Il faut s’attendre à un long été de volatilité

Nicolette de Joncaire

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En France, il faudra former un gouvernement, soumettre un budget à l’automne et le faire accepter par l’UE. Alors que rien n’est prêt. Avec Vincent Chailley de H2O AM.

Lorsque le consensus affirmait de multiples baisses de taux de la Fed cette année1, prudent, Vincent Chailley, CIO du groupe H2O AM suggérait que plusieurs facteurs compliqueraient la tâche de la Réserve fédérale dans sa politique de réduction des taux dont un «choc de demande» et un emballement des marchés de capitaux. L’histoire lui a donné raison et la justesse de ses prévisions de février ont permis de protéger les portefeuilles de certains aléas. Aux Etats-Unis, la Fed baissera les taux pour protéger la portion la plus vulnérable de la population. Et il ne faut pas s'attendre à ce que les marchés américains continuent à s’apprécier au rythme des récentes années. De ce côté de l’Atlantique, avec un gouvernement à former et un budget à préparer à l’automne avant approbation de l’Union européenne, que nous réserve l’été politique en France?

Qu’attendez-vous des mois à venir?

Sur les trois dernières années, il fallait être attentif aux phénomènes macroéconomiques: mesures anti-Covid, guerre en Ukraine, reprise de l’inflation. Depuis le début de l’année, l’environnement macro est moins volatile. Or, en général, moins la macro est volatile, plus les marchés le sont. Et si, comme le consensus, nous pensons que la Fed sera amenée à baisser les taux bientôt, il ne faut pas tout miser sur ce seul scénario et penser à construire des portefeuilles qui naviguent efficacement entre plusieurs cas de figure.

La Fed attend un ralentissement de la dynamique économique pour baisser les taux. Est-il en train de se produire?

Le ralentissement a subi un retard mais se confirme. Quant aux marchés actions, ils ont été peu impactés par la hausse des taux et sont restés très investis, rapportant nettement plus que l’inflation. N’oublions pas qu’aux Etats-Unis, l’inflation a pour origine une reprise excessive de la consommation, un «choc de demande» qui permet aux entreprises d’augmenter leur prix et de continuer à générer des profits. Tant que les hausses de taux sont accompagnées par une forte croissance de la demande, leur impact sur les entreprises est peu significatif.

Cette tendance va-t-elle perdurer?

Il est peu vraisemblable que les marchés américains continuent à s’apprécier au rythme des récentes années. Malgré l’influence de l’intelligence artificielle, un sujet qui n’est pas nouveau mais très à la mode, dont on attend des gains importants qui ne vont pas se matérialiser dans l’immédiat mais sur la durée, secteur par secteur. De plus, le rythme du progrès de l’effet de richesse de ces dernières années ne se maintiendra pas.

N’oublions pas que la politique non orthodoxe des banques centrales a provoqué une considérable augmentation de la masse monétaire pendant 12 ans et gonflé les actifs financiers. Puis, les mesures anti-Covid ont diffusé cette masse au niveau des consommateurs.  Nous vivons encore un contexte d’excès de liquidités et de renchérissement des actifs – le ratio P/E des actions US tourne autour de 21, ce qui est cher sans pouvoir être qualifié de bulle et les profits continuent à grimper - mais la tendance sera moins claire car le marché est de plus en plus spéculatif.

Que va-t-il se passer?

Le dilemme de la Fed a été de freiner l’inflation sans casser la croissance, d’où son maintien de taux d’intérêt un peu élevés. Mais, avec l’accroissement des inégalités, ce moment touche à sa fin. La hausse des actions enrichit environ une moitié des Américains (ils sont beaucoup plus investis sur les marchés financiers que ne le sont les Européens) mais l’autre moitié de la population souffre. On le voit aux taux de défaut des cartes de crédit, à la baisse de consommation des ménages les plus modestes et à leur volonté de conserver leur job dans un marché de l’emploi que le retour de l’immigration post-covid a rendu plus compétitif. La Fed n’ignore pas cette réalité (on l’entend fort bien dans son discours) et sera amenée à baisser les taux en septembre pour protéger la partie la plus fragile de la population.

