Un Trustee en route vers l’autorisation LEFin

Daniel Martineau, ARIF

3 minutes de lecture

Avec cette législation plus contraignante pour les Trustees, la question de la consolidation du marché se pose nécessairement, comme pour les gestionnaires de fortune.

Summit Trust International fait partie des 272 sociétés de trust basées en Suisse qui se sont annoncées à la Finma en vue d’obtenir leur licence dans le nouveau cadre réglementaire LEFin. Bien que la date limite de candidature soit fixée au 31 décembre 2022, nous avons décidé de commencer les démarches dès le début 2021. Qu’avons-nous appris de ces premières experiences?  

Le Swiss-finish appliqué aux règles de conduite

Avec plus de 20 ans de pratique en Suisse et dans plusieurs autres juridictions, nous pensions être très bien pourvus en ce qui concerne nos règles de conduite. Mais nous nous sommes rapidement rendu compte que les exigences LEFin allaient au-delà de ce que nous avions déjà en place, et que nos règles de conduite devraient être plus encore «helvétisées». Nous avons fait appel à une étude d’avocats à Genève pour les revoir et les compléter avant la fin de l’année 2020. A noter que la Finma nous a grandement aidé en acceptant que nos directives internes puissent être conservées en anglais, notre langue de travail. Il est bon de noter que seuls les statuts et le règlement d’organisation doivent être remis en français dans le set de documents internes.

Gouvernance

Le changement le plus important que nous avons dû implémenter concerne la mise en place d’une Direction indépendante. Bien que nous ayons déjà une séparation effective des activités génératrices de revenu d’une part de celle de contrôle d’autre part, notre Conseil d’administration ne comportait pas de membre indépendant. Nous avons donc dû y remédier.

Business Plan

Un aspect qui nous a surpris concerne le niveau de détails demandé par la Finma à propos de notre Business plan, alors qu’aucune consigne écrite n’était fournie quant aux informations nécessaires. C’est au terme de plusieurs échanges avec le régulateur que nous avons compris leurs exigences, plus élaborées que ce que nous avons l’habitude de fournir dans d’autres juridictions. Outre l’habituelle description de la société, son organisation, son modèle d’affaires et sa clientèle type, nous avons également dû donner des renseignements sur les avoirs détenus par les trusts que nous administrons ainsi que sur nos coûts de fonctionnement actuels mais également pour les 4 prochaines années en établissant 3 scenarii (optimiste, neutre et pessimiste).

Avec cette législation plus contraignante pour les Trustees, la question de la consolidation du marché se pose nécessairement.
Sociétés internationales

La LEFin est très claire concernant les trust companies étrangères qui opèrent en Suisse ; elles doivent obtenir leur licence de la Finma. Mais s’il y a plusieurs sociétés au sein du même groupe qui fournissent des services de trusteeship, elles devront chacune obtenir leur propre licence en Suisse car il n’existe pour le moment pas de «licence globale ou licence ombrelle». Nous espérons que cette possibilité de licences de groupe, qui existe déjà dans d’autres juridictions, voit le jour en Suisse également. A Guernesey, par exemple, les licences secondaires (joint) sont généralement établies en complément de la licence principale (lead). Ainsi elles n’ont pas à tenir une comptabilité séparée, mais sont là pour séparer certaines activités au service du principal titulaire de licence (principal). L’ARIF a engagé un dialogue avec la Finma sur ce sujet, à point nommé.

Capitalisation et assurance

Des exigences minimales en matière de capitalisation seront mises en œuvre pour les titulaires de licences, ce qui obligera les Trustees à disposer d'un capital social libéré d'au moins 100'000 francs, plus des «fonds propres» ou un fonds de roulement correspondant à trois mois de frais courants (25% des frais fixes dans les comptes annuels de l'année précédente, avec un maximum de 10 millions de francs). Ces dispositions ne sont pas différentes de celles d'autres juridictions importantes, mais l'aspect qui diffère est celui de l'assurance, qui n'est pas obligatoire en vertu des règles suisses, mais qui est encouragée, de sorte que l'assurance responsabilité professionnelle peut être appliquée pour couvrir la moitié de l'exigence de «fonds propres».

Private Trust Companies (PTC)

Parmi nos clients actuels, nous avons un certain nombre de Private Trust Companies (PTC) qui ont été constituées dans des juridictions situées à l'intérieur et à l'extérieur de la Suisse. Bien entendu, les dispositions suisses en matière d'autorisation prévoient une exemption pour les PTC: selon l'art. 2 al. 2 lit. a LEFin, «les personnes qui gèrent uniquement les biens de personnes avec lesquelles elles ont des liens d'affaires ou familiaux» ne sont pas soumises à la LEFin. Ceci est tout à fait raisonnable et cohérent avec d'autres juridictions importantes en matière de trust telles que Jersey, les Bermudes et les îles Caïmans, car la loi est censée protéger le grand public, et non pas empêcher une famille fortunée d'organiser ses affaires dans une structure de trust à ses propres fins. Cependant, selon la section 5.2.1, ad. Art. 4, p. 85 du Commentaire de l’OEFin, un PTC doit remplir la condition des «liens familiaux» pour ne pas tomber dans le champ d'application de la loi. La Finma n'a pas encore émis de directives formelles à ce sujet. Toutefois, selon le commentaire de l’OEFin, on entend par PTC «une société qui a été créée dans le seul but d'agir en tant que Trustee pour un ou plusieurs trusts établis par le même settlor ou au profit du même cercle de bénéficiaires (en règle générale, les membres d'une même famille)». Le problème qui doit être résolu est que la loi suisse semble insister pour que la propriété du PTC soit entre les mains du constituant ou d'autres membres de la famille, ce qui va à l'encontre de la séparation de la propriété juridique et du contrôle prévue par le droit anglo-saxon des trusts.

Avec cette législation plus contraignante pour les Trustees, la question de la consolidation du marché se pose nécessairement, comme elle se pose pour les gestionnaires de fortune. Les Iles Anglo-normandes, qui ont connu un renforcement de la régulation au début des années 2000, ont enregistrés une réduction substantielle du nombre de Trustees, mis en difficulté par l’accroissement des coûts de Compliance. Qu’attendre en Suisse, notamment pour les plus petites structures?

Même dans un environnement règlementaire plus institutionnel, les Trusts resteront un formidable outil pour la gestion de fortune intergénérationnelle, et continueront à attirer de plus en plus de clients. Pour leur permettre de poursuivre leur activité, L’ARIF et l’OSIF continueront d’accompagner les Trustees dans leur demande d’autorisation auprès de la Finma.

A lire aussi...