Les covenants ne suffisent pas à protéger les prêteurs

Nicole Downer, MV Credit

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Alors que beaucoup gardent les yeux rivés sur la documentation relative aux prêts, il serait plus judicieux de privilégier d’autres aspects.

En début d’année, économistes, traders et gérants d’actifs issus des institutions financières de toutes tailles discutaient déjà régulièrement de la menace d’un ralentissement imminent et significatif de l’économie mondiale. Cependant, personne n’avait anticipé la forme que ce ralentissement prendrait, déclenchée par une pandémie de portée véritablement mondiale, et de nombreux secteurs sont confrontés à des défis d’une ampleur et d’un type jamais vus auparavant.

L’arrêt prolongé de pans considérables de l’économie suite à la crise du COVID-19 est peut-être l’élément le plus inédit de la crise. Après plus d’une décennie de forte croissance pour des secteurs tels que le private equity, de nombreux investisseurs se retrouvent soudain en difficulté pour maintenir leurs portefeuilles à flot. C’est dans des moments comme celui-ci que l’on peut aisément identifier les stratégies d’investissement résilientes et celles qui sont sensibles aux conditions du marché et cycliques.

En raison d’un niveau de fragilité des entreprises qui n’avait plus été observé depuis le pic de la crise de 2008, lorsque de nombreux créanciers traditionnels s’étaient retirés du marché, de plus en plus de rapports laissent entendre que le secteur de la dette privée souhaite une documentation plus «favorable» aux prêteurs.

De nombreux prêteurs, notamment aux PME,
se méfient du risque de défaut accru actuellement.

Au regard de ces éléments, il est intéressant d’examiner les covenants et de souligner que, malgré les idées reçues et même dans le contexte exceptionnel de la crise actuelle, ils ne rendent pas pour autant le pouvoir aux créanciers.

Une documentation favorable ne constitue pas la solution miracle

Regardons ces risques de plus près. De nombreux prêteurs, notamment aux petites et moyennes entreprises, se méfient du risque de défaut accru actuellement et mettent d’ores et déjà en œuvre des mesures pour protéger leurs propres commanditaires d’une baisse potentielle importante de l’activité. Toutefois, les créanciers ne peuvent pas se protéger uniquement avec des covenants durant des périodes comme celle-ci. Une dépendance excessive vis-à-vis de ceux-ci peut donner à un gérant un sentiment de sécurité trompeur.

Il existe, par exemple, un mythe selon lequel les créanciers pourraient obliger les fonds de private equity à injecter de l’argent frais dans une entreprise du fait des covenants. C’est rarement le cas. D’une part, il peut y avoir un manque de visibilité de la part des créanciers en l’absence de problème de liquidité; et d’autre part, les sponsors pourraient avoir l’impression que les créanciers cherchent à les écarter.

Comme nous l’avons observé lors des cycles précédents, par exemple pendant la crise de 2008, les fonds ou les actionnaires demandent généralement de suspendre les covenants pour une période bien déterminée afin d’évaluer la situation s’il n’y a pas de forte pression sur la liquidité. D’expérience, pour certaines de ces entreprises, une remise à zéro était suffisante pour leur donner un répit durant la crise de 2008, en attendant le redressement. Les autres entreprises ont dû subir une restructuration plus poussée. De plus, compte tenu du contexte particulier, on observe un nombre excessif d’abandons de covenants, rajoutant une charge administrative pouvant interférer avec la gestion normale du portefeuille.

Les restructurations dépendront toujours des besoins spécifiques de chaque entreprise et peuvent inclure diverses options, telles qu’une injection de capital en contrepartie de concessions limitées de la part des créanciers (par exemple, la capitalisation des intérêts ou le paiement en nature) ou des restructurations plus sévères nécessitant un réaménagement des facilités de crédit existantes afin d’attirer de l’argent frais. D’expérience, la plupart des solutions de restructuration impliquent une collaboration avec les autres créanciers et les fonds de private equity pour mettre en oeuvre un plan d’aide à l’entreprise.

De solides relations ont plus d’importance que les cadres juridiques

Plutôt que de discuter des covenants, il faut investir avec prudence. Se positionner sur des titres de crédit de bonne qualité et mettre en place une protection contre les risques baissiers est possible en investissant dans des entreprises solvables et en travaillant avec les fonds de capital-investissement adéquats, qui ont financièrement intérêt à soutenir les entreprises en portefeuille.

C’est en période de crise que les décisions peuvent être prises de façon précipitée et que le risque de réaction à chaud augmente. Toutefois, la nature même de l’investissement privé (à la fois en fonds propres et en dette) offre aux investisseurs une vision à long terme et leur permet de se concentrer sur la résilience de solides entreprises ainsi que sur les opportunités qui pourraient se présenter lorsque la crise aura passé son point culminant. Si une entreprise a des fondamentaux sains, alors un bon investisseur de capital-investissement et un bon prêteur ne la laisseront pas faire faillite.

Les investisseurs devraient privilégier une stratégie
d’investissement fondée sur des due diligence rigoureuses.

Pour préserver ces pratiques de marché, il ne faut pas sous-estimer l’importance de la bonne compréhension du secteur du private equity et de préserver la relation établie avec les investisseurs de dette privée tout au long de ces vingt dernières années. Par exemple, grâce à des relations saines et d’étroites collaborations avec les fonds de private equity sponsors, les entreprises peuvent négocier un ensemble de reportings et de mesures pour renforcer leurs indispensables capacités de suivi des investissements. Il s’agit là de relations de long terme qui continueront à se développer dans les années à venir.

L’expérience acquise lors de la crise mondiale de 2008 a mis en lumière le caractère essentiel de la sélection de titres de crédit pour minimiser le risque de défaut en cas de ralentissement économique. Par conséquent, plutôt que d’exiger un contrôle par le biais de covenants financiers, les investisseurs devraient privilégier une stratégie d’investissement fondée sur des due diligence rigoureuses capables d’identifier les bons partenaires et d’effectuer un suivi des investissements de grande qualité. 

Le choix du secteur d’appartenance est également essentiel pour la performance d’une entreprise, certains secteurs se révélant plus résilients et plus sûrs durant plusieurs cycles économiques. Des secteurs tels que la santé et les services par abonnement sont généralement plus stables que les secteurs fortement saisonniers ou ceux dont les produits pourraient être rendus obsolètes par une avancée technologique soudaine ou sont trop dépendants de tendances versatiles, comme la mode, les médias ou les clubs de sport. Les secteurs défensifs offrent généralement une meilleure protection aux investisseurs en cas de ralentissement économique.

Du point de vue de la dette privée, il faut privilégier la préservation du capital. Même la meilleure documentation et la meilleure structure ne peuvent compenser un mauvais prêt. La stratégie d’investissement d’un fonds (par exemple, l’accent mis sur les secteurs non cycliques dans le segment supérieur des moyennes capitalisations) et la documentation relative aux prêts doivent être systématiquement examinées au vu du caractère cyclique de l’économie, que le marché soit haussier ou baissier, et non en réaction à des événements en cours. La bonne approche en matière d’investissement consiste à assurer une origination efficace, un suivi actif et un partenariat avec le bon fonds de private equity.