Restaurer la faiblesse du dollar

Philippe G. Müller, UBS

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La frustration de Trump face à la vigueur du dollar a alimenté les spéculations des marchés sur une possible intervention directe des USA pour l’affaiblir.

Malgré la probable baisse des taux d'intérêt de la Fed la semaine prochaine, la frustration apparente du locataire de la Maison Blanche face à la vigueur persistante du dollar américain a alimenté les spéculations des marchés sur une possible intervention directe des Etats-Unis pour l’affaiblir.

«La Chine et l'Europe jouent au petit jeu de la manipulation des devises (...). Nous devrions FAIRE COMME EUX …», a récemment tweeté le président Trump, qui aurait chargé ses collaborateurs de trouver des moyens d'affaiblir le dollar.

Ces dernières années, aucune grande banque centrale n'a mené une politique de dévaluation compétitive explicite, mais les effets secondaires de l'assouplissement quantitatif et des bouleversements politiques ont affaibli la monnaie de nombreuses grandes puissances économiques.

Le taux de change du dollar pondéré par les échanges
a augmenté de 22% sur les dix dernières années.
Dépréciation de nombreuses monnaies

En l'espace de deux ans, après l'arrivée au pouvoir de Shinzo Abe en décembre 2012, le yen s'est déprécié de plus de 40% . Malgré la volatilité généralisée sur le marché des changes, ses taux de change restent inférieurs de 40% à leurs sommets de 2012.

L'euro a perdu 18% de sa valeur lors des douze mois qui ont suivi l'instauration par la Banque centrale européenne d'un taux d'intérêt négatif pour sa facilité de dépôt en juin 2014 et se situe toujours à 30% de ses sommets.

La livre sterling a chuté de 18% lors des quatre mois qui ont suivi le référendum sur l'UE de juin 2016 et présente toujours une décote significative par rapport à l’estimation de la Recherche d’UBS sur sa parité de pouvoir d'achat (PPA).

Compte tenu du dynamisme de l'économie américaine et des relèvements successifs des taux de la Fed, le taux de change du dollar pondéré par les échanges a augmenté de 22% sur les dix dernières années.

Des interventions pour affaiblir le dollar

Par le passé, les Etats-Unis ont eu recours à différentes méthodes pour affaiblir le dollar: le fonds de stabilisation des changes (ESF) du Trésor américain, l'intervention de la Fed et la négociation d'accords multilatéraux, notamment les accords du Plaza en 1985. Cette fois-ci, ils pourraient instaurer des droits de douane à l'encontre de pays considérés comme des manipulateurs de devise.

L'efficacité d'une intervention n'est pas garantie et le risque que cette tentative
soit vaine fera probablement réfléchir les responsables américains.

A noter que les Etats-Unis ont inséré une clause leur réservant ce droit dans la version préliminaire de l'accord commercial USMCA conclu avec le Mexique et le Canada. Ils pourraient chercher à en faire de même avec tout accord commercial conclu à l'avenir avec la Chine, le Japon, l'Union européenne et le Royaume-Uni.

L'efficacité d'une intervention n'est pas garantie et le risque que cette tentative soit vaine fera probablement réfléchir les responsables américains. Les réserves de l'ESF sont estimées autour de 94 milliards de dollars, un montant équivalent au volume de transactions réalisé en trente minutes sur les marchés internationaux, qui brassent chaque jour 5000 milliards de dollars. En outre, l'augmentation de la dotation de l'ESF nécessite l'approbation du Congrès.

Une intervention de la Fed aurait peut-être un impact plus important, mais cette dernière peut faire valoir son indépendance. Or elle pourrait redouter l'impact d'une intervention sur la courbe des rendements.

L'instauration de droits de douane en réaction à une manipulation de devises présumée de la part des partenaires commerciaux des Etats-Unis susciterait probablement une réponse du tac au tac. Par conséquent, l'impact net serait nul. Et l'on voit mal quel partenaire commercial majeur serait disposé à participer à une intervention coordonnée en l'absence de choc économique mondial.

Si les Etats-Unis achètent des actifs chinois, les deux parties pourraient en profiter: cela permettrait aux Etats-Unis d'affaiblir le dollar tout en aidant la Chine à stabiliser le yuan, mais cela risque d'être problématique d'un point de vue politique.

Les conséquences d’une dépréciation du dollar

Compte tenu de l'incertitude quant à la probabilité et à l'impact d'une intervention sur le dollar, le bon positionnement n'est pas facile à trouver pour les investisseurs. Le scénario de référence de la Recherche d’UBS envisage une poursuite de la dépréciation du dollar du fait de la baisse des taux de la Fed, mais pas une intervention américaine sur le marché des changes.

Les investisseurs sont susceptibles d'exiger une prime
de risque plus élevée sur les actifs risqués.

Un dollar faible est généralement porteur pour les actions américaines et les actifs des marchés émergents. Une politique monétaire souple et une dépréciation du dollar américain sont également de nature à soutenir les actifs risqués et les opérations de portage dans l'ensemble.

En cas d'intervention directe s'inscrivant dans le cadre d'une guerre monétaire mondiale, les investisseurs sont susceptibles d'exiger une prime de risque plus élevée sur les actifs risqués. Ce qui pourrait donner lieu à une chute des cours des actions quand bien même les taux sans risque baisseraient aussi.

L'exposition au yen pourrait être intéressante dans ce contexte car il profiterait directement d'une dépréciation du dollar et, indirectement, de l'aversion au risque. Dans ce scénario, les investisseurs pourraient également s'intéresser à des actifs alternatifs tels que l'immobilier, l'or et les crypto-devises.

Guerre monétaire en vue?

Au niveau stratégique, la perspective d'une guerre monétaire conjuguée aux diverses incertitudes monétaires et politiques existantes accentue la nécessité pour les investisseurs de veiller à ce que leurs actifs et leurs engagements soient libellés dans la même monnaie.

Ces derniers mois, la volatilité sur le marché des changes est extrêmement faible. Les investisseurs seraient bien inspirés de mettre à profit cette période de calme pour examiner attentivement leurs engagements explicites (dettes et engagements de dépenses en monnaies étrangères) et implicites (achats réguliers de biens importés) et prendre des mesures pour couvrir ou diversifier leur risque de change en conséquence.

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