Les leçons à tirer de la crise du COVID-19

Jan Amrit Poser, J. Safra Sarasin

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La mobilisation à laquelle nous assistons est un modèle à suivre pour la lutte contre le changement climatique et d'autres défis.

©Keystone
  • La crise mondiale du coronavirus de 2020 restera dans les mémoires comme un tournant dans l’Histoire.
  • L’engorgement des systèmes sanitaires effraye, le manque de matériel pour les soignants interroge et la perspective de difficultés économiques imminentes accable.
  • Mais au-delà de l'horreur, il y a une lueur d'espoir, car la crise donnera à l'humanité d'importantes leçons qui contribueront à façonner un avenir meilleur. 
  • Face à une menace majeure – telle que celle que nous vivons -, l'humanité est capable de se mobiliser, écouter les scientifiques, agir à l'échelle mondiale, rapidement, avec la contribution de chaque individu dans un esprit de solidarité, en dépensant des ressources massives mais nécessaires pour préserver la subsistance et le bien-être des générations actuelles et futures.
  • La mobilisation à laquelle nous assistons est un modèle à suivre pour la lutte contre le changement climatique et d'autres défis.
Des premières leçons se dégagent sous l'angle de la durabilité.

L'année 2020 restera dans les mémoires comme l'année où une pandémie a frappé la population et l'économie du monde. Des politiques aux travailleurs de la santé, la planète entière se bat contre le COVID-19 tandis que les citoyens, mis en quarantaine, vont devoir faire face aux conséquences d'un verrouillage mondial. Entre effervescence des hôpitaux qui gèrent comme ils peuvent l’afflux de patients et calme des rues et centres commerciaux désormais déserts, des premières leçons se dégagent sous l'angle de la durabilité. Elles vont au-delà des considérations de court terme visant à déterminer si les actions ayant une cote ESG plus élevée ont mieux résisté à la crise que les autres (et c'est d’ailleurs le cas!) ou si le ralentissement économique mondial a contribué à réduire les émissions de carbone en 2020 (ce qui se produit à chaque récession). Plus important encore, la crise du coronavirus est porteuse d’enseignements qui aideront l'humanité à surmonter d'autres crises auxquelles nous devons faire face pour construire un avenir durable.

Une crise mondiale exige des solutions mondiales 

Même si les pays ont temporairement fermé leurs frontières aux touristes, ils ne l'ont fait que pour réduire la vitesse de propagation du virus. Dans le même temps, ils ont insisté pour que les frontières restent ouvertes au transit des produits essentiels pour maintenir les chaînes d'approvisionnement. La pandémie nous a rappelé que les menaces qui pèsent sur l'humanité sont de plus en plus globales. Cela plaide en faveur du multilatéralisme et d’une coopération au niveau mondial. Les pandémies, le changement climatique, la crise des réfugiés, le trou dans la couche d'ozone, la perte de biodiversité ou encore le traitement des déchets ne peuvent être abordés que si toutes les nations agissent de manière coordonnée et unie.

L’excellent état de préparation des nations asiatiques était
une conséquence directe de la gestion d’épidémies précédentes.
Écouter les scientifiques 

Cette crise nous a rappelé à quel point la science est importante. Une analyse scientifique sobre a fourni des conseils pertinents aux politiques et a contribué à prendre les bonnes décisions pour atténuer la crise. L’excellent état de préparation des nations asiatiques était une conséquence directe de la gestion d’épidémies précédentes comme celles du SRAS et du MERS. Des détracteurs ont tenté de minimiser les conseils des scientifiques et leurs discours se sont répandus comme des virus sur Internet mais les plus sceptiques ont finalement dû se plier à la réalité scientifiquement prouvée. Cela permet d'espérer que la science prévaudra dans le débat sur le changement climatique.

