La quantité de liquidités placées sur des fonds monétaires est au centre des préoccupations des investisseurs depuis un certain temps déjà. L'afflux de capitaux vers ces titres sans risque à court terme pendant que les taux montaient n'est pas une surprise, puisqu'ils rapportent aujourd'hui plus qu'une obligation entreprise «High Yield» notée B d’il y a quelques années. Toutefois, le cycle de réduction des taux battant son plein après la baisse de 50 points de base (pb) décidée par la Fed en septembre, cette tendance est-elle sur le point de s'inverser?
Le montant total des actifs des fonds monétaires américains a augmenté de 40% au cours des deux dernières années pour atteindre 6300 milliards de dollars. Mais cette tendance s'est ralentie cette année avec environ 180 milliards d'entrées depuis le début de l'année, bien loin des plus de 500 milliards souscrits en 2023. Parallèlement, les fonds obligataires américains ont bénéficié de la baisse de popularité des marchés monétaires, avec plus de 120 milliards de dollars de collecte depuis le début de l'année, après deux années consécutives de flux négatifs.
Des tendances similaires ont été observées en Europe et au Royaume-Uni. La composante «Dépôts par les résidents de la zone euro» du rapport sur les agrégats monétaires de la BCE a atteint 8500 milliards d’euros en juillet dernier, contre environ 7000 milliards juste avant la pandémie, même si le rythme a ralenti. De plus, les données de JP Morgan suggèrent que les fonds d'obligations européennes de qualité ont bénéficié d'un afflux de 30 milliards d’euros cette année, dont 7,5 milliards pour les fonds européens à haut rendement. Cette composante s’est clairement fait sentir sur le marché, avec des carnets d'ordres bien remplis pour la nouvelle saison d’émissions de septembre. La semaine dernière, une obligation en euros de CPI Property Group a été sursouscrite six fois, tandis que la récente émission Additional Tier 1 (AT1) en livres sterling de Nationwide a été sursouscrite cinq fois.
Le ralentissement (voire l'inversion) des flux de dépôts sur le marché monétaire pourrait se poursuive à mesure que le cycle de réduction des taux progresse. Les prix du marché suggérant que d'ici l'année prochaine, le taux des Fed Funds sera d'environ 3% et que les taux de base de la zone euro et du Royaume-Uni seront environ 150 pb plus bas qu’actuellement, les investisseurs devront chercher ailleurs pour atteindre leurs objectifs de rendement. La normalisation de la courbe des taux ne pouvant qu'accélérer cette rotation vers les obligations. Avec une courbe de rendement fortement inversée ces derniers temps, il a été difficile pour les investisseurs de passer d'instruments à court terme payant 5,5% à des instruments plus long terme ne rapportant que 3,5%. Toutefois, cette dynamique est en train de changer, la courbe du Trésor américain 2s-10s, très surveillée, se situant désormais à +19 pb, après avoir été profondément inversée jusqu'à -110 pb l'année dernière.
Reste à savoir quelle part de ces liquidités en attente de placement va se retrouver sur le marché obligataire. Jusqu'à présent, la grande majorité des mouvements s'est faite, comme prévu, vers des obligations d'Etat de meilleure qualité et des obligations «investment grade». Néanmoins, à moins d'une détérioration significative des perspectives macroéconomiques, il faut s’attendre un appétit croissant pour les actifs à haut rendement. A titre de référence, la taille de l'indice des obligations américaines à haut rendement est d'environ 1300 milliards de dollars; si une très petite partie seulement du stock du marché monétaire entrait sur ce marché, les prix pourraient bénéficier d'un soutien technique important. Peut-être plus important encore, les liquidités en réserve pourraient servir de plancher à tout mouvement de vente, réduisant ainsi la volatilité.
Les spreads de crédit sont actuellement faibles, ce n'est un secret pour personne: ceux des obligations High Yield américaines n'étant qu'à 26 pb de leur niveau récent le plus serré, et ceux des obligations High Yield européennes à 80 pb. Toutefois, des rendements globaux plus élevés signifient que le crédit reste attractif à ces niveaux et devraient contribuer à stimuler des rendements excédentaires à moyen terme sur le crédit. De plus, les spreads passent historiquement la majeure partie du cycle en dessous de leurs moyennes, puisque les pics de spreads de courte durée tirent la moyenne vers le haut. La Fed ayant récemment laissé entendre qu'elle était prête à accélérer son cycle de réduction si elle détectait une «aggravation» de l'économie, ainsi que la technique des fonds du marché monétaires, pourraient signifier que les écarts se maintiendront encore plus longtemps en dessous de la moyenne cette fois-ci.
Il faut dire qu'il existe encore des zones d'incertitude, notamment le marché du travail américain, le risque géopolitique et une reprise économique hésitante dans certains pays d'Europe. Par conséquent, nous continuons de penser que les portefeuilles doivent être équilibrés et privilégier une meilleure qualité de crédit, surtout si l'on considère la compression des spreads. Cependant, si une plus grande clarté règne dans ces domaines, il y a de bonnes raisons de penser que le cycle du crédit peut se poursuivre pendant un certain temps encore, avec des obligations et en particulier du crédit continuant à bien se comporter pour les investisseurs.