Longue vie à «Boucles d’or»!

Michel Girardin, Université de Genève

3 minutes de lecture

Les marchés tanguent entre la peur d’une récession déclenchée par le variant Delta et la hantise d’une inflation liée au Covid.

La réunion de la BCE de la semaine dernière a remis l’église au milieu du village: ce ne sera ni l’une, ni l’autre, bien au contraire. Pour Christine Lagarde, c’est d’une croissance marquée et d’une inflation qui continue à jouer les arlésiennes dont il faut se soucier. Les marchés peuvent reprendre leurs boussole et… pointer vers le Nord-Ouest.

Le Nord-Ouest? C’est là que nous trouvons «Boucles d’or». Mais oui, vous vous souvenez … ce conte de fée des frères Grimm qui raconte l’histoire de cette blondinette perdue dans les bois qui, transie, trouve refuge dans la maison des trois ours? Sur la table, 3 bols fumants de porridge ou de chocolat, selon les versions: celui du papa ours est bien trop chaud et celui de la maman… beaucoup trop froid. Heureusement, Boucles d’or va pouvoir se délecter avec le bol de l’ourson, qui n’est «ni trop chaud, ni trop froid, juste comme il faut».

Sur les marchés financiers, le scénario «Boucles d’or» est celui d’une croissance économique suffisamment marquée pour que les entreprises génèrent des bénéfices mais … pas trop forte quand même et ce, pour éviter que l’inflation ne se réveille et soit à même de justifier des mesures de restriction monétaire propres à déplaire aux adeptes de la Bourse. Les actifs risqués se délectent donc d’une croissance économique qui n’est «ni trop chaude, ni trop froide, juste comme il faut».

Pointer vers le Nord-ouest

Nous avons étudié la performance des principales classes d’actifs en fonction des 4 combinaisons possibles de la croissance économique et de l’inflation, que nous mesurons sur – respectivement – l’axe vertical et horizontal de la boussole.

Commençons par le quadrant en haut à droite. Ici, la croissance y est marquée, tout comme les pressions inflationnistes. C’est la surchauffe. Elle est propice aux matières premières et, hausse des rendements oblige, négative pour les obligations. Quid des actions et des obligations indexées à l’inflation (TIPS)? La réponse va dépendre de l’importance relative de 2 forces opposées. Pour les actions, la croissance économique marquée leur est bénéfique, mais pas l’inflation. Pour les TIPS, c’est l’inverse.

Prenons ensuite la case en bas à droite. Ici, la croissance est faible et l’inflation marquée. C’est la stagflation redoutée par les marchés aujourd’hui lorsqu’ils sont ballotés entre la crainte d’une récession induite par le variant Delta et la persistance plus longue que prévue des pressions inflationnistes issues du Covid. La stagflation prévalait en Inde jusqu’au début de cette année. Le PIB y a connu une décroissance de 8% en 2020, alors que l’inflation grimpait jusqu’à 7,6%. Pour cette année et, surtout, 2022, les inquiétudes quant aux chances d’une reprise de l’activité gagnent du terrain avec la propagation très rapide du variant indien – le Delta précisément –, ainsi que son mutant, le «Delta plus» dans un pays où le taux de vaccination atteint 20%, ce qui le place en avant-dernière position au sein des pays du G20 (la lanterne rouge est la Russie avec 16%). Dans le cas d’espèce, il s’agit d’éviter les actions et investir dans les TIPS.

La case en bas à gauche est la pire de toute, où tant la croissance que l’inflation font défaut. Lorsque les deux sont négatives, on parle de déflation. Ça été le cas du Japon, jusqu’au premier trimestre de cette année. Avec la reprise amorcée au deuxième trimestre, le Japon vient de sortir de ce quadrant peu reluisant, même si le taux d’inflation reste toujours légèrement négatif. C’est dans cette situation dramatique sur le plan économique que les obligations gouvernementales performent le mieux, et les matières premières le moins bien.

C’est le quadrant en haut à gauche dans lequel les actifs risqués performent le mieux. Normal, c’est celui du conte de fée mentionné plus haut, où la croissance économique évite la chaleur de la surchauffe et les températures glaciales de la déflation. Les actifs risqués ont su profiter de l’aubaine de cette croissance non-inflationniste depuis 2008. Et c’est l’absence d’inflation qui a permis aux banques centrales d’injecter des liquidités à tout va, une politique d’argent facile qui a largement bénéficié aux actions.

Avec la résurgence récente de l’inflation, se pose la question-clé de savoir si nous allons sortir du «carré d’or» en haut à gauche. Pour cela, il s’agit de déterminer si les pressions inflationnistes récentes vont perdurer, voir s’intensifier au-delà des 12 prochains mois.

Deux facteurs nous rendent optimistes sur le fait que les pressions inflationnistes actuelles ne devraient pas être de nature à perturber durablement les marchés. La première c’est que, l’inflation que nous connaissons aujourd’hui est principalement liée à un renchérissement des coûts de production, induit par des hausses de prix des matières premières.  Par essence, ces pressions sont bien moins pérennes que celles issues de la demande. La deuxième raison qui nous rend confiants sur la persistance d’un cadre macroéconomique favorable aux actifs risqués, c’est que la Fed a récemment changé son objectif d’inflation. Il n’est plus défini comme un seuil – 2% en l’occurrence – à ne pas dépasser, mais comme une moyenne à atteindre sur la durée. La semaine dernière, la BCE a emboité le même pas que la Fed et annoncé que son objectif de 2% pour l’inflation devenait aujourd’hui «symétrique».  Traduction: pour autant qu’elles ne font pas plus que compenser les phases où l’inflation était bien inférieure à son objectif, les périodes où elle dépasse ce dernier seront tolérées. Sur ce plan, nous avons encore beaucoup de marge, avant que la Fed et, surtout, la BCE, s’inquiètent d’une résurgence durable de l’inflation.

Il faudra bien qu’un jour tant la Fed que la BCE «enlèvent le bol à punch»1 et mettent un terme à la fête des liquidités injectées à tout va et dont les marchés financiers ont largement bénéficié depuis 2008. Mais pour reprendre une autre image chère à la banque centrale américaine: on n’arrête pas de pousser une voiture embourbée dans la boue dès que les roues avant retrouvent un terrain sec. On continue de pousser jusqu’à ce la voiture roule librement. Ce n’est pas avant la fin 2022 que l’économie mondiale pourra se désembourber complètement de la pandémie. Bref, Boucles d’or a encore de beaux jours devant elle.

 

1 Les anglo-saxons utilisent l’expression «removing the punch bowl» pour indiquer qu’une banque centrale veut mettre un terme à une fête alors qu’elle bât son plein

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