Sept règles empiriques en matière d’épargne

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

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Voici quelques principes et formules relativement simples mais qui peuvent être particulièrement utiles lors de la constitution et gestion de votre épargne.

Comme le dit l’adage, l’argent ne fait pas le bonheur mais il peut y contribuer. Devenir salarié ou créer sa propre entreprise sont les moyens les plus courants pour gagner sa vie et faire face aux dépenses courantes. Mais l’activité professionnelle ne doit pas être considérée comme l’unique moyen de générer des revenus. Pour paraphraser Warren Buffet: «Si le salaire est votre seule source de revenus, vous n’êtes qu’à un pas du seuil de pauvreté...»

Parmi les autres sources de revenus existe l’usufruit des placements financiers. En effet, l’épargne et l’investissement offrent d’énormes avantages, tels que la préservation du pouvoir d’achat, la possibilité de transmettre un patrimoine à ses héritiers mais aussi les perspectives de revenus complémentaires notamment lors de la retraite.

En constituant leur portefeuille de placements, les épargnants doivent faire des compromis entre le risque et la performance. Plus l’investissement est risqué, plus le potentiel de gain est important mais plus le risque de tout perdre est grand. La dynamique des marchés d’actions, obligataire et immobiliers, en constante évolution, exige du temps, de l’expertise et une analyse approfondie des véhicules de placement considérés.

Il existe néanmoins certaines règles financières relativement simples permettant aux épargnants de mettre en place une stratégie d’investissement et d’éviter les pièges. En voici un extrait.

1. La règle des 72 (double), 114 (triple) et 144 (quadruple)

Lors de la prise de décisions concernant la constitution d’un patrimoine, il est très important de ne pas négliger l’importance de ce que l’on appelle les intérêts (ou performances) composés. Contrairement aux intérêts simples, calculés sur la base d’un capital inchangé, dans le cas des intérêts composés, la somme prise en compte pour le calcul des intérêts comprend les intérêts précédents, càd ceux qui ont été accumulés au cours des années précédentes.

Les épargnants ont tendance à sous-estimer l’importance d’être investis sur le long-terme, surtout lorsque les rendements offerts semblent peu attrayants. Pourtant, les intérêts composés permettent de faire croitre un capital même avec des rendements (ou performances) faibles.

Une formule simplifiée pour estimer en combien d’années un investissement doublera sa valeur initiale consiste à diviser 72 par le taux de rendement annuel prévisionnel.

Par exemple, pour un taux d’intérêt de 4%, le montant investi doublera en 18 ans (72/4=18). Un chiffre qui devrait inciter de nombreux épargnants à rester investi sur le long-terme.

La formule mathématique de la règle du 114 est similaire à celle de la règle des 72 et permet d’estimer le nombre d’années nécessaires à tripler son capital initial. Par exemple, pour un taux d’intérêt de 4%, le montant investi triplera en 28.5 ans (114/4=28,5).

La règle de 144 permet d’estimer dans combien d’années l’investissement sera quadruplé. Par exemple, un investissement dans un plan qui croît de 4% par an quadruplera sa valeur initiale en 36 ans (144/4=36).

Bien qu’il existe des formules plus précises, ces outils d’estimation sont pratiques et peuvent être utilisés sans calculatrice pour obtenir une approximation. Les résultats sont proches de la réalité pour des taux d’intérêt compris entre 6% et 10%. Et ils peuvent être utilisés à l’inverse pour calculer le taux de rendement nécessaire pour doubler, tripler ou quadrupler au cours d’une période donnée.

Il est recommandé d’augmenter le pourcentage d’épargne chaque année, en tenant compte des dépenses supplémentaires et du taux d’inflation.
2. Règle des 70

L’inflation réduit la valeur réelle de l’épargne des ménages. Mais comment évaluer l’impact de la hausse rapide des prix sur son pouvoir d’achat? La règle des 70 est un moyen simple de mesurer l’effet à long terme de l’inflation.

Pour prédire votre pouvoir d’achat futur, divisez 70 par le taux d’inflation actuel. Cela permet d’estimer dans combien d’années votre investissement perdra la moitié de sa valeur actuelle, en supposant un taux d’inflation constant.

Par exemple, avec un taux d’inflation de 4% (taux d’inflation actuel aux États-Unis en juillet 2023), la valeur réelle de votre patrimoine sera divisée par deux dans 17,5 ans (70/4). Une érosion qui devrait inciter les épargnants à ne pas rester en cash afin de protéger la valeur réelle de leur patrimoine.

Précisions toutefois que cette règle suppose que le taux d’inflation soit constant et qu’il se maintienne au même niveau pendant une longue période, ce qui semble peu probable. En outre, la hausse des prix n’a pas le même impact sur tous les ménages. Certains consommateurs peuvent avoir un taux d’inflation personnel inférieur (ou supérieur) à la moyenne nationale, en fonction des biens et services qu’ils consomment.

Cette méthode est particulièrement appréciée lors de la planification de la retraite, mais en tenant compte du fait que l’inflation est en réalité sujette à des fluctuations.

3. L’indicateur de richesse

«Quel que soit votre âge, quel que soit votre revenu, quel devrait être le montant de votre patrimoine aujourd’hui?», telle est la question posée par Thomas J. Stanley et William D. Danko dans «The Millionaire Next Door», un livre qui retrace les succès des millionnaires américains autodidactes. Après des années d’enquête auprès de personnes à haut niveau de revenu et de fortune, les auteurs ont mis au point plusieurs formules de calcul de richesse. L’une d’entre elles est une formule qui permet de déterminer si votre niveau de patrimoine est au niveau auquel il devrait être aujourd’hui.

