Les gouvernements désormais décideurs en dernier ressort

Philippe Waechter, Ostrum AM

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Les gouvernements sortiront grands vainqueurs de la crise. Ils le seront au détriment des banques centrales et des grandes entreprises internationales.

La crise sanitaire a provoqué l’intervention des gouvernements pour limiter l’impact de la pandémie sur l’économie. Les banques centrales, qui pratiquaient des taux d’intérêt très bas lors du déclenchement de l’épidémie, ne pouvaient créer un support direct au redémarrage de l’économie globale. Elles ont donc financé les programmes gouvernementaux sans avoir réellement le choix.

Les relations entre gouvernements et entreprises pourraient, elles aussi, sortir changées de la pandémie. L’administration américaine pourrait à la fois modifier en profondeur la fiscalité des entreprises et renforcer la politique de la concurrence au détriment des grandes entreprises internationales comme les GAFA. L’équilibre global en sera bouleversé.

Les banques centrales ont été condamnées à une stratégie
de «suiveur» et cela risque de s’inscrire dans le temps.
Les ruptures de la crise sanitaire

La coordination entre les gouvernements et les banques centrales a pris un tour nouveau lors de la pandémie. Partout, les gouvernements ont décidé de tenir l’économie à bout de bras, le temps de passer ce choc sanitaire. Il revenait alors aux banques centrales de faciliter le financement des budgets gouvernementaux, via les opérations d’achat d’actifs, en utilisant les programmes existants ou en en créant de nouveaux (comme le PEPP de la BCE).

D’un seul coup, l’action de la banque centrale est devenue conditionnée essentiellement par les orientations choisies par le gouvernement. Aux Etats-Unis, la Fed a réduit très vite ses taux à l’hiver 2020, passant alors de 1,75% à 0%, et la banque centrale a acheté massivement les obligations émises par le Trésor. La hausse vertigineuse des bilans des banques centrales traduit clairement ce processus.

Les gouvernements ont repris de l’importance dans la gestion du cycle économique. Ils ont ainsi condamné les banques centrales à une stratégie de «suiveur» et cela risque de s’inscrire dans le temps. D’abord, parce que la politique budgétaire restera active très longtemps pour gérer les conséquences de la crise sanitaire. Ensuite, parce que la capacité des banques centrales à mettre en place des opérations de relance de l’activité est très réduite. Enfin, parce qu’une remontée trop rapide des taux d’intérêt aurait un impact tellement marqué sur l’économie, que ce serait suicidaire.

Les banques centrales sont dans une position inconfortable car elles ne veulent pas être l’institution qui aura mis l’économie à genoux en durcissant trop vite les conditions financières.

Le rapport de force entre les entreprises
et les gouvernements va changer radicalement.

L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche est aussi le début d’une nouvelle relation entre Etat et entreprises. Le nouveau président américain veut mettre fin à la concurrence fiscale, avec l’instauration d’un taux d’imposition minimum de 21% sur les profits mondiaux des entreprises, et revoir en profondeur la politique de la concurrence aux Etats-Unis, avec les GAFA en ligne de mire.

Pour des raisons d’équité dans le financement de l’économie US, Joe Biden veut mettre en place une stratégie qui réduira la concurrence fiscale profitant essentiellement aux entreprises internationales et à leurs actionnaires. Son objectif est de réduire la capacité des entreprises à échapper à l’impôt via des mécanismes de transferts qui permettent de localiser les profits dans des paradis fiscaux afin de payer le minimum d’impôt.

L’autre dimension du changement qui pourrait se dessiner est la remise en cause de la politique de concurrence américaine et de disposer d’une régulation efficace qui permette de réduire la concentration des grandes entreprises du numérique tout en faisant ré-entrer de la concurrence dans les comportements. Cette orientation pourrait être accentuée par la nomination de Lina Kahn comme commissaire à la Federal Trade Commission.

Au-delà de la gestion des données, une justification de cette réforme de la concurrence est l’inefficacité macroéconomique d’une telle situation. Dans la définition de sa politique économique, Joe Biden souhaite retrouver un plus haut niveau de productivité et il veut aussi favoriser la situation des classes moyennes. Cela passe par une hausse des salaires s’appuyant sur les gains de productivité. La situation va donc évoluer rapidement.

Les possibles changements qui seront observés à Washington pourraient servir la cause européenne et renforcer les options prises à Bruxelles au plus grand bénéfice de l’Europe.

La crise sanitaire crée les conditions pour une dynamique différente

L’économie globale va se reconstruire mais avec des politiques économiques des Etats qui seront a priori beaucoup plus actives, prenant le leadership sur les tendances qui se dessineront. C’est une inversion majeure par rapport à la quarantaine d’années observées depuis l’arrivée de Ronald Reagan à la Maison Blanche.

Si l’on voit bien la façon dont Joe Biden pourrait avoir l’intention de mener à bien ce retour du balancier en faveur de la politique économique du gouvernement, on peut cependant être plus soucieux pour la situation européenne. Il n’y a pas de gouvernement global pour la zone Euro et les faucons commencent déjà à manifester leur impatience. La politique des gouvernements doit être active et ne pas prendre le risque de l’austérité comme le suggère le plan pluriannuel présenté par Bruno Le Maire, qui prévoit la neutralité budgétaire après une grande activité bénéfique pour tous. C’est un peu le monde à l’envers et un contresens de l’histoire.

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