Retour en grâce des actifs helvétiques?

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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Récemment confrontée à la concurrence accrue des titres européens et américains, la place boursière suisse retrouve des couleurs dans un contexte international incertain.

Les actifs financiers helvétiques ont des caractéristiques bien particulières. Elles s’expliquent en partie par la résilience de l’économie du pays, fondée sur une gestion publique conservatrice, une faible inflation et un système politique très stable. Ce contexte favorise la solidité du franc et le niveau relativement bas des taux d’intérêt. La place boursière helvétique intègre aussi quelques grandes multinationales, notamment dans des secteurs de pointe, plutôt «défensifs», comme les sciences de la vie, la nutrition, l’assurance et la réassurance, voire la banque. Comme toutes les places boursières internationales, la Bourse suisse est sujette à de grands cycles économiques. Elle se distingue cependant par sa capacité à servir de refuge en période de crises extérieures, de désordres financiers ou de troubles politiques. À l'inverse, lorsqu'une embellie économique se profile, elle tend à être délaissée au profit de marchés plus dynamiques.

L’attractivité boursière suisse mise au défi

Depuis 2020, la Bourse suisse a démontré une résilience remarquable, surperformant significativement ses homologues européennes pendant la pandémie. Cependant, la dynamique a changé depuis 2022: les grands plans de relance économique à l'échelle mondiale et l'engouement pour les valeurs technologiques et l'intelligence artificielle aux États-Unis ont conduit à une forte sous-performance de la Bourse suisse. Quelles perspectives s'offrent alors pour les trimestres à venir?

L'inflation en Suisse diminue plus rapidement que dans les autres économies développées.

La Suisse affiche une situation macroéconomique globalement favorable. Bien que les indicateurs de croissance pour l'industrie manufacturière, les services financiers et la demande étrangère aient connu un ralentissement en mai, après des évolutions positives en avril, la situation demeure encourageante. Certes, les exportations exercent une pression importante sur l'industrie nationale, mais cette tension est compensée par un faible taux de chômage qui soutient la consommation, en particulier dans le secteur des services.

L'inflation en Suisse diminue plus rapidement que dans les autres économies développées. De manière spécifique, l'inflation dans les services reste stable autour de 2%, malgré de légères pressions à la hausse provenant des prix des voyages. Cette stabilité contraste nettement avec la situation inflationniste observée dans d'autres pays. Ainsi, même après un léger rebond printanier, l'inflation globale reste bien inférieure à 2%, qui est la zone cible de la Banque nationale suisse (BNS). Cette bonne santé macroéconomique relative de la Suisse devrait se poursuivre, alors qu’elle a déjà permis à la BNS de desserrer son étreinte monétaire avant la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale (Fed).

Après une longue période de fermeté excessive, le franc suisse avait montré des signes d'affaiblissement, une évolution alors jugée vertueuse. Bien que cette tendance, soutenue par les différentiels de taux d'intérêt, ait semblé prometteuse, elle ne semble pas pérenne. Les élections au Royaume-Uni, avec la possible montée en puissance du Parti travailliste («Labour»), et la décomposition du paysage politique en France provoquent des afflux préventifs de capitaux vers la Suisse. Ce mouvement est amplifié par les positions spéculatives des opérateurs sur le marché des devises. De nombreux traders avaient misé sur un grand «trade» macro, «short» sur le franc suisse et «long» sur le yen japonais, anticipant un durcissement de la politique monétaire nippone et un rebond du yen. Cependant, la volatilité accrue de ces devises a entrainé des rachats de couverture de francs suisses, résultant en une appréciation de la devise helvétique de plus de 6% par rapport au yen en moins de deux mois.

Comme tous les marchés obligataires développés, le marché suisse a connu un mois de mai agité, bien qu'il ait fait preuve d'une plus grande résilience que ses homologues américain ou européen. Les taux longs helvétiques ont enregistré une hausse de 20 points de base au cours du mois. A 0,95%, le taux à 10 ans avait même atteint un niveau relativement attrayant pour les grands portefeuilles institutionnels à la recherche de duration. Cependant, cette poussée de fièvre a été de courte durée. En raison d’importants achats de précaution, il est déjà retombé à environ 0,65%, reflétant une certaine stabilisation après les fluctuations récentes sur le marché.

Un marché refuge face à l’incertitude

Contrairement aux années précédentes qui ont été marquées par une hausse des taux, les fonds immobiliers retrouvent une stabilité bienvenue. Ils bénéficient de l'augmentation des loyers et des baisses des taux de la BNS. De plus, la faible activité dans le secteur de la construction crée une pénurie d'offre, stabilisant les prix et les loyers. La demande croissante sur le marché locatif a conduit à une hausse des loyers de 4,7% en 2023, tandis que le taux de vacance a chuté à 1,15% la même année. Cette tendance devrait se maintenir en 2024. En mai, l'allocation des fonds de pension à l'immobilier est retombée à 23%, marquant une diminution de 5 points de pourcentage depuis son pic au troisième trimestre 2022. Cette réallocation s'est orientée en faveur des obligations, bénéficiant du retour à des taux nominaux positifs et d'une réduction du risque de liquidité.

Depuis avril, les indices boursiers suisses affichent une performance supérieure à celle des indices européens, en partie grâce au recul du franc suisse. Un autre facteur contribuant à cette tendance est l'augmentation de la prime de risque et des spreads de crédit observée sur certains marchés européens, notamment en France, voire en Italie et en Espagne. Cette évolution accroît les incertitudes concernant les perspectives économiques en Europe. Dans ce contexte de visibilité réduite, et avec les élections américaines à l'horizon, qui s'annoncent particulièrement importantes, il est probable que le marché financier suisse regagne de l'attrait par rapport aux autres marchés européens.

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