On note aussi une forte concentration du marché sur certaines valeurs.

Cet effet est aggravé par la gestion passive qui draine la liquidité vers les grandes capitalisations et certains secteurs mais aussi par une grande partie de la gestion active qui accompagne ce momentum. Cet effet «moutons de Panurge» a été renforcé par les taux à zéro et une liquidité bon marché. A l’exception de quelques investisseurs «value», peu d’acteurs se sont déconnectés des mouvements emportés par la gestion passive. Or ces investissements peuvent apporter beaucoup de valeur sur le moyen et long terme car ils offrent des rendements intéressants et, à terme, la valeur converge toujours vers les fondamentaux.

Par exemple?

Quand le consensus attendait de nombreuse baisse des taux, nous avons protégé les portefeuilles en intégrant le risque d’absence de baisses, qui s’est matérialisé. Aujourd’hui c’est l’inverse, le marché n’attend plus de baisse alors que l’économie continue à ralentir. Le schéma s’est donc inversé et nous pouvons désormais acheter des obligations défensives à moindre risque, ne serait-ce que pour se protéger de la volatilité. C’est un arbitrage du passage de l’excès de pessimisme à l’excès d’optimisme. Nous avons augmenté la duration des portefeuilles obligataires sur presque tous les marchés, en Europe, dans les émergents et même aux Etats-Unis.

Parlons de volatilité.

Il y a eu davantage de volatilité dans les dernières semaines avec des secousses en Amérique Latine – Mexique et Brésil notamment. Avons-nous eu affaire à du «bruit» et du suivisme ou existe-t-il de véritables raisons de se préoccuper?  Selon nos analyses, un grand nombre d’investisseurs sont sortis de marchés dont la situation fondamentale n’a pas changé. Ces pays continuent à bénéficier d’un prix des matières premières robuste et de la relocalisation des industries à proximité des USA. En conséquence, leurs actions sont redevenues peu couteuses et, comme leurs banques centrales devront maintenir des taux élevés pour attirer des capitaux, la prime est d’autant plus intéressante. Nous avons donc perçu cette volatilité comme une opportunité et avons renforcé certaines positions, au Mexique en particulier.

Que pensez-vous de la situation politique en Europe? Qu’en attendre?

Je commencerais par constater que le Brexit a alerté les européens des dangers d’une séparation, et que le risque d’éclatement de l’Union européenne et de la zone euro est plus faible qu’il ne l’était il y a dix ans.  La volatilité déjà présente dénote-t-elle le début d’une catastrophe ou sommes-nous confrontés à un «bruit» dont on pourra tirer profit rapidement? Trop tôt pour se prononcer. Aucun programme économique n’était prêt quand le Président Macron a dissous l’Assemblée nationale alors qu’il va falloir former un gouvernement, soumettre un budget à l’automne et le faire accepter par l’Union européenne. Notons à ce propos que les trois partis en présence proposent, avec un bel ensemble, une augmentation des dépenses, alors qu’en raison de son déficit, le pays devrait les réduire pour répondre aux objectifs fixés avec l’Europe après la crise Covid. Il faudra donc, à un moment donné, revenir sur une partie des promesses faites au peuple français d’une part et négocier avec l’Europe de l’autre.

L’incertitude, et donc la volatilité, durera sans doute au moins tout l’été et le coût de la dette française continuera de s’élever alors que son taux est déjà supérieur de 75 points de base au taux allemand, l’écart le plus élevé des derniers dix ans. Cela dit, le risque de crise sérieuse en France nous parait encore modéré, mais si elle se produisait, la Banque Centrale européenne n’hésiterait pas à baisser agressivement les taux pour protéger l’espace économique. Dans ce cadre, l’agressivité dont font preuve les marchés à l’égard des actifs français nous paraît déjà excessive.

 

1Mieux vaut ne pas anticiper une baisse linéaire des taux US (https://www.allnews.ch/content/interviews/mieux-vaut-ne-pas-anticiper-une-baisse-lin%C3%A9aire-des-taux-us).

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