Plan de stimulus Biden: le plan de trop?

Thomas Costerg, Pictet Wealth Management

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Les craintes d’une surchauffe paraissent surjouées. Observons donc le ‘coefficient de déversement’: économie réelle vs économie financière.

Les craintes de surchauffe économique liée au plan de stimulus du président américain se répandent. Les peurs s’appuient sur une analyse simple, et peut-être un peu simpliste: «l’output gap» du PIB – l’écart de production actuel par rapport au potentiel théorique - est actuellement d’environ 650 milliards de dollars, donc injecter 1900 milliards de dollars de stimulus mènera immanquablement au débordement, et donc la surchauffe, et donc au désordre macroéconomique avec le réveil des marchés de taux. D’autant que certains insistent d’ajouter à cette facture le plan de stimulus de 900 milliards voté en décembre dernier. Enfin, c’est sans compter potentiellement un nouveau plan de 2000 milliards de dollars en préparation pour l’automne, axé autour des infrastructures et de l’économie verte.

Ce plan budgétaire de Biden, qui sera probablement voté dans les prochains jours, sous-tend un certain empressement menant probablement à un déséquilibre qualité-quantité, mais on ne peut faire fi des raisons politiques. Joe Biden s’est engagé sur un chèque aux ménages supplémentaire de 2,000 dollars, devenu un totem symbolique, même si les Sénateurs plus centristes du parti sont à la manœuvre pour baisser les seuils d’éligibilité (et le chèque lui-même devrait être de 1400 dollars étant donné que 600 dollars ont déjà été envoyés après le plan budgétaire de décembre).

La théorie du revenu permanent
semble s’imposer.

Par ailleurs, il y a indubitablement un esprit de «revanche sur l’histoire» d’une partie des vétérans de l’administration Obama qui regrettent les plans budgétaires dans la foulée de la crise financière de 2008 trop modestes avec du recul, et n’ayant pas assez stimulé la reprise dans la décennie suivante. Enfin, il y a l’influence indéniable de la Théorie Moderne Monétaire (MMT en anglais), qui elle-même se greffe à un terreau keynésien très marqué – par exemple chez Janet Yellen, la Secrétaire au Trésor. Une différence entre les deux écoles concerne l’effet d’évitement de la dette (‘crowding out’) dans un contexte d’endettement public marqué, mais même là, les barrières entre les «camps» se sont beaucoup estompées.

La clef du problème c’est tout d’abord les multiplicateurs budgétaires, c’est-à-dire quel multiple de ces plans finira dans l’économie réelle dès cette année. Disons d’emblée que les études académiques sont peu concluantes sur le sujet. Les recherches issues des banques centrales ont eu tendance à exagérer ces multiplicateurs, souvent dans un but de mettre la pression sur les gouvernements pour plus d’action budgétaire.

Un aspect important est le détail de ces plans. Ce qui comptera vraiment en l’occurrence c’est les chèques aux ménages et les allocations chômage, représentant environ 800 milliards de dollars.  Il nous semble par ailleurs bon de faire une différenciation plus fine des multiplicateurs selon le niveau de revenus, puisque la crise du coronavirus a véritablement causé le grand écart dans l’impact du choc économique. Pour les revenus les plus faibles, qui sont souvent dans le secteur des services les plus touchés, le soutien doit rester important d’autant que l’emploi y reste moribond.

En agrégé, les enquêtes de consommateurs montrent une grand préférence pour l’épargne, et pour le priorité aux factures et aux loyers. Les enquêtes de sentiment par exemple du Michigan montrent une prudence continue notamment par rapport à l’achat de biens durables; le taux d’épargne pourrait rester durablement élevé. La théorie du revenu permanent semble s’imposer – cette théorie voulant que le consommateur ajuste ses dépenses par rapport à sa perception du revenu à long terme et non des fluctuations à court terme.

Le risque de surchauffe menant au chaos macroéconomique
n’est pas à sous-estimer mais il paraît plus lointain que 2020.

Autre point important, le plan Biden ne peut pas être séparé de son contexte sanitaire, et en particulier l’idée sous-jacente à la Maison Blanche que la vraie réouverture de l’économie n’aura pas lieu avant cet été – d’où l’extension des allocations chômage supplémentaires jusqu’à cette date. Ce qui pourrait changer c’est une pression des citoyens pour une réouverture plus rapide dans un contexte de plan vaccinal bien mené. En tout état de cause, c’est un plan qui permettra l’allumage des gaz de l’économie américaine dans un contexte de réouverture, mais la fusion nucléaire du réacteur et ses réactions en chaîne devrait être évitée. Les perceptions pourraient perdurer néanmoins en attendant les chiffres de dépense et d’inflation du printemps.

Un élément important nous semble de regarder tout autant que le multiplicateur budgétaire c’est ce que nous appellerions le ‘coefficient de déversement’ entre économie réelle et économie financière. Le biais de déversement dans l’économie financière parait très important, comme on l’a vu avec les plans successifs passés en 2020. Les dépôts bancaires ont augmenté de plus de 3000 milliards de dollars en un an dans un contexte d’écroulement de la vélocité de la monnaie, et de frilosité de financement des prêts aux entreprises (hors liquidité d’urgence). Plus anecdotiquement, les ouvertures de compte-titres auprès des courtiers à bas coûts s’est envolé.

Le risque de surchauffe menant au chaos macroéconomique n’est pas à sous-estimer mais il paraît plus lointain que 2020, et potentiellement plus risqué. Ce serait notamment via un effort de redirection trop brutale des efforts budgétaires vers la sphère réelle, par exemple via un nouvel outil comme le «dollar numérique décentralisé» qui serait créé par la Réserve Fédérale, et de surcroît avec un mécanisme pour forcer sa circulation. Le calibrage serait particulièrement dur à effectuer, et un tel outil pourrait engendrer une perte de confiance généralisée dans la monnaie. On reviendrait donc à des risques davantage monétaires que proprement budgétaires, mais au final aux conséquences potentiellement bien plus profondes.

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