Quelle est la question?

Nathalie Benatia, BNP Paribas Asset Management

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Face à une croissance économique qui s’affirme aux USA et à une inflation qui pourrait s’installer au-dessus de 2%, que va annoncer la Fed?

Nous subissons l’épidémie de Covid-19 depuis dix-huit mois maintenant et le variant Delta vient retarder le retour à la vie normale et, il faut bien le reconnaître, gâcher un peu l’été. Il serait tentant de considérer toutes les variations des marchés financiers sous ce prisme. Ce serait sans doute passer à côté de la question que doivent se poser les investisseurs pour préparer la rentrée: face à une croissance économique qui s’affirme aux Etats-Unis et à une inflation qui pourrait s’installer plus longtemps que prévu au-dessus de 2%, que va annoncer la Réserve fédérale américaine?

L’été du variant Delta  

Là où il est pratiqué, le séquençage génomique des variants du SARS-Cov-2 montre que le variant Delta est désormais responsable de la totalité ou de la quasi-totalité des nouvelles infections dans plusieurs grands pays (Suisse, Royaume-Uni, Allemagne, Inde, Espagne, Etats-Unis). Ce résultat n’est pas surprenant dans la mesure où ce variant est très extrêmement contagieux.

De nombreuses études confirment que la vaccination reste efficace en protégeant contre les formes graves de la maladie et en limitant ainsi l’occupation des services de réanimation. Même si, du fait de la contagiosité du variant, le seuil pour atteindre l’immunité collective a augmenté, les pays qui présentent des forts taux de vaccination devraient être en mesure de surmonter cette nouvelle vague sans recourir à des mesures drastiques comme un confinement généralisé.

Les effets sur l’activité économique devraient donc rester modestes sauf si les nouvelles contraintes, même limitées, entraînaient, par lassitude ou par crainte, un repli de la confiance des consommateurs.

Un risque sanitaire à surveiller

L’épidémie touche à présent des régions qui avaient été relativement épargnées. C’est le cas en particulier en Asie émergente. Si le pic semble avoir été atteint à la mi-juillet en Indonésie ou au Cambodge, le nombre de contaminations continue à augmenter au Vietnam, au Laos, en Corée du Sud mais aussi en Chine où le nombre de cas a retrouvé son plus haut niveau depuis janvier.

Ces évolutions amènent certains pays à s’interroger sur la stratégie observée jusqu’alors, et qui s’était révélée payante, consistant à bloquer la diffusion du virus en isolant radicalement les personnes et les territoires touchés. La plus forte contagiosité du variant Delta rend cette stratégie plus aléatoire d’un point de vue sanitaire alors qu’elle pèse directement sur l’activité.

Les rapides progrès de la vaccination ont par exemple permis à Singapour (66% de la population totalement vaccinée au 8 août contre moins de 40% début juillet) d’abandonner sa stratégie «zéro Covid», de relâcher les contraintes sur les voyageurs revenus de l’étranger et d’envisager de considérer le virus comme endémique une fois que 80% de la population sera vaccinée (d’ici septembre selon les autorités).

De telles décisions sont bien évidemment cruciales pour permettre la réouverture des économies émergentes comme ce fut le cas dans les zones développées mais peuvent provoquer de nouvelles mutations, si elles interviennent alors que le taux de vaccination est insuffisant.

Le risque serait alors qu’un nouveau variant se révèle résistant aux vaccins. Au-delà des conséquences sanitaires qui seraient dramatiques, une telle éventualité ne paraît absolument pas prise en compte par les investisseurs à l’heure actuelle.

Des marchés toujours un peu hésitants

Le nouveau record établi par le S&P 500 en clôture le 10 août ne change rien au fait que les variations des grands indices actions sont moins lisibles depuis mai et que la hausse se fait avec une participation très réduite et d’autres caractéristiques d’une configuration tendue. Dans la mesure où le rebond des indices depuis le 19 juillet est intervenu avant toute capitulation significative, cette hausse paraît fragile à court terme.

Par rapport à fin juillet, les actions mondiales ont gagné 1,1% (indice MSCI World en dollars au 10 août). Après avoir perdu 7% en juillet, les actions émergentes (indice MSCI Emerging en dollars) ont repris 1,8%. Sur la même période, les rendements des obligations gouvernementales américaines se sont tendus (+13 pb sur le taux à 10 ans à 1,35%). Le rendement du Bund à 10 ans, qui était ponctuellement repassé le 4 août sous le taux de dépôt de la Banque centrale européenne (-0,50%) est revenu vers -0,45%, pratiquement inchangé par rapport à fin juillet.

Ces derniers jours ont également été marqués par un rapide repli des matières premières, y compris l’or, et une appréciation du dollar (+1,4% par rapport à fin juillet), qui a retrouvé son plus haut depuis fin mars face à l’euro. Les anticipations sur la politique monétaire de la Fed expliquent largement ce résultat.

Revoilà la Fed

Le rapport sur l’emploi américain publié vendredi 6 août s’est révélé très solide et ce, quel que soit l’indicateur considéré. Après révision, les créations nettes d’emploi ressortent à près de 1 million en juin et juillet. En décembre 2020, le communiqué de la Fed a mentionné pour la première fois que les achats de titres se poursuivront au rythme de 120 milliards par mois «jusqu'à ce que des progrès supplémentaires substantiels aient été accomplis vers les objectifs de plein emploi et de stabilité des prix». L’emploi total se situait alors 10 millions sous le niveau qui prévalait en février 2020. Cet écart s’est réduit de plus de 40% en quelques mois et, même si l’écart par rapport à la tendance prépandémique reste conséquent, certains membres du comité de politique monétaire de la Fed (FOMC – Federal Open Market Committee) ont laissé entendre qu’un nouveau mois qui verrait la création d’un million d’emploi suffirait pour considérer que les progrès sont substantiels.

La position de Jerome Powell est probablement plus nuancée mais le Président de la Fed ne pourra pas faire l’économie d’une inflexion de son discours lors de la prochaine réunion du FOMC prévue les 21 et 22 septembre en reconnaissant que des «progrès substantiels» sont en vue. Auparavant, le colloque de Jackson Hole (du 26 au 28 août) lui aura fourni l’occasion de préparer le terrain.

Par ailleurs, les plus récents commentaires du vice-Président de la Fed, Richard Clarida sur l’inflation ont traduit un certain scepticisme sur l’hypothèse d’une accélération temporaire de l’inflation ou du moins une certaine prudence. Il a en effet fait remarquer que le déflateur des dépenses privées hors alimentaire et énergie, c’est-à-dire la mesure de l’inflation que privilégie la Fed, ressort en moyenne à 2,7% depuis février 2020. Il considère que si cette inflation sous-jacente reste au-dessus de 3% cette année, ce qu’il juge très probable, alors, les conditions pour une remontée des taux directeurs pourraient être réunies d’ici la fin de 2022.

Les décisions de la Fed vont rester au centre des préoccupations des investisseurs et la communication sera, une fois de plus, cruciale en particulier à court terme face à des marchés qui, sur de nombreuses classes d’actifs, présentent des fragilités techniques.

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