la transaction. 

Referral Transaction

Cette forme de transaction repose sur la recommandation par le vendeur de ses clients à l'acheteur. Le vendeur est rémunéré en fonction des actifs sous gestion (AUM) effectivement transférés pendant une certaine période. Cette structuration offre peu de certitude quant au transfert effectif des relations clients, rendant la transaction incertaine pour les deux parties.

L’épineuse question de la gestion des données-clients

Un aspect crucial des transactions dans le secteur de la gestion de fortune est le traitement des données clients. Les EAM doivent se conformer à des réglementations strictes, telles que le secret professionnel et les lois sur la protection des données, tant en Suisse qu'au niveau de l'Union européenne. Selon la structure de la transaction, il est nécessaire d'obtenir le consentement des clients. Dans tous les cas, les clients doivent être informés de la transaction indépendamment de la structure, avec des délais variant selon le type de transaction.

Le nerf de la guerre

Nerf de la guerre, le prix dépend en réalité principalement de deux facteurs, qui sont logiquement indépendants l'un de l'autre, même s'ils sont souvent liés dans la négociation: les modalités de calcul et les modalités de paiement.

Dans les transactions de M&A, les modalités de calcul du prix ne sont limitées que par la créativité des acteurs impliqués (et de leurs conseillers). Diverses méthodes de valorisation sont employées, incluant la valorisation des actifs nets avec un goodwill calculé sur un multiple des actifs sous gestion (AUM), des revenus ou de l'EBIT(DA). Les facteurs influençant la fixation du prix incluent la typologie et la rentabilité des clients, leur profil de risque et les attentes de l'acheteur quant à sa capacité à maintenir le portefeuille d'actifs sous gestion après la transaction.

Les modalités de paiement peuvent varier considérablement, allant du paiement intégral à la clôture au paiement différé, ou encore à des structures où les paiements différés sont calculés en fonction de la rentabilité après la vente (earn-out). Des clauses de claw-back peuvent également être intégrées pour ajuster les paiements en fonction de la conservation des actifs sous gestion après une période déterminée.

La structure juridique de la transaction est un facteur-clé de la réussite d'une transaction pour les deux parties. En effet, la structuration juridique a une conséquence directe sur l'allocation des opportunités et des risques entre l'acheteur et le vendeur.  Il est impératif que les deux parties soient conscientes de ces enjeux avant de s'engager dans la négociation pour tenter de tirer pleinement parti des opportunités de croissance et de consolidation offertes par les transactions de fusions et acquisitions pour les EAM.

Dans la perspective du vendeur Dans la perspective de l'acheteur
  1. Garantie quant au caractère «certain» de la transaction (deal certainty)
  2. Détermination d’un prix fixe
  3. Limitation des obligations post-Closing
  4. Limitation des garanties contractuelles accordées au vendeur compte tenu des incertitudes inhérentes à l’activité de gestion de fortune
  5. Si mécanisme d’earn out, contrôle du vendeur sur les paramètres de calcul durant la phase post-Closing
  1. Possibilité de procéder à une due diligence ou accès à une due diligence réalisée par le vendeur (vendor due diligence)
  2. Détermination d'un prix variable en fonction de l'évolution de l'activité post-Closing
  3. Catalogue de garanties (representations & warranties)
  4. Capacité concrète à obtenir une indemnisation en cas de violations des garanties (par exemple système d'escrow)
  5. Obtention d'un certain niveau de sécurité juridique quant au maintien (ou à l'absence de renégociation automatique) des contrats significatifs (avec les employés-clés et les prestataires de services importants)

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