Poser les bonnes questions

Philippe G. Müller & Geoffrey Yu, UBS

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L'an prochain, les mots «commerce», «exportations» et «Chine» devraient apparaître plus fréquemment dans les conférences de presse de la BCE.     

Après la réunion d'octobre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), son président Mario Draghi a déclaré que le résultat des exportations était passé d'«extraordinaire» en 2017 à «normal». D'après lui, si la normalisation monétaire est l'explication principale, les incertitudes subsistent, notamment le conflit commercial sino-américain, le Brexit et le budget italien. 

Si l'on accorde de l'importance à ce classement, on peut penser que, dans son évaluation des risques, la BCE met l'accent sur les conflits commerciaux et leur impact sur l'économie mondiale.

Etrangement, dans le procès-verbal de cette conférence de presse, les mots «exportations» et «commerce» ne réapparaissent pas après la première question. Peut-être les journalistes présents n'ont-ils pas posé les bonnes questions. Il devient toutefois évident que le front extérieur est déjà une préoccupation majeure. 

Les Etats-Unis sont l'économie la plus autonome
et peuvent réserver de bonnes surprises.

En termes d’exportation des marchandises, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Chine représentent près d'un tiers du commerce extérieur des 19 Etats de la zone euro. Or, l'an prochain, ces trois pays seront confrontés à des vents contraires dus aux perturbations des échanges internationaux (et le Royaume-Uni pour d'autres raisons, bien sûr).

De ces trois pays, les Etats-Unis sont l'économie la plus autonome et peuvent réserver de bonnes surprises. En particulier, la vigueur du marché du travail devrait profiter aux exportations européennes. Il est probable par ailleurs que le Royaume-Uni réussira à éviter une sortie désordonnée de l'Union européenne. D'après l'opinion générale, les interrogations principales portent sur les effets directs et indirects sur l'Europe du fléchissement conjoncturel en Chine et dans d'autres marchés émergents.

Sur le plan des marchandises, cela se vérifie déjà: l'affaiblissement de la croissance et des revenus des ménages affecte tous les exportateurs européens, du lait en poudre pour bébés aux biens d’équipement à haute valeur ajoutée. Du côté des services, les perspectives sont plus nuancées: il faut noter que c'est dans ce secteur que l'Union européenne (UE) présente un excédent vis-à-vis de la Chine, et pas avec les marchandises. 

Certes, d'après la Commission européenne, les exportations de services vers la Chine représentent moins d'un cinquième des exportations de biens de l'UE, mais cela veut aussi dire que le potentiel de croissance est élevé, d'autant plus que la Chine cherche à rééquilibrer son économie de l'investissement vers la consommation (surtout celle des ménages). 

Une faiblesse accrue du renminbi en 2019 devrait impliquer
des ventes continues de la part de la Banque centrale chinoise.

Si le rééquilibrage chinois trébuchait ou échouait, non seulement le canal des marchandises se tarirait, mais la promesse d'une compensation de la demande de services venant de la croissance des classes moyennes chinoises risquerait de s'évaporer.

Ensuite, il y a le levier des taux de change, souvent mal compris. Lorsque le renminbi s'affaiblit (bien que cette année, l'USDCNY ait surperformé l'EURCNY), la demande intérieure de devises étrangères se concentre disproportionnément sur le dollar américain, même si l'euro occupe lui aussi une grande place dans le commerce extérieur chinois. 

En outre, la Banque centrale chinoise surpondère lourdement le billet vert, ce qui signifie qu'après intervention – c'est-à-dire vente de monnaies étrangères en échange de renminbis – elle se retrouvera souvent à cours de dollars, ce qui exige la liquidation forcée d'autres monnaies comme l'euro pour assurer la bonne pondération du portefeuille de réserves de change. 

L'an prochain, une faiblesse accrue du renminbi devrait impliquer des ventes continues de la part de la Banque centrale chinoise (bien que les effets soient moins marqués ces temps-ci), ce qui pourrait certainement peser sur l'euro, chose que les exportateurs européens apprécieraient beaucoup.

En 2019, l'Europe aura beaucoup de choses à régler en politique intérieure et les facteurs extérieurs sont en-dehors de son influence. On peut s’attendre d'ores et déjà à un ralentissement des exportations européennes vers les Etats-Unis en raison d'un fléchissement de la conjoncture américaine et la morosité dans les marchés émergents ne fera qu’aggraver les difficultés.

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