Mettre fin «au quoi qui l’en coûte»

Vincent Juvyns, J.P. Morgan Asset Management

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Le meilleur moyen de défendre notre modèle social et de défendre notre souveraineté.

Les crises de la Covid-19, en 2020, et de l’énergie, en 2022, ont fragilisé les finances publiques de nombre de pays européens à tel point qu’aujourd’hui, celles-ci n’ont généralement pas encore retrouvé leur état d’avant-crise. Si face à la violence de ces deux chocs, les pouvoirs publics n’ont pas eu d’autre option que de soutenir, «quoi qui l’en coûte», leur économie et leur population, il est aujourd’hui indispensable de profiter de l’embellie conjoncturelle que connaît l’Europe pour restaurer l’équilibre des finances publiques.

En 2020, la crise de la Covid-19 a entrainé une profonde récession et une forte hausse des dépenses publiques, ce qui a eu pour conséquence de creuser les déficits budgétaires, qui ont notamment atteint respectivement -13,4% et -14,3% du produit intérieur brut en Italie et en France. Fort heureusement, le financement de ces déficits n’a pas posé de problème à l’époque car le rendement des obligations souveraines européennes à 10 ans était proche voire inférieur à 0%, grâce à la politique monétaire accommodante de la Banque Centrale Européenne (BCE). Ainsi, les états membres ont pu se financer quasi gratuitement mais aussi sans contraintes, puisque la Commission Européenne les avait libéré temporairement de leur obligation de se conformer aux contraintes du Pacte de stabilité et de croissance.

En 2022, l’Europe a malheureusement dû faire face à un second choc, énergétique cette fois, qui a certes, eu un impact moindre sur l’économie et les finances publiques que la Covid-19, mais qui a forcé les états membres et la Commission Européenne à prolonger leurs mesures budgétaires exceptionnelles alors même que la BCE remontait sensiblement ses taux de -0,5% à 4% pour lutter contre l’inflation induite par la hausse des prix de l’énergie. Dans ce contexte, le financement des déficits s’est largement renchérit puisque la charge d’intérêt sur la dette publique est passée de 1,5% du PIB en moyenne en 2020 à 2% en 2023.  

La justice sociale, c’est aussi veiller à ne pas augmenter le poids de la dette pour les générations à venir.

Aujourd’hui, même si la BCE a baissé son taux directeur au mois de juin et devrait continuer à le faire dans les prochains mois, la plupart des économistes estiment que celui-ci ne devrait vraisemblablement plus retomber au niveau qui prévalait durant la crise de la Covid-19, notamment en raison d’une inflation structurellement plus élevée qu’à l’époque. Les coûts de financement des états européens devraient donc continuer à augmenter dans les prochaines années.

Dans cette perspective et plus généralement pour assurer la soutenabilité des finances publiques, il est donc indispensable de profiter de l’embellie conjoncturelle actuelle pour restaurer les équilibre budgétaires et ainsi renforcer notre capacité à faire face aux nombreux défis à venir comme le vieillissement de la population ou le changement climatique. C’est notamment l’avis du Parlement Européen, qui a voté au mois d’avril une réforme du Pacte de stabilité et de croissance, ainsi que de la Commission Européenne qui, sur base de ces nouvelles règles, vient d’activer une procédure de déficit excessif à l’encontre de 7 pays européens dont la France et l’Italie.

Si les critères quantitatifs du pacte de stabilité et de croissance restent inchangés, à savoir veiller à maintenir un déficit et un endettement public de respectivement 3% et 60% du PIB, les états membres disposent aujourd’hui de davantage de temps et de flexibilité pour s’y conformer. Ainsi en fonction des réformes et des investissement structurels qu’ils réaliseront, ils auront entre 4 et 7 ans pour s’y conformer tandis que l’effort budgétaire annuel sera de l’ordre de 0,5% du PIB par an.

La réintroduction du pacte de stabilité et de croissance arrive à un moment important pour l’Europe puisque, comme on a pu l’observer lors des dernières élections européennes, nombre de formations politiques prônent aujourd’hui une forte hausse des dépenses publiques et souhaitent s’affranchir des règles européennes pour augmenter les dépenses sociales et/ou regagner leur souveraineté.

Ceci s’avérerait très dangereux pour les finances publiques car au-delà d’hypothétiques sanctions de l’Europe, c’est surtout la sanction des marchés financiers qu’il faudrait craindre. L’écartement des coûts de financement de la France et de l’Italie par rapport à l’Allemagne suite à la dissolution de l’Assemblée National en France l’illustre parfaitement.

Aujourd’hui il est donc bon de rappeler à tous ceux qui souhaitent davantage de justice sociale et de souveraineté nationale, que le meilleur moyen d’y arriver est notamment de contrôler notre endettement pour éviter de voir nos marges budgétaires, et donc notre capacité à maintenir notre modèle social, disparaître en charge d’intérêts et de se voir dicter notre politique intérieure par les marchés financiers. Il faut également ajouter que la justice sociale, c’est aussi veiller à ne pas augmenter le poids de la dette pour les générations à venir.

J’ai ainsi la conviction que malgré la sanction des procédures de déficit excessif qui marque la fin du «quoi qui l’en coûte», le pacte de stabilité et de croissance renforce l’Europe et qu’une Europe plus forte et mieux intégrée est le meilleur moyen de protéger notre modèle social et de défendre notre souveraineté.

 

Source: La commission européenne, en juin 2024

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