La formule est simple: multiplier l’âge par le revenu réalisé avant impôt provenant de toutes les sources (à l’exception de l’héritage) et diviser par 10.

Par exemple, si une personne a 41 ans, perçoit $143’000 par an et vit aux États-Unis, elle sera considérée comme riche si la valeur nette de son patrimoine actuel est supérieure à $586’300 [(41 X 143,000) / 10 = 586’300]. Si une personne vivant aux États-Unis est âgée de 61 ans et dispose d’un revenu annuel total réalisé de $235’000, la valeur nette du patrimoine devrait être de $1’433’500.

Le raisonnement sous-jacent est le suivant: plus l’âge est élevé et plus les revenus sont importants, plus la valeur nette doit être élevée. Le chiffre 10 représente une règle empirique qui s’applique uniquement au marché américain.

Une autre règle élaborée par les auteurs consiste à déterminer «si vous êtes un PAW», («prodigious accumulator of wealth»), càd un accumulateur prodigieux de richesse, càd le quartile supérieur. Pour être considéré comme faisant partie des PAW, une personne doit posséder deux fois le niveau de richesse attendu. En d’autres termes, la personne de 41 ans qui gagne $143’000 par an doit compter plus de $1’172’600 pour être considérée comme faisant partie de la catégorie des PAW.

4. La règle des 10-5-3

Bien qu’il n’y ait pas de garantie absolue en la matière, cette règle estime les performances annuelles attendues pour les actions, les obligations et le cash sur le long terme. En moyenne, ils devraient être respectivement de 10%, 5% et 3% (devise de référence: dollar américain).

Cependant, cette règle est surtout valable pour un horizon temps qui s’étend sur environ 15 à 20 ans. Par ailleurs, la règle 10-5-3 ne prend pas en compte les facteurs de volatilité du marché.

5. Le fonds d’urgence («Emergency Fund»)

Comme son nom l’indique, il est judicieux de conserver une réserve de liquidité comprise entre six mois et un an de dépenses courantes. Les dépenses considérées doivent inclure le coût de logement et les dépenses utilitaires (nourriture, transport, assurances, etc.). Ce montant peut sembler exorbitant au premier abord, mais il s’agit de mettre de côté une petite somme chaque mois pour parvenir à cet objectif et de l’ajuster en fonction des obligations liées aux besoins familiaux, de stabilité d’emploi et d’autres considérations.

Il est préférable de placer les «fonds d’urgence» dans un compte payant des intérêts, tel qu’un instrument du marché monétaire ou un compte d’épargne, duquel on peut facilement accéder aux liquidités sans subir de pénalité ou de taxe. La ségrégation de ce «bas de laine» d’urgence dans un compte dédié permet d’éviter des ventes forcées d’actifs risqués lorsque vous avez besoin de retirer des liquidités.

6. Allocation d’actifs: la règle des «100 Moins l’Âge»

La règle des 100 moins l’âge est une approche pour déterminer l’allocation stratégique de son portefeuille d’investissement.

En d’autres termes, il s’agit de déterminer la part du portefeuille qui doit être investie en actions et celle qui doit être consacrée aux obligations. Le pourcentage qui doit être investi en actions est le résultat de la déduction de l’âge par rapport à 100, le reste étant investi en obligations.  

Par exemple, si un individu âgé de 25 ans souhaite investir $1’000 par mois, selon la règle des 100 moins l’âge, le pourcentage d’allocation en actions serait de 100 - 25 = 75%.  Ainsi, $750 devraient être investis en actions et $250 en obligations. De même, si une personne âgée de 60 ans souhaite investir $10’000 par mois, la fraction allouée aux actions sera de 100 - 60 = 40%. Il faudrait donc investir $4’000 dollars en actions et $6’000 dollars en obligations.

La règle répond à la logique d’une allocation aux actions plus élevée lorsque l’épargnant est au début de sa vie active et moins élevée lorsqu’un individu se rapproche de la retraite. En effet, en cas de forte baisse des marchés d’actions, un jeune investisseur aura la possibilité de récupérer ses pertes lors des prochaines entrées de revenus et/ou des marchés haussiers à venir. A contrario, un épargnant proche de la retraite peut subir un crash boursier au pire moment de sa vie, càd lorsqu’il ou elle a besoin d’une partie de son patrimoine pour compenser la disparition prochaine des revenus liés au travail.

7. La règle du «Pay Yourself First»

La plupart des individus qui se lancent dans la vie active considère l’épargne comme la dernière de leur priorité. Pourtant, la constitution d’une épargne dès les premiers salaires peut avoir un impact très important sur le capital disponible au moment de la retraite.

D’après de nombreux experts, l’idéal est d’épargner 10% de son salaire courant. Prenons l’exemple d’une personne qui commence à travailler à 25 ans, gagnant un salaire mensuel de 5000 dollars et qui en économise tous les mois 10% sur une période de 20 ans. En émettant l’hypothèse que son salaire ait augmenté de 10% par an en moyenne et que le fonds dans lequel l’épargne est investie ait enregistré une performance de 8% annualisée, le capital disponible à l’âge de 45 ans sera de 642’379 dollars.

En outre, il est recommandé d’augmenter le pourcentage d’épargne chaque année, en tenant compte des dépenses supplémentaires et du taux d’inflation.

Conclusion

Les règles mentionnées ci-avant sont simples, pratiques et relativement fiables. Elles sont principalement basées sur l’expérience et la pratique, plutôt que sur la théorie. Ces règles ne doivent pas être appliquées au sens strict mais peuvent souvent servir de repère aux épargnants notamment lorsqu’il s’agit de mettre en place une stratégie d’investissement ou une allocation d’actifs à long-terme.

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