Moderna: bientôt les effets secondaires?

Charles-Henry Monchau, FlowBank

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Alors que de nombreux analystes s’interrogent sur la pérennité de l’exceptionnel parcours boursier du groupe, l’optimisme reste de mise.

Au début de l’année 2020, Moderna s’échangeait à 23 dollars sur le Nasdaq. Avec une capitalisation boursière de 9 milliards, il s’agissait d’une start-up de biotechnologie parmi des centaines d’autres, avec une probabilité de succès limitée. 

A l’heure où nous écrivons ces lignes, la capitalisation boursière de Moderna est désormais de 160 milliards, soit presque deux fois la taille du géant biotech Gilead Sciences. Elle dépasse celles de Sanofi et Amgen et n’est pas loin de rejoindre Merck. 

La pandémie du COVID-19 a changé le cours de l’histoire de Moderna. La société pharmaceutique et biotechnologique basée au Massachusetts a réussi à développer un des tout premiers vaccins contre le coronavirus, un immense succès alors que la start-up américaine n’avait jamais commercialisé le moindre médicament avant la pandémie.

Petit retour en arrière. En 2010, Noubar Afeyan accompagné de Robert Langer, Kenneth R. Chien et Derrick Rossi fondent Moderna dans le but de commercialiser les recherches du biologiste spécialiste des cellules souches, Derrick Rossi, qui avait mis au point une méthode permettant de modifier l’ARN messager (ARNm). Si la probabilité de réussite de cette technologie disruptive était perçue comme relativement faible, en cas de succès, elle devait être en mesure de changer le cours de la médecine. 

Comment fonctionne l’ARN messager? Pour prendre l’exemple du vaccin, il s’agit d’une technique totalement différente des «vaccins traditionnels». Jusqu'alors, comme pour le vaccin contre la grippe, des bouts de virus inactivé ou des protéines virales sont injectés pour déclencher une réaction du système immunitaire, conduisant à la fabrication d'anticorps spécifiques, capables de protéger la personne lorsqu'elle sera infectée par le virus. Mais avec cette technique, on injecte aucune protéine virale mais plutôt un ARN messager. Il s’agit d’un code qui va permettre à l'organisme de fabriquer lui-même une fraction inactive du virus et donc susciter une réaction du système immunitaire et la fabrication d'anticorps protecteurs.

Le vaccin est conçu en 42 jours, faisant jeu égal avec le géant Pfizer et damant le pion à Sanofi, Merck et Pasteur. 

En mars 2020, alors que la pandémie fait des ravages dans de nombreux pays, Donald Trump convoque les plus importantes entreprises pharmaceutiques du monde à la Maison Blanche. Le président américain exige un vaccin contre le coronavirus. Face à lui, les patrons des pharmas ne peuvent pas lui promettre une solution rapidement. Mais, Stéphane Bancel, le PDG de Moderna, affirme pouvoir développer un vaccin commercialisable en quelques mois. Et à la surprise du monde entier, Bancel et Moderna gagnent leur pari en alignant les prouesses. Le vaccin est conçu en 42 jours, faisant jeu égal avec le géant Pfizer et damant le pion à Sanofi, Merck et Pasteur. 

Une année plus tard, le vaccin de Moderna est efficace à 94% avec un avantage intéressant par rapport à celui du concurrent Pfizer: la température de conservation. Alors que le vaccin Pfizer nécessite une température très basse à -70°C, celui de Moderna peut être conservé 30 jours à une température comprise entre 2 et 8°C.

Une progression boursière quasi-verticale

Moderna a bien entendu fait partie des titres les plus performants en 2020. Le cours du titre avait atteint son plus haut de l’année ($153) fin novembre suite à la publication d’un taux d’efficacité de 94,1% du vaccin en phase III. Les gouvernements du monde entier s’empressaient alors de commander des doses et faire des réserves de vaccin, ce qui garantissait à Moderna d’engranger des revenus substantiels. 

Après une phase de consolidation en fin d’année 2020, la tendance haussière reprenait son cours au début de cette année après l’annonce le 6 janvier par la Commission européenne d’autoriser l'utilisation du vaccin en Europe. Après un deuxième trimestre plutôt volatil pour le titre, une nouvelle phase de hausse est entamée à la fin du mois de juin. La raison ? L’apparition des nouveaux variants du virus. Les solutions envisagées par les autorités sanitaires pour contenir les variants (3e dose, piqure de rappel, davantage de vaccination) profitent bien entendu à Moderna. Un autre facteur va également soutenir le cours du titre: l’inclusion de l’action dans l’indice S&P 500 à la mi-juillet, qui «force» les fonds indiciels à acheter le titre Moderna. 

Ultime phase d’accélération pour le titre: début août, Moderna annonce que la protection de son vaccin commence à faiblir après plusieurs mois, ce qui confirme la nécessité des vaccinations de rappel. Moderna est bien placé pour servir ce marché grâce à sa technologie ARNm, qui peut être facilement modifiée pour combattre les nouveaux variants. Suite à cette nouvelle, le regard de nombreux investisseurs sur le titre change: le vaccin COVID-19 de Moderna n’est pas un phénomène éphémère et les revenus liés à ce vaccin pourraient continuer à rester relativement élevés ces prochaines années. Wall Street révise ses attentes bénéficiaires à la hausse et le titre atteint un plus haut historique à 485 dollars.


 

Un niveau de valorisation exubérant?

Certains analystes doutent de la capacité de l'entreprise à maintenir sa croissance et ses marges à l'avenir. En effet, les taux de vaccination s'améliorent dans le monde et la concurrence sur le marché des vaccins s'intensifie, avec l'arrivée probable sur le marché de Novavax, qui propose un vaccin bon marché et très efficace. Moderna pourrait donc être confronté à une concurrence sur les prix dans les années à venir. Pour certains, les revenus du vaccin COVID-19 de Moderna commenceront à chuter de manière significative en 2023, car de plus en plus de personnes dans le monde seront vaccinées et la demande de rappels pourrait diminuer.

Jeff Meacham, analyste de Bank of America, estime quant à lui que la valorisation a atteint des niveaux indécents. Pour justifier un tel niveau de prix, deux conditions doivent être remplies – et de manière concomitante: 

  1. Moderna devra livrer entre 1 milliard à 1,5 milliard de doses de son vaccin COVID-19 chaque année jusqu'en 2038 et; 
  2. les nouveaux vaccins et médicaments actuellement en phase de tests et développement doivent devenir des produits viables et ce dans un délai rapide (ce qui est loin d’être garanti car les délais d’approbation ultra-rapide sur le vaccin du covid ne seront peut-être pas reconduits sur d’autres vaccins et médicaments). 
La technologie ARNm permet d’arriver au même résultat que les vaccins traditionnels, mais de manière exponentiellement plus rapide et pour une fraction du coût.

D’autres analystes se prêtent à une comparaison entre Moderna et Pfizer pour démontrer l’irrationnalité des investisseurs sur Moderna. 

En effet, Pfizer a une capitalisation boursière de 260 milliards de dollars, soit 1,7x celle de Moderna. Pfizer est le concurrent numéro un de Moderna sur le front du vaccin contre le COVID mais ce dernier ne représente qu’une partie des revenus du géant pharmaceutique. Une demi-douzaine de produits génère plus d’un milliard de revenus pour un chiffre d’affaires attendu de 70 milliards (vaccin Covid compris). Pfizer compte actuellement une centaine de produits en phase de tests, dont 25 dans l’attente d’approbation. 

Moderna devrait générer 20 milliards de revenus cette année grâce à un seul produit – le vaccin COVID. Il y a bien 14 nouveaux produits dans le «pipeline», mais un seul est en dernière phase d’essai clinique…   

Pour de nombreux experts sur le secteur des pharmas, Pfizer (3,7 fois les ventes de 2021) apparait comme un investissement bien plus intéressant que Moderna (8 fois les ventes de 2021). Ils relèvent également le fait que les ventes à découvert sur Moderna sont très faibles (environ 4% de la capitalisation). Si le nombre de «shorts» venait à augmenter, le potentiel de baisse pourrait être significatif…

Les arguments des «bull»

Mais tous les investisseurs n’adhérent pas à cette thèse d’investissement «bearish» sur Moderna. Pour les «bulls», la crise du coronavirus a accéléré le développement de la technologie de l'ARN messager et les perspectives ne vont pas s'arrêter au vaccin COVID. Moderna espère développer d'autres traitements, notamment contre le cancer. «C'est une nouvelle approche pour soigner les gens. On passe de l'ère de l'analogique au digital. C'est une technologie de rupture dans le monde de l'industrie pharmaceutique», affirme le PDG Stéphane Bancel.

Et de nombreux scientifiques semblent partager cette vision. La technologie ARNm permet en effet d’arriver au même résultat que les vaccins traditionnels, mais de manière exponentiellement plus rapide et pour une fraction du coût. «Vous pouvez avoir une idée le matin et un prototype de vaccin le soir. La vitesse est incroyable», déclare Daniel Anderson, chercheur en thérapie par ARNm au MIT. Avant la pandémie, des organisations caritatives, dont la Fondation Bill & Melinda Gates, espéraient utiliser l'ARNm pour le traitement de maladies mortelles telles que la dengue, la fièvre de Lassa, les herpès et le paludisme – autant de maladies largement ignorées par l'industrie pharmaceutique. De nombreux scientifiques pensent également que l’ARNm peut accélérer la découverte d’un vaccin amélioré contre la grippe et du premier vaccin efficace contre le VIH. Des perspectives qui pourraient permettre à la société Moderna de croitre à un rythme bien plus élevé que celui des acteurs pharmaceutiques traditionnels…

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