Où est passé le réalisme?

Peter De Coensel, Degroof Petercam Asset Management

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La reprise en V, tant espérée, ne se concrétisera donc probablement pas et la montée en puissance devrait prendre beaucoup de temps.

L’appel à davantage de réalisme concernant les attentes de reprise se fait attendre. Au vu de la relance monétaire et budgétaire, les marchés se sont montrés très optimistes dans leurs interprétations des améliorations des indicateurs économiques avancés. Toutefois, la pandémie fait toujours rage dans les pays émergents. Contrairement à l’Europe, les États-Unis n’ont pas encore atteint leur pic, même si leurs mesures de confinement ont toutes deux commencé en mars.

Les derniers chiffres de l’emploi (NFP) américain publiés la semaine dernière ont montré une augmentation de 4,8 millions d’emplois par rapport au mois de juin. Le consensus était de 3,23 millions. Une belle surprise dans la liste des données économiques. Les acteurs du marché ont bien accueilli la nouvelle et les actifs à risque américains ont clôturé la semaine sur une note positive. En parallèle, les allocations chômage ont augmenté de 1,43 million et les nouvelles demandes s’élèvent à un peu moins de 20 millions. Le suivi des données économiques réelles est important pour évaluer la force d’une reprise (ou sa faiblesse). Cependant, il s’agit de les examiner sous le bon angle afin de les interpréter avec précision. Par exemple, en mettant de côté l’augmentation mensuelle des NFP et en se concentrant sur les «chiffres totaux de la masse salariale». Après avoir atteint un pic à 152 millions fin février et un creux à 130 millions fin avril, la masse salariale totale est désormais remontée à 138 millions. Si l’on ajoute les 20 millions de nouvelles demandes, il devient évident que la reprise économique prendra beaucoup plus de temps que ne le prévoient les marchés actuellement.

Le nombre croissant «d’anges déchus» est devenu
un facteur positif pour les investisseurs HY.

La prudence s’impose aussi lorsqu’on essaie de déchiffrer ou de prévoir dans l’indice des directeurs d’achats (PMI) les formes que la courbe de la reprise pourrait prendre. Au cours des dernières semaines, les publications de l’indice PMI à travers le monde se sont considérablement améliorées et sont comprises dans une fourchette confortable de 45 à 52 (selon le pays ou la région). Cependant, il est important de garder à l’esprit qu’il existe un risque de biais humain. On peut se demander si, après avoir été en quarantaine pendant près de trois mois, les responsables des achats n’ont pas simplement voulu donner des réponses positives et optimistes lors des enquêtes. De plus, comme les chiffres PMI ignorent l’ampleur de la tendance, cela remet en question la pertinence réelle de ces résultats agrégés. Sous la surface, on perçoit moins d’optimisme. Les perspectives d’emploi ne se sont pas améliorées. En outre, une pression inflationniste liée aux coûts existe, car la composante «prix payés» a rebondi bien au-delà de 50%.

Sur le front de la volatilité des actifs, on observe une dichotomie claire sur les marchés. Sur les marchés des taux et du crédit investment grade (IG), les banques centrales ont été très efficaces pour freiner la volatilité. Le taux réalisé et attendu ainsi que la volatilité des écarts de taux IG se sont effondrés pour atteindre des niveaux historiquement bas. L’assouplissement quantitatif (QE) étant devenu mondial, l’«envergure du marché» de cette faible volatilité est grande. De l’autre côté du spectre, nous constatons que la volatilité des écarts de taux des obligations à haut rendement (HY) et des actions reste supérieure à la «normale». La dispersion entre IG et HY persiste en arrière-plan en raison de la hausse des anticipations de défaut. Au cours du premier semestre 2020, les défauts de paiement ont été plutôt rares et le HY pourrait se préparer à un environnement de marché plus difficile à l’avenir. A noter que le nombre croissant «d’anges déchus» est devenu un facteur positif pour les investisseurs HY. Ils peuvent désormais diversifier leurs portefeuilles vers des sociétés ou des tranches d’investissement qui étaient notées IG avant le COVID-19. Ceci pourrait devenir un amortisseur de volatilité. En ce qui concerne les actions, l’indice VIX a clôturé à 27,7 la semaine dernière. Des chiffres aussi élevés révèlent encore un potentiel de mouvements journaliers de l’indice S&P500 de plus de 1%. Dans ce cas, l’envergure du marché n’est pas non plus prometteuse, car la majeure partie des opérations importantes ont eu lieu dans les secteurs technologiques et numériques. Avant la pandémie, le VIX se situait entre 10 et 25. Pour que les écarts de taux de l’indice HY baissent encore de 100 points de base, le VIX devrait se stabiliser en dessous de 20.

La reprise en V, tant espérée, ne se concrétisera donc probablement pas et la montée en puissance devrait prendre beaucoup de temps. Après un premier rebond, nous restons encore très loin des niveaux de fin 2019 et le rebond pourrait se transformer en une reprise de croissance lente pour autant qu’une véritable solution à la crise sanitaire mondiale soit déployée. Dans cette perspective, dès qu’un vaccin aura été largement administré, la croissance pourra potentiellement rejoindre sa trajectoire pré-Covid, voire la dépasser.

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