Les raisons de l'importance du niveau d'endettement public

William De Vijlder, BNP Paribas

3 minutes de lecture

Depuis 2015, on note qu’en cas de remontée des rendements obligataires allemands, la hausse des taux longs italiens est encore plus forte.

Dorénavant, la lutte contre les récessions incombera très probablement aux États, une tâche qui sera facilitée par les conditions de financement bon marché créées par les banques centrales. En conséquence, l’endettement public pourrait-il rester élevé. Il convient, toutefois, d’appréhender les éventuelles conséquences négatives. Le coût de la dette au travers de la prime de risque souverain constitue un canal de transmission possible. Un autre facteur peut également jouer un rôle. Depuis 2015, on note qu’en cas de remontée des rendements obligataires allemands, la hausse des taux longs italiens est encore plus forte –le spread s’élargit- tandis que celle des rendements français reste en ligne avec les taux allemands. Ceci montre que, même dans un contexte d’achats de titres du secteur public par la BCE, le niveau élevé de la dette italienne influence la réaction aux hausses des rendements du Bund. À l’évidence, en l’absence d’assouplissement quantitatif, on pourrait s’attendre à ce que cet impact soit au moins aussi fort.

Aux États-Unis, la victoire des deux candidats du parti démocrate au second tour des élections sénatoriales en Géorgie a déclenché un fort rallye des petites capitalisations (small caps) et autres valeurs sensibles au cycle économique. Avec le contrôle du Sénat par les démocrates, le marché a, en effet, anticipé un renforcement du plan de relance. Il s’agit d'un exemple parmi tant d’autres du rôle désormais déterminant de la politique budgétaire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Cette observation vaut aussi bien pour les États-Unis qu’au niveau mondial. Nous pouvons raisonnablement supposer que cette situation perdurera dans le monde d’après-pandémie. L’orientation de la politique des principales banques centrales– niveau des taux directeurs, assouplissement quantitatif, forward guidance – va probablement rester très accommodante pendant plusieurs années encore. En outre, il est très peu probable que les conditions soient [à terme] réunies pour justifier un cycle de resserrement susceptible de créer une marge suffisante pour nettement baisser les taux quand les circonstances l’exigent. Dorénavant, la lutte contre les récessions relèvera donc très probablement de la responsabilité des États, une tâche qui sera facilitée par les conditions de financement bon marché créées par les banques centrales1. Le faible coût d’emprunt public donne de la marge de manoeuvre à la politique budgétaire pour stimuler la croissance. Plus l’écart négatif entre les coûts d’emprunt (r) et la croissance moyenne du PIB nominal (g) est grand, plus le déficit budgétaire primaire correspondant à un niveau stable d’endettement public peut être élevé. Il existe une certaine similitude avec l’effet des taux d’intérêt sur les marchés boursiers: dans certaines conditions, des taux d’intérêt bas justifient une hausse des niveaux de valorisation. Cependant, des ratios cours/bénéfices élevés augmentent la sensibilité aux taux d’intérêt et aux chocs de croissance. Il en va de même des finances publiques: une augmentation des taux d’intérêt ou un ralentissement de la croissance va entraîner une hausse du ratio dette/PIB, sauf réduction du déficit primaire.

Même dans l’hypothèse (héroïque) d’un monde sans chocs, on peut se demander si un niveau élevé, quoique stable, d’endettement public ne risque pas d’avoir des conséquences négatives. L’un des canaux de transmission possibles est la valorisation de la dette publique où les coûts d’emprunt augmentent lorsque les États acceptent un relèvement du niveau de la dette souveraine. L’ampleur des achats de titres publics par les banques centrales a pour le moment, dans une large mesure, permis d’écarter cette inquiétude. Les politiques de contrôle de la courbe des taux – comme celle mise en oeuvre par la Banque du Japon - offrent une protection améliorée pour les agences publiques d’émission de la dette. Dans la zone euro, le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme ou PEPP) de la BCE a joué un rôle déterminant dans la stabilisation des rendements du Bund et la compression des spreads souverains.

Mais que se passera-t-il lorsque l’Institut de Francfort mettra un terme à ses achats nets fin mars 2022 ou ultérieurement2? Une telle décision serait le signe de la confiance de la BCE dans les perspectives de croissance. Elle ne devrait pas, par conséquent, laisser craindre une augmentation du risque souverain, tout au contraire. Cependant, les rendements du Bund devraient remonter sous l’effet d’une prime de terme moins négative. Quel en serait l’impact potentiel sur les spreads souverains? Le graphique 1 illustre la réaction de l’écart de taux (spread) entre la France et l’Allemagne et entre l’Italie et l’Allemagne à la hausse des taux longs allemands sur une période de quatre semaines. Il est difficile d’en tirer des conclusions en dehors du fait que le spread OAT-Bund est moins volatil que le spread BTP-Bund. Pour examiner la question plus en détail, nous avons eu recours à une méthodologie de régression spécifique, qui permet d’établir une relation non linéaire.

Comme le montre le graphique 2, à l’appui de données hebdomadaires recueillies depuis 2015, la variation du rendement de l’OAT 10 ans est, pour l’essentiel, équivalente à celle du Bund de même échéance. Cependant, le rendement des obligations d’État italiennes augmente davantage que celui des obligations allemandes et l’écart est d’autant plus grand que la remontée du rendement du Bund est forte. À en juger par ces résultats, même dans un contexte d’achats de titres du secteur public par la BCE, le niveau élevé de l’endettement public italien a une incidence sur la réaction aux remontées des rendements du Bund3.

À l’évidence, en l’absence d’assouplissement quantitatif, on pourrait s’attendre à ce que cet impact soit au moins aussi fort. Aussi est-il recommandé, lorsqu’un État opte pour la stabilisation du ratio dette/ PIB aux niveaux actuels – au lieu d’avoir comme ambition d’abaisser sensiblement ce ratio -, de soumettre l’écart entre r (coût d’emprunt) et g (croissance du PIB) à un stress-test pour évaluer l’impact sur le solde primaire et éviter que l’endettement ne finisse par augmenter.

* La relation entre le OAT à 10 ans et le Bund à 10 ans et entre le BTP à 10 ans et le Bund à 10 ans a été analysée sur base d’une régression quantile. Cette approche cherche à capter une éventuelle non-linéarité de la relation. En outre, celle-ci peut être différente en fonction d’une hausse ou d’une baisse du taux Bund à 10 ans. Les graphiques montrent le résultat en cas de hausse du taux Bund. La fréquence des données est hebdomadaire. Les variables sont exprimées en différentiel sur 4 semaines depuis 2015.

 

1 C’est ce qu’a récemment fait remarquer Laurence Boone, économiste en chef de l’OCDE: «la responsabilité de stabiliser l’économie pendant la phase de reprise devrait incomber au premier chef à la puissance publique, le rôle des banques centrales indépendantes se limitant à un accompagnement [des politiques adoptées» (source: «OECD warns governments to rethink constraints on public spending», Financial Times, 4 janvier 2021).
2 Lors de sa réunion du mois de décembre, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé d’étendre l’horizon fixé pour les achats nets au titre du PEPP au moins jusqu’à fin mars 2022, ajoutant que, dans tous les cas, des achats nets seraient effectués jusqu’à ce que le Conseil des gouverneurs juge que la crise du coronavirus est terminée (source: BCE).
3 En théorie, d’autres facteurs, comme la crédibilité de la politique budgétaire, pourraient également jouer un rôle.

A lire aussi...