Une épine dans le pied

Silke Humbert, Swisscanto

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Comment les émissions dites «de Scope 3» détermineront-elles la réussite des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat?

Les entreprises réagissent à la prise de conscience croissante du changement climatique. Elles établissent des rapports sur leurs émissions de gaz à effet de serre et adaptent leurs processus de production et de travail. Cependant, ces changements ne suffiront pas à atteindre l'objectif de l'Accord de Paris sur le climat. L'une des principales raisons de ce manquement prévisible est l’absence de considération des émissions de type Scope 3. Une véritable épine dans le pied de la lutte contre le réchauffement climatique.

L'indicateur Scope 3 est destiné à mesurer les émissions de gaz à effet de serre des chaînes d'approvisionnement et des clients des entreprises. Ainsi, Scope 3 peut servir de levier essentiel, parmi d'autres, pour établir de nouvelles références au sens de l'objectif de l'Accord de Paris sur le climat. Une mise en œuvre conséquente de Scope 3 avec un enregistrement détaillé des gaz à effet de serre dans les chaînes d'approvisionnement représente évidemment une charge de travail considérable. Toutefois, nous sommes fermement convaincus qu'un processus de «destruction créatrice», selon le grand économiste Schumpeter, peut commencer ou est déjà en cours dans le cadre d'une utilisation de modèles d'affaires durables, de la préservation des ressources et de l'économie circulaire. 

En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre d'une entreprise, une distinction est faite entre Scope 1, Scope 2 et Scope 3:

  • Scope 1: gaz à effet de serre produits directement pendant le processus de production d'une entreprise
  • Scope 2: gaz à effet de serre produits par l'énergie achetée
  • Scope 3: gaz à effet de serre générés par l'utilisation du produit fabriqué dans la chaîne d'approvisionnement d'une entreprise ou chez l'acheteur.
Scope 1 et Scope 2: faciles à quantifier

Chaque entreprise peut gérer et quantifier relativement facilement les émissions de gaz à effet de serre générées par son processus de production (Scope 1 et Scope 2) en s'appuyant sur la forme d'énergie achetée. En revanche, les émissions Scope 3 ne sont guère quantifiées. Pourquoi donc? La réponse est simple : d'après les dirigeants d'entreprise, «les émissions en amont et en aval échappent à notre contrôle. Nous n'avons pas de données à leur sujet.» En outre, on ne sait pas comment aborder les chaînes d'approvisionnement complexes. Il existe donc de nombreux obstacles à la mesure de Scope 3, même s'il y a déjà des suggestions constructives à ce sujet, comme le Protocole des gaz à effet de serre. 

Scope 3: difficile à mesurer mais ô combien pertinent

Un enregistrement plus large des émissions de Scope 3 serait déjà important, car cette catégorie englobe la plupart des émissions de gaz à effet de serre, comme le montre le graphique suivant, à l'exemple de l'indice MSCI ACWI IMI. L'indice MSCI All Country World Investable Market (ACWI IMI) permet d'accéder aux actions de 23 pays développés et de 27 pays émergents. Cet indice comprend des titres des segments Large Caps, Mid Caps et Small Caps. Il apparaît clairement que les émissions de la catégorie Scope 3 sont presque trois fois plus élevées que celles des catégories Scope 1 et Scope 2 réunies. On constate également que Scope 3 provient principalement du «downstream», c'est-à-dire en aval des chaînes production c’est-à-dire au niveau de l'utilisation de produits par les clients/utilisateurs finaux.

Intensité des émissions de gaz à effet de serre (Scope 1 & 2 contre Scope 3)

  
Intensité carbone moyenne pondérée (WACI) du MSCI ACWI IMI au 10 juillet 2020. Le WACI (Weighted average carbon intensity) mesure l'intensité carbone de chaque entreprise de l'indice multipliée par sa pondération dans l'indice. 

Source: MSCI ESG Research LLC

 

Scope 3 versus Scope 1 et 2: quelques exemples

En ce qui concerne Apple plus des trois quarts des émissions de catégorie Scope 3 proviennent de la fabrication de (pré)produits dans la chaîne d'approvisionnement. Pour les entreprises énergétiques telles que Shell ou BP, plus des trois quarts des émissions relèvent également de la catégorie Scope 3. Cette fois, elles ne proviennent pas de la chaîne d'approvisionnement, mais de l'utilisation de la matière première par l'utilisateur final. Il est certes louable que les entreprises organisent leurs propres processus de production de manière à réduire les émissions des catégories Scope 1 et 2. Mais cela ne suffira pas pour atteindre l'objectif climatique de l'Accord de Paris. L'impact réel sur le climat provient des émissions de type Scope 3.

Les émissions Scope 3 dans le collimateur

Bien sûr, il existe déjà des initiatives pour recenser et réduire les émissions Scope 3, par exemple celle de l'organisation GHG, la Greenhouse Gas Initiative. Aujourd'hui, des entreprises comme Apple et Microsoft se concentrent également sur les émissions générées par leurs chaînes d'approvisionnement. L'exemple d'Apple montre qu'il y a beaucoup à faire. Chez Apple, seul 1% de l'empreinte carbone provient des émissions des catégories 1 et 2, le «reste» est imputable à Scope 3 (chaîne d'approvisionnement 76%, consommation finale 14%, transport 5%, divers 5%1). Par conséquent, si Apple souhaite sérieusement faire quelque chose pour le climat, elle doit contrôler sa chaîne logistique. C'est exactement ce que la société propose d’ailleurs. 

Se dirige-t-on plutôt vers une autorégulation des entreprises ou vers de nouvelles réglementations juridiques? Ce devrait être l'un des thèmes majeurs des prochaines conférences internationales sur le climat et des réunions du Forum économique mondial. 

Scope 3:  la clé des rendements futurs?

Scope 3 joue un rôle important dans les entreprises, mais aussi chez les investisseurs, non seulement en considération du climat mais également en termes de rendement. Avec les efforts actuels des Etats et des entreprises pour atteindre l'objectif de l'Accord de Paris sur le climat et réduire les émissions de gaz à effet de serre, les technologies vertes sont de plus en plus demandées. Par exemple, les cours des actions des fabricants d'installations solaires ont fortement augmenté ces derniers temps. Les installations solaires permettent à leurs utilisateurs de produire de l'énergie sans émissions nuisibles pour l'environnement. C'est pourquoi elles présentent des émissions Scope 3 très faibles. Cependant, la production d'installations solaires génère également des émissions de CO2, c'est pourquoi les fabricants de panneaux solaires affichent des valeurs d'émissions Scope 1 et 2 plus élevées que les entreprises financières, par exemple. Il est donc évident que les investisseurs qui ne prennent en compte, pour sélectionner des entreprises respectueuses de l'environnement, que celles dont les données Scope 1 et Scope 2 sont actuellement basses, ne s’adressent pas nécessairement aux pionniers en matière de décarbonisation. 

Qui seront les gagnants de la décarbonation?

Nous partons du principe que les actions des entreprises qui ont une longueur d'avance en matière de décarbonation compteront parmi les gagnantes des marchés financiers. Mais compte tenu de la difficulté à obtenir des données Scope 3 fiables aujourd'hui, comment identifier ces gagnants? Pour cela, la recherche fondamentale et une vaste expertise sont nécessaires afin d'évaluer l'étendue des nouvelles technologies et des nouvelles conditions-cadres politiques. Cependant, ces connaissances ne seront utiles que si le plus grand nombre possible d'entreprises s’engagent à fournir des données transparentes relatives à leurs émissions Scope 3.

Comment réduire les émissions Scope 3?

Comme d'autres établissements, nous estimons que la mesure des émissions Scope 3 offre de nombreux avantages pour le climat, mais aussi des avantages économiques sous la forme de possibilités de réduction des coûts. Pour ce faire, les entreprises peuvent améliorer leur bilan climatique, en réduisant par exemple les voyages d'affaires et les déplacements pendulaires, mais surtout en identifiant les facteurs d'efficacité énergétique et de réduction des coûts dans leur chaîne d'approvisionnement. 

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