Vers une nouvelle carte du commerce mondial

Salima Barragan

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Les entreprises se réorganisent afin d’éviter des pénuries en cascade. Avec Nina Lagron de La Financière de l’Echiquier - LFDE.

Guerre tarifaire sino-américaine, crise du Covid, conflit en Ukraine: cette série d’événements a grippé la chaine d’approvisionnement mondiale, laissant des pans sectoriels entiers sur le carreau. Les entreprises se réorganisent afin d’éviter de futures pénuries. Leur plan: privilégier les circuits courts. Les États cherchent aussi à se libérer de leur dépendance à l’approvisionnement de certaines marchandises stratégiques, quitte à fermer les yeux sur le libre-échange. Ce mouvement de plaques tectoniques va-t-il redessiner la carte du commerce mondial? L’éclairage de Nina Lagron de La Financière de l’Echiquier - LFDE

Relocalisation de la production

Comptant pour 80% des échanges commerciaux, la globalisation s’est généralisée en raison de ses coûts de production les plus bas possibles. Environ 90% des composants des panneaux photovoltaïques sont produits en Asie et près de 75% des actifs pharmaceutiques proviennent de sites hors de l’Union européenne et des États-Unis. La Russie, la Biélorussie et l’Ukraine fournissent la plus grande partie des engrais agricoles. Or, depuis que la grande machine mondiale a révélé ses failles au grand jour, les États cherchent de nouveaux canaux d’approvisionnement pour des matières premières ou des marchandises stratégiques comme les semi-conducteurs, quitte à fermer les yeux sur le libre-échange.  «La quête de résilience et de souveraineté passe par la relocalisation de biens, de sites de production et de savoir-faire afin de réduire la dépendance industrielle de certaines filières», souligne Nina Lagron. Les plans de réindustrialisation sont en marche:  Emmanuel Marcon vient d’annoncer la relocalisation en France de 50 médicaments prioritaires. La réorganisation du secteur aéronautique, un enjeu géopolitique historique, est également à l’ordre du jour.

Les débats sont en cours

La 53e édition du forum économique tenue en janvier à Davos abordait les thèmes de la défragmentation de la globalisation et de la course aux subsides. Quels seront les nouveaux pourtours de la nouvelle carte mondiale du commerce? Visionnaire avec sa publication parue en 2004 et intitulée «the end of globalization», l'historien en économie de Princeton Harold James explique comment une ère d’intégration économique en vient à s’effondrer suite à des évènements extrêmes. Il cite en exemple les années 1930.

Soyons clairs: la réorganisation de la chaine logistique ne profitera pas à tout le monde. Dans un papier paru en pleine crise du Covid, Kenneth Rogoff de Université de Harvard écrit que ce nouveau modèle conduira à une croissance mondiale plus lente, ainsi qu’à une baisse des revenus nationaux, excepté pour les pays dominants. Retournera-t-on pour autant au découplage économique?

Durant quelques décennies, la globalisation a maintenu une déflation structurelle. La dynamique inverse n’échaufferait-elle pas à long terme le renchérissement, au lieu tempéré la flambée des prix des biens et de l’énergie induite par le blocage de la chaine logistique? «La relocalisation de la production implique souvent des coûts plus élevés, en raison des salaires, des réglementations environnementales et des normes de qualité. Si ces frais supplémentaires sont répercutés sur les prix des produits, l'inflation pourra augmenter. Mais cette hausse pourrait être atténuée par l’automatisation. Ce qu’il est important de garder à l’esprit, c’est que la relocalisation s’opère lentement; ses effets seront lissés dans le temps», nuance Nina Lagron.

Une ère commerciale multipolaire

Depuis peu, de plus en plus d’entreprises réorganisent leur production en pratiquant le nearshoring, qui consiste à privilégier les circuits courts.  «Des modèles d’affaires et des écosystèmes locaux voient le jour, favorisés notamment par des mutations technologiques et des plans massifs de soutien public en faveur de filières stratégiques, tels que l’IRA, le CHIPS et le JOBS Act aux États-Unis ou le PLI Scheme en Inde», ajoute Nina Lagron. Les entreprises cherchent à diversifier leurs sources d'approvisionnement afin de réduire leur dépendance à certains pays fournisseurs.

Le commerce mondial semble ainsi se diriger dans un système multipolaire. Les régions à proximité d’un réservoir de consommateurs finaux, dotées d’infrastructures de transport, de savoir-faire manufacturiers, mais aussi d’accords commerciaux seront les gagnantes de cette nouvelle ère. L’Asie du Sud-Est monte en puissance: de plus en plus de multinationales déplacent leurs activités de production au Vietnam, en Indonésie, en Thaïlande, en Malaisie et aux Philippines afin de bénéficier d’une main-d'œuvre compétitive.

L’Europe de l’Est pourrait devenir l’atelier de l’Europe. «La Pologne, la République tchèque, la Hongrie, Roumanie sont situées à un carrefour entre l'Europe occidentale, l'Asie et le Moyen-Orient, leur conférant un avantage logistique en termes de proximité des marchés de consommation européens et de facilités d'accès aux fournisseurs asiatiques, mais ils doivent encore améliorer leur efficacité logistique», précise Nina Lagron. Enfin, certains pays d’Amérique latine, notamment le Mexique, le Brésil, la Colombie et le Pérou, bénéficient d'accords commerciaux privilégiés et une proximité avec l’immense marché nord-américain.

Le secteur manufacturier est au cœur des opérations de relocalisation. Les filières de l’habillement, de l'électronique, de l'automobile, de la machinerie et des biens de consommation sont aussi concernées. La question reste de savoir si les consommateurs seront prêts à payer leurs produits un peu plus chers. En fin de compte, c’est souvent les prix qui mènent les échanges.

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