Agir vite et bien 

Les pays et les régions qui ont écouté les scientifiques, compris la menace et mis en œuvre des mesures énergiques dès le début, ont fait baisser les taux d'infection plus rapidement. Ceux qui ont traîné et qui ont mis en œuvre des demies mesures devront déplorer plus de victimes. Cela devrait nous apprendre que, face à des crises mondiales comme le changement climatique, nous ne devons pas hésiter mais agir. En fait, agir tardivement sera plus coûteux – avec des coûts qui augmenteront de manière exponentielle. 

Le comportement de chacun d’entre nous compte

Nous sommes plus de 7,5 milliards d'êtres humains sur cette planète mais la crise du coronavirus nous a montré de façon flagrante que le comportement de chacun a une influence considérable. Jusqu’il y a peu, certains croyaient encore qu’organiser une fête de plus (et il y a eu de nombreuses fêtes le weekend avant le début du confinement – en Suisse en tout cas) ne changerait rien à la progression du virus. C’est un peu comme si on se disait que jeter un sac en plastique de plus dans l'océan ne ferait pas de différence. Cela illustre parfaitement la notion d'«externalités», à savoir: la conséquence d'une activité individuelle qui affecte d'autres parties sans que cela ne se reflète dans les prix du marché. Certains individus, identifiés comme des «super diffuseurs», c'est-à-dire des personnes qui ont eu beaucoup de contacts – notamment lors de voyages ou de conférences –, ont infecté tellement de personnes que des régions entières ont été mises en quarantaine. La leçon à tirer de tout cela est claire : si nous ne nous protégeons pas personnellement et ne protégeons pas les autres, le virus se répandra comme une traînée de poudre. Si nous n'agissons pas personnellement pour réduire notre consommation de plastique, des monceaux vont continuer de s’accumuler dans les rivières et finir dans les océans, perturbant la vie sous-marine et s’introduisant par microparticules dans la chaîne alimentaire. 

Dans la crise du coronavirus, ce qui importe n'est pas le PIB, mais une valeur
supérieure: le bien-être des êtres aimés et des personnes âgées.
Le PIB est important mais concentrons-nous sur la qualité

Au cours des dernières décennies, les économistes se sont attachés à déterminer si le produit intérieur brut (PIB) augmenterait de 0,1 point de pourcentage ou diminuerait de 0,2. Ces craintes ont dominé le débat sur l’introduction de changements réglementaires tels que la mise en place d’une taxe sur le CO2. La récession qui va suivre la crise du coronavirus est certainement l'une des pires jamais vécues, surpassant la crise financière mondiale de 2008-09. Elle ne peut être comparée qu'aux récessions et hyperinflations des périodes de guerre. Dans la crise du coronavirus, cependant, ce qui importe n'est pas le PIB, mais une valeur supérieure: le bien-être des êtres aimés et des personnes âgées. Le congé forcé (souvent non rémunéré), le confinement et le fait de vivre tous ensemble la même crise permettent de rapprocher les familles et les amis, même si le contact est plus virtuel que physique. Les futures discussions sur la croissance seront axées sur la qualité plutôt que sur la quantité.

Une action politique massive est possible 

Afin d'atténuer les conséquences économiques de la crise du coronavirus, les banques centrales et les ministres des finances ont promis des milliers de milliards de dollars de soutien à l'échelle mondiale. De fait, les dirigeants politiques étaient prêts à faire «tout ce qu'il faut» et ont signé un chèque en blanc pour lutter contre la crise. La bonne nouvelle est que nous savons maintenant que des ressources considérables peuvent être mises à disposition en cas de force majeure. Nous estimons que la lutte contre le réchauffement climatique nécessite le même type d’engagement. Reste donc à savoir si les états s’en rendent compte et s’ils sont prêts à déployer des ressources aussi importantes peu après avoir consenti des efforts d’une ampleur jamais vue (peut-être même jamais imaginée) jusqu’ici.

La solidarité est cruciale 

Il est encourageant de voir le nombre d'initiatives qui se sont formées, souvent en ligne, pour aider les aînés, soutenir les restaurants et les petits commerces, faire des dons aux artistes ou partager des expériences. Les journaux mettent à disposition gratuitement leurs articles sur la crise du coronavirus. Les chefs étoilés proposent des recettes sur Instagram et font livrer des plats à des soignants. On peut dire que cette crise a fait émerger le meilleur de l'être humain. Plus important encore, la gravité du choc et la rapidité de la reprise après la crise du coronavirus dépendront de la réaction de la population d'un pays. Les pays qui manquent de cohésion sociale parce qu'ils connaissent davantage d'inégalités, sont victimes de ségrégation raciale ou n'ont pas d'objectif commun seront plus exposés au stress. La solidarité est un ingrédient clé de la reprise. 

Cette crise nous rappelle l’importance de disposer
d’un dispositif sanitaire performant et suffisamment doté.
La pertinence systémique a un nouveau sens 

La notion de pertinence systémique a été inventée lors de la crise financière mondiale de 2008-09 pour décrire les institutions «too big to fail». Ces institutions financières étaient au cœur d'un réseau de créances provenant d'autres institutions et auraient donc pu entraîner la chute du système financier voire de l'économie toute entière. C'était une justification suffisante pour mettre en place des plans de sauvetage massifs, largement critiqués et considérés comme antidémocratiques, antisociaux et dont on peut supposer qu’ils ont donné naissance à un mouvement antiélitiste ou populiste. Dans le contexte de la crise sanitaire liée au COVID-19, le terme «pertinence systémique» refait surface. La pertinence systémique perçue aujourd’hui ne concerne pas des banquiers bien payés mais de nombreuses professions situées – souvent – au bas de l’échelle des salaires : caissières, chauffeurs de camion, pharmaciens, aides-soignants, infirmières et médecins mais aussi policiers et militaires. Nous sortons tous sur nos balcons à 20h ou 21h pour applaudir ces héros du quotidien, eux qui continuent de travailler pour la survie de tous, en première ligne dans la lutte contre le virus – parfois sans protection. Cette crise nous rappelle l’importance de disposer d’un dispositif sanitaire performant et suffisamment doté. D’autant que d’autres épidémies ne sont pas à exclure à l’avenir… 

La délocalisation atteint ses limites

La crise du coronavirus nous a montré de façon cruelle à quel point nous ne pouvons pas nous permettre de manquer de certains produits. Les équipements de protection ou des médicaments peuvent être produits à bien meilleur marché dans les pays en développement et expédiés dans le monde entier. Mais avons-nous vraiment économisé de l'argent si les chaînes d'approvisionnement s'effondrent, si la demande pour ces produits cruciaux explose et si les prix montent en flèche? La leçon à tirer est que la sécurité nationale connaît des impératifs qui nécessitent une planification minutieuse des réserves d'urgence et le maintien d’une certaine production locale. Cela s'applique aussi bien aux masques cliniques ou aux réactifs pour les tests de dépistage qu'aux batteries pour véhicules électriques et aux panneaux solaires. La production de ces produits cruciaux est stratégique. Si nous voulons faire face à des crises mondiales telles que les pandémies et le changement climatique, nous devons nous assurer que nous ne délocalisons pas de façon incontrôlée.

On peut y arriver

Enfin, la meilleure leçon que nous pouvons tirer de la crise du coronavirus est que l'humanité peut changer les choses. Face à une menace majeure, les responsables politiques peuvent se mobiliser, en agissant à l'échelle mondiale, rapidement, en se fiant à la science, avec la contribution de chaque individu dans un esprit de solidarité avec les autres, en dépensant des ressources massives mais nécessaires pour préserver les moyens de subsistance et le bien-être des générations actuelles et futures. Il y a de l'espoir que l'humanité puisse utiliser cette leçon pour s'engager dans la lutte contre le changement climatique avec la même vigueur et la même assurance. Il est grand temps! On peut y arriver